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qui ne remonte généralement pas plus loin que le xixe siècle.

Grammaire générale. — Est celle qui s’occupe des règles communes à toutes les langues, qui les recherche dans leur essence première, dans leur structure intérieure, pour déterminer leur rapport avec les opérations de l’esprit. Cette grammaire est appelée aussi philosophique. La première fut celle de Port-Royal (1660). Elle s’efforça d’établir que les diverses langues sont sorties d’un type unique, mais elle s’inspira plus des principes d’Aristote que de l’observation scientifique. Dans la même voie continuèrent, au xviiie siècle, Dumarsais, Beauzée, Condillac, Destutt de Tracy, et d’autres. Leur système empirique perdit de plus en plus de sa valeur devant les découvertes des langues primitives et orientales, particulièrement du sanscrit, qui firent naître la grammaire comparée.

Grammaire comparée. — Son point de départ fut la connaissance du sanscrit, à la fin du xviiie siècle. Elle recherche les affinités des langues entre elles, leurs ressemblances et leurs différences pour les classer en groupes ou familles, en trouver les types primordiaux et suivre l’évolution de chacune. Ce sont ces études qui ont formé la linguistique proprement dite, étude scientifique des langues, principalement par la méthode comparative qui permet de découvrir le fonds commun d’où elles sont sorties et les transformations particulières qu’elles ont subies. (Voir Langue). La grammaire comparée a apporté à la grammaire proprement dite une contribution importante par le développement qu’elle a donné à la phonétique et à l’étymologie.

Franz Bopp fut le premier qui écrivit une Grammaire comparée du sanscrit, du zend, du grec, du latin, du lithuanien, du gothique et de l’allemand, parue de 1833 à 1852 et traduite en français par Michel Bréal en 1865. Elle étudia la commune origine des langues indo-européennes. Les travaux de Bopp ont été successivement complétés par Schleicher, Brugmann et Delbrüc. D’autre part, les langues romanes furent spécialement étudiées par Frédéric Diez, puis par Meyer-Lübke. On est beaucoup moins avancé dans les recherches sur les autres familles de langues, celles des groupes ouralo-altaïque et chamito-sémitique. On l’est encore bien moins dans celles relatives aux langues des peuples primitifs.

Grammaire historique. — A été la forme primitive de la grammaire comparée appliquée à une seule langue. Elle en est aujourd’hui une des parties en ce qu’elle étudie les différents moments des langues et leur enchaînement pendant toute leur durée. Elle se sert de la diplomatique, science assez restreinte qui examine les documents officiels de tous les temps pour authentifier les indications qu’ils fournissent, et de la paléographie, science plus récente et plus étendue, qui procède à la recherche des anciennes écritures et à l’art de les déchiffrer. C’est la paléographie qui donne l’histoire de l’écriture et de ses transformations vers des formes devenues tellement personnelles que la graphologie prétend révéler le caractère des individus par leur écriture.

La grammaire se complète de la lexicologie qui s’occupe des formes des mots, de leur nomenclature selon ces formes et de leur définition dans des ouvrages appelés vocabulaires, glossaires, lexiques ou dictionnaires. La lexicographie est la science de la composition de ces ouvrages.

On donne le nom de vocabulaire à des listes de mots accompagnés d’explications succinctes et qui sont particuliers à une profession, un art ou un auteur.

Le glossaire énumère et explique les mots anciens ou peu connus d’une langue. Le Glossaire de Reichenau (viiie siècle) a facilité l’étude des langues romanes.

Le lexique est un dictionnaire abrégé ou spécial aux formes rares ou difficiles d’une langue. Il est aussi un vocabulaire réservé aux locutions propres à un auteur.

Des vocabulaires, glossaires, lexiques ou dictionnaires furent écrits dès l’antiquité. Trois siècles avant J.-C., Callimaque composait son Musée. On a encore le lexique latin de Verrius Flacus (Ier siècle) d’après l’abrégé de Festus, le lexique grec d’Harpocration Valérius (iie siècle), l’Onomasticon de Julius Pollux (même époque), et d’autres. Au xie siècle, Suidas fit son Lexicon et Papias son Vocabularium. La Renaissance vit plusieurs auteurs de lexiques, latins pour la plupart. Les Estienne, au xvie siècle, commencèrent les travaux de lexicographie les plus sérieux sur les langues grecque et latine. Leur Thesaurus grœcœ linguœ est devenu le lexique grec le plus complet avec les additions qu’Ambroise Didot lui apporta au xixe siècle. Au xviiie, Forcellini composa un lexique latin très complet aussi, et Du Cange publia, en 1678, un ouvrage de la plus grande valeur sur le latin du moyen-âge.

Ce n’est qu’en 1638 qu’on entreprit de faire un dictionnaire de la langue française. Ce fut l’Académie Française qui se mit à cette œuvre sous la direction de Vaugelas. Depuis la première édition (1694), l’Académie n’a pas cessé de s’en occuper ; plusieurs éditions ont suivi. Malgré le temps qu’elle y emploie, le nombre et l’illustration de ceux qui y travaillent, son œuvre est médiocre ; elle est loin d’avoir, auprès des lettrés, l’autorité qui devrait être la sienne. Le Dictionnaire de l’Académie Française est fait avec si peu de sérieux, sans doute par des gens qui ont le sentiment de la vanité de leur travail, que ses définitions sont, dans la plupart des cas, incomplètes et insuffisantes, quand elles ne sont pas inexactes et contradictoires. C’est ainsi qu’en 1878, année de la 7e édition de ce dictionnaire, ses auteurs n’avaient pas encore pu s’entendre pour savoir lequel, du chameau ou du dromadaire, n’a qu’une bosse !… On lit, dans cette édition :

« Bosse. — La bosse d’un chameau, les deux bosses du dromadaire.

« Chameau. — Quadrupède qui a deux bosses.

« Dromadaire. — Chameau qui a une seule bosse. »

A côté de l’Académie Française, d’autres firent des œuvres plus sérieuses : Moreri avec son Grand Dictionnaire historique (1674), les auteurs du Dictionnaire de Trévoux (1704), mais surtout Bayle avec son Dictionnaire historique et critique (1696) et, au xixe siècle, Littré dont le Dictionnaire de la langue française (1877-1878) est, à tous les points de vue, l’ouvrage le plus parfait.

Dans le dictionnaire de Bayle, Voltaire, qui fit le Dictionnaire philosophique (1764), voyait non seulement un recueil de littérature et un ouvrage très savant, mais surtout une « dialectique profonde » qui en faisait « un dictionnaire de raisonnement encore plus que de faits et d’observations ». C’est ainsi que l’œuvre de Bayle renfermait en germe l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

Citons encore, parmi les dictionnaires :

Le Dictionnaire National, de Bescherelle (1843-46), qui fut le meilleur avant l’apparition du Littré. Il est demeuré intéressant à consulter pour certaines appréciations originales et les très nombreuses citations d’auteurs qui en font un « ouvrage vivant » et non un « squelette », selon le mot de Voltaire sur les « dictionnaires sans exemples ».

Le Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du ix au xve siècle, par Godefroy (1881).

Le Dictionnaire de la langue française du commencement du xviie siècle jusqu’à nos jours, par Darmesteter, Hatzfeld et Thomas (1889).

Nous reparlerons des dictionnaires au mot Langue.