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des individus ; or il est matériellement impossible à un gouvernement de se situer en faveur des éléments les moins favorisés de la population ; même le voudrait-il, il ne le pourrait pas, et nous en avons eu la preuve en ce qui concerne le gouvernement bolcheviste. Du fait même que la société est divisée en classes, le gouvernement est contraint de défendre la classe privilégiée ou de céder sa place à un autre. Et c’est là toute l’erreur du bolchevisme comme doctrine révolutionnaire. Oh ! nous ne contestons pas aux bolchevistes qui résident hors la Russie une certaine activité révolutionnaire ; mais ce que nous contestons, c’est la valeur révolutionnaire du gouvernement bolcheviste russe, qui ressemble, à s’y méprendre, à tous les autres gouvernements. Un gouvernement prolétarien n’est d’aucune utilité au prolétariat, et nous nous en rendons compte lorsque nous lisons, dans La Vie Ouvrière du 7 mars 1924, qui est pourtant un organe communiste, l’entrefilet suivant : « Au cours des derniers temps, plus de 600 ouvriers à domicile ont participé aux grèves dans l’industrie des cuirs et peaux. Toutes ces grèves se terminèrent par la victoire complète des ouvriers à domicile et la conclusion de contrats collectifs. » Il faut en conclure que, dans ce pays à gouvernement prolétarien, le gouvernement fut incapable de faire respecter ou d’imposer les revendications prolétariennes, puisque les travailleurs furent obligés d’user de la vieille arme classique : la grève, pour obtenir satisfaction. Ce n’est donc pas sans raison que Chazoff dit, dans son Mensonge bolcheviste : « Pour nous, un gouvernement est un gouvernement, qu’il soit rouge ou qu’il soit blanc. Partout où la bourgeoisie exerce encore son influence, le gouvernement la soutient, — en Russie comme ailleurs, — et toutes les institutions sont mises à son service pour la défendre. Et c’est ce qui explique la répression dont sont victimes des centaines de révolutionnaires qui gémissent dans les bagnes et les prisons bolchevistes. »

Incontestablement, quelles que soient les aspirations et les idées sociales ou philosophiques des hommes qui le dirigent, un gouvernement est réactionnaire et conservateur. S’il nous en fallait une dernière preuve, nous n’aurions qu’à prendre le gouvernement démocratique français, issu des élections législatives du 11 mai 1924. Le peuple français, confiant en sa souveraineté, envoya au Parlement des hommes de gauche, espérant mettre un frein à la politique belliqueuse d’un gouvernement nationaliste. M. Poincaré lâcha le Pouvoir et le remit entre les mains de M. Herriot ; mais rien ne changea, les forces obscures de la finance et de la grosse industrie étant plus puissantes que les forces politiques d’un gouvernement. Le Bloc des Gauches, constitué pour appliquer un programme démocratique, s’écroula piteusement, et les électeurs n’eurent, pour se consoler, que le souvenir des belles promesses qui leur furent faites.

« C’est entendu, diront certains adversaires de l’anarchisme ; tout gouvernement est imparfait et ne répond pas à nos désirs ; mais par quoi le remplacer et que feriez-vous, si vous assumiez la responsabilité de diriger l’État ? » C’est mal poser la question. Il est évident que si, dans l’ordre social actuel, il nous prenait la fantaisie de diriger les affaires publiques, nous ne ferions pas mieux que les autres. C’est la raison pour laquelle les anarchistes sont révolutionnaires. Ils savent fort bien que, tant que subsistera le capitalisme, que tant que le monde sera divisé en classes, l’existence d’un gouvernement se légitimera. Une société sans gouvernement suppose tout d’abord la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme et l’égalité économique de tous les êtres. Tant que ceci ne sera pas acquis, le gouvernement subsistera. « Vous ne réaliserez jamais votre programme », nous objectera-t-on. Ce ne sont pas les anarchistes seuls qui le réaliseront, mais le peuple, car chaque jour qui passe discrédite un peu plus les diverses

formes de gouvernement qui se sont manifestées incapables de réaliser l’union entre les hommes. Le Capital s’écroulera, il a atteint son point culminant et, maintenant, sa chute sera rapide. Et lorsqu’aura disparu la propriété, qui est la source principale des divisions humaines, les gouvernements s’éteindront et disparaîtront d’eux-mêmes pour faire place à l’harmonie et au bonheur universels.


GOUVERNANT n. m. Qui gouverne. Ce mot ne s’emploie qu’au pluriel, lorsqu’il sert à désigner ceux qui gouvernent un État. Pris dans ce sens, il devient synonyme de ministres. Les gouvernants de France se réclament tous de l’esprit républicain. Nous avons dit, au mot Gouvernement, qu’un gouvernement ne peut être que d’essence bourgeoise et qu’il ne pouvait défendre que les intérêts des classes privilégiées. Il ne nous paraît donc pas utile d’insister sur ce fait que la plupart des gouvernants sont d’origine bourgeoise et qu’ils font dans l’État la politique de leur classe. Du reste, les gouvernants, tout comme les députés et autres politiciens, ne sont que des mannequins entre les mains de la ploutocratie de leur pays qui, elle, dirige dans les coulisses les affaires économiques et politiques de la nation. Il est un fait cependant à souligner : c’est qu’à de rares exceptions, les gouvernants sont choisis parmi les plus corrompus et les moins sincères de tous les politiciens. Cela se comprendra du reste assez facilement lorsque l’on saura que les places de ministres sont relativement rares, et qu’il faut savoir intriguer pour obtenir un portefeuille. Ne nous étonnons donc pas de la basse moralité des gouvernants. Pour être à la tête de la nation, récolter tous les avantages avoués, et surtout inavoués, d’une telle position, il est indispensable de se dresser contre tous les aspirants avides de pouvoir, et c’est au plus malin et au moins scrupuleux, à celui qui n’hésite devant aucun moyen, même le plus abject, que revient alors l’honneur de gouverner les hommes.

Le peuple n’a donc rien à attendre de ses gouvernants, que du mal. Guidés par l’ambition et l’intérêt, une fois en possession du Pouvoir, les gouvernants n’ont qu’une crainte : c’est de le perdre ; et, pour le conserver, aucune action ne leur semble blâmable, et cela explique toute l’ignominie des luttes politiques, où les besoins et les intérêts du peuple n’entrent même pas en ligne.

Les hommes ne seront heureux que lorsqu’ils sauront se passer de gouvernants. En réalité, la plus grosse part de responsabilité dans la corruption politique qui nous étouffe, incombe au peuple qui permet à ses gouvernants de se jouer de sa misère. Le travailleur perpétue, par sa propre faute, un état social condamné depuis longtemps par tous ceux qui pensent sainement et ont compris l’incohérence du régime capitaliste. Prétendre que les gouvernants sont indispensables pour maintenir l’ordre dans une société, est une aberration, un préjugé entretenu savamment dans l’esprit populaire, pour maintenir le peuple dans l’esclavage. Les gouvernants sont des fauteurs de désordre et il n’y a pas de précédent de gouvernants ayant agi avec probité et loyauté pour le bien du peuple. Le peuple est assez vieux, il doit savoir se passer de gouvernants et diriger lui-même ses propres affaires. Elles ne sont du reste pas si difficiles à gérer, et point ne lui est besoin de maîtres pour qu’il sache qu’il lui faut, pour vivre, du travail et du pain. Les gouvernants sont une entrave à la libération de l’homme et, à ce titre, il est indispensable de les combattre, jusqu’au jour où ils seront engloutis sous les décombres des gouvernements.


GRADATION n. f. On appelle gradation l’augmentation par degrés, l’accroissement progressif d’une chose. La gradation de la lumière, de la chaleur, etc., etc. En