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toute chose il faut une mesure, et ce n’est que par gradation que l’enfant devient homme et qu’il acquiert les connaissances de la vie. En musique, on appelle gradation la progression insensible d’un ton à un autre ton, et, en rhétorique, on donne ce nom à une figure présentant un assemblage de mots ou de pensées suivant une progression ascendante ou descendante. Boiste, le célèbre savant du xixe siècle, nous offre un bel exemple de gradation littéraire. « Les besoins, les désirs, les passions assiègent le cœur de l’homme. Vous ignorez mes peines, mes chagrins, ma misère. L’humeur mène à l’impatience, l’impatience à la colère, la colère à l’emportement, l’emportement à la violence et la violence au crime ; et, par cette gradation, on va d’un fauteuil à l’échafaud. »


GRADE n. m. (du latin gradus, degré). Dignité ; chacun des échelons d’une hiérarchie. Obtenir des grades universitaires. C’est surtout à l’armée que le grade signale le chef à ses inférieurs. Dans la carrière militaire on distingue deux sortes de grades : les grades inférieurs et les grades supérieurs. En France, seuls les hommes titulaires de grades supérieurs ont le titre d’officier, et l’appellation de leur grade doit être précédée du terme : mon. On dit : mon colonel, mon commandant, mon général ; mais on dit : sergent, caporal, ces derniers n’étant titulaires que de grades inférieurs. Par contre, on dit : Monsieur le maréchal, monsieur le médecin-major, etc., etc. Est-il besoin de dire que le grade — et à l’armée plus qu’ailleurs — confère à celui qui en est pourvu une autorité arbitraire sur ses semblables ? Si l’on peut admettre que les grades universitaires supposent de ceux qui les détiennent des connaissances supérieures et que, de ce fait, ils peuvent exercer une certaine autorité morale sur ceux qui les entourent, il n’en est pas de même en ce qui concerne les grades militaires, et surtout pour ce qui est des grades inférieurs. Cependant, à l’armée, le gradé est un petit roi dont les ordres ne doivent pas être discutés et sont exécutés sans la moindre protestation ou la moindre critique. Que de malheureux ont payé de leur liberté et, parfois, de leur vie, leur geste de révolte contre la bêtise et la méchanceté des gradés ! Nous avons dit, par ailleurs, ce que nous pensons de l’armée ; nous avons souligné tout ce qu’avait de ridicule cette discipline devant laquelle devait se courber, sans broncher, des milliers et des milliers d’êtres humains ; le respect du galon, du grade, est le fondement de toute discipline. Qu’importe, si celui qui possède un grade est un dégénéré ou un ignorant, le grade lui confère l’intelligence, la clairvoyance, et sa supériorité devient incontestable. C’est ainsi qu’est constituée notre belle société qui se prétend démocratique.

Combien de temps devrons-nous lutter encore pour détruire, dans l’esprit du peuple, le respect des titres, des galons et des grades. Ce n’est, en vérité, que lorsque les hommes se seront libérés de toute admiration pour les héros d’opéra-comique, portant sur leurs manches ou sur leur poitrine leurs distinctions honorifiques, qu’une égalité saine et bienfaisante pourra régénérer l’humanité.


GRAMMAIRE n. f. d’un mot grec qui signifiait : peinture, trait, ligne, lettre. Littéralement, la grammaire est l’art de tracer des signes qui fixent la pensée. C’est l’écriture. Elle est le langage écrit et elle est née, non seulement bien après le langage parlé, mais aussi bien après la poésie et l’éloquence, qui ont été les premières formes de l’art de parler. Elle n’en a pas moins été produite, comme l’a dit Voltaire, par « l’instinct commun à tous les hommes », instinct « qui a fait les premières grammaires sans qu’on s’en aperçût ».

Les premières écritures, ou grammaires, furent sym-

boliques, créées par des civilisations qui se bornèrent à l’idéographie, reproduisant l’image des choses. Ainsi se forma l’écriture hiéroglyphique ou picturale des Égyptiens, des Mexicains, des Chinois, insuffisante pour suivre la pensée et la langue dans leurs modifications et produisant, a dit Ph. Chasles, « une matérialisation intellectuelle qui pèse toujours sur ces peuples ». Le même auteur ajoute : « Jamais nation n’est parvenue à un développement social grandiose et vrai sans décomposer les sons qui forment les mots, sans transformer ces mêmes sons en caractère, sans recomposer la parole qui vole et fuit, sans l’immobiliser à jamais sur une substance solide au moyen de lettres juxtaposées : immense et incroyable travail. » Le moyen de ces opérations fut l’alphabet, dont Ph. Chasles dit avec enthousiasme : « Il n’y a qu’une création dont l’esprit humain doive être fier : l’alphabet. » Et il l’appelle : « père des sociétés, seul moteur de tout perfectionnement. »

On a cru pouvoir fixer l’époque de la plus ancienne écriture ; des découvertes nouvelles l’ont toujours reculée. Les hommes écrivirent sur du fer, du marbre, de l’airain, du bois, de l’argile. Dans l’Inde, en Scandinavie et ailleurs, des rochers sont couverts d’inscriptions. On employa ensuite des peaux tannées, puis des plaques de bois recouvertes d’une couche de cire, des tablettes d’ivoire sur lesquelles on écrivait avec un crayon de plomb, des feuilles de plomb où l’écriture se marquait avec un poinçon de métal. Vinrent ensuite l’usage du parchemin et celui du papyrus, devenu le papier. L’invention de l’alphabet est généralement attribuée aux Phéniciens. L’Anglais Isaac Taylor composa, en 1883, un ouvrage pour démontrer que toutes les écritures alphabétiques sont dérivées de Phénicie. Mais Taylor était insuffisamment informé. L’écriture alphabétique ne fut pas la création spontanée d’un peuple ; elle se forma lentement, chez plusieurs, en suivant le développement de leur civilisation. Depuis Taylor, on a découvert des inscriptions alphabétiques plus anciennes que l’écriture phénicienne et indépendantes d’elle. Les pays du bassin méditerranéen en possèdent des traces préhistoriques.

L’écriture n’arriva à donner toute sa contribution au développement social que lorsque l’imprimerie permit de la répandre à l’infini. L’imprimerie, dont la découverte est attribuée à l’époque de Gutenberg, était connue des Romains qui employaient des caractères mobiles bravés pour apprendre à lire aux enfants. Ce qui manquait pour la répandre, c’était le papier à bon marché, qu’on inventa au xve siècle.

« L’imprimerie, c’est la mémoire du genre humain fixée. » (Ph. Chasles). Mais, pour fixer exactement cette mémoire dans la forme imprimée, il faut d’abord l’étudier et la fixer dans les formes de la pensée. C’est par ce travail que la grammaire étendit son premier domaine, celui de l’écriture, à l’observation de la pensée pour être d’abord l’art de la bien exprimer, dont Platon a parlé, puis l’ « ars legendi et scribendi » de Diodore de Sicile, c’est-à-dire l’art de lire et d’écrire, qu’on appela Grammatistica après qu’Aristote et Théodecte en eurent donné les premiers principes.

Dépassant la grammatistica, — science grammaticale, — la grammaire devint l’art du langage dans un sens de plus en plus étendu. Parmi les sept arts libéraux des anciens, elle engloba tout ce qui était littérature. Par la suite, en se développant encore, l’étude du langage se divisa en plusieurs branches spéciales. La grammaire proprement dite revint à son premier emploi : l’art de parler et d’écrire selon des règles. C’est celui qu’elle a encore aujourd’hui.

Dans l’antiquité, au Moyen-Âge et jusqu’au xvie siècle, on appela grammairiens tous ceux qui s’occupaient de belles-lettres et étaient savants dans tous leurs genres, sans même s’intéresser spécialement à la grammaire.