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torité et qu’il ne peut y avoir organisation s’il n’y a pas autorité. Cela est une profonde erreur et tous les anarchistes communistes se refuseraient à participer à un mouvement élaboré sur des bases unitaires. Mais nous pensons cependant qu’un groupement anarchiste ne peut pas être le refuge de tous les dévoyés, de tous les mécontents, de tous les rebuts de la société bourgeoise, vomis de toutes les autres organisations.

La vie d’un groupement n’est possible que si chacun accepte un minimum de discipline sans laquelle il est matériellement impossible de faire œuvre utile. Nous avons cru, un moment, qu’un groupement composé d’éléments anarchistes de différentes tendances était viable ; nous nous sommes trompés et nous reconnaissons notre erreur. Que les anarchistes se groupent ; une fois bien déterminé le genre d’action et de propagande auxquelles ils veulent se livrer, que rien ne les arrête, puisque les décisions sont prises en commun. Est-ce là faire de l’autorité ? Nous ne le pensons pas. Personne n’est contraint par la force d’entrer dans un groupement anarchiste ; mais une fois qu’un membre adhérent a pris un engagement, il est de son devoir de le tenir, ou de se retirer de l’organisation, du groupement avec lequel il n’est plus en accord.

Personne ne conteste plus aujourd’hui l’utilité du groupement, et le plus farouche individualiste se trouve lui-même désorienté lorsqu’il est seul. Le groupe est le pilier sur lequel reposent les sociétés autoritaires, parce que les puissants ont compris qu’il était de leur intérêt de s’unir pour retarder le plus possible le démembrement et l’écroulement de la société bourgeoise. Il nous faut, si nous voulons vaincre, et si le révolutionnarisme n’est pas qu’un vocabulaire utilisé par les politiciens pour tromper le peuple, que nous nous groupions pour organiser la société de demain.

L’individu libre dans son groupe et le groupe libre dans la société, ce n’est pas, que nous sachions, une formule autoritaire ; mais pour pouvoir réaliser cela demain, il nous faut aujourd’hui avoir le moyen de diffuser nos idées, de les faire comprendre, de les faire admettre par le plus grand nombre d’individus, et c’est pourquoi il est indispensable que les anarchistes communistes se groupent, pour trouver, en joignant leurs efforts, les ressources financières et morales que nécessite un tel travail.

Ayons confiance en l’avenir ; les groupements anarchistes deviendront de plus en plus nombreux, de plus en plus féconds. A mesure que la faillite des partis politiques se développe, que les politiciens perdent la confiance que le peuple leur accordait, l’anarchisme gagne en surface et en profondeur et sera demain maître du monde, parce que seule la forme communiste anarchiste d’une société peut assurer à l’humanité la stabilité et la paix. — J. Chazoff.


GUERRE n. f. On fait la guerre « pour gaigner », disait Blaise de Montluc. Ces paroles résument les causes de toute guerre. Chez les primitifs, disséminés en tribus isolées, ce sont des coups de main organisés par des jeunes gens aventureux dans le dessein de piller. Les montagnards, vivant chichement dans leurs rochers, descendent en plaine, après les moissons, pour razzier les récoltes, amassées par les cultivateurs. Les nomades du désert, les pirates de la mer, font aussi des incursions rapides dans les territoires civilisés et riches, et s’enfuient en emportant leur butin. La guerre d’aventure s’est perpétuée à travers les âges ; mais dans les temps modernes elle devient de plus en plus difficile ; la guerre est maintenant une industrie officielle, réservée aux grandes puissances.

Il y a aussi, chez les primitifs, de grandes guerres d’émigration. La surpopulation oblige une partie d’un peuple à essaimer ; ou bien une tribu ou un ensemble de

tribus, vivant sur un sol appauvri, part à la conquête d’un territoire fertile en vue d’un nouvel établissement. Les peuples primitifs ont chacun leur religion strictement nationale, avec des rites et des initiations qui interdisent toute assimilation, tout mélange. Ils sont férocement xénophobes. Ils refoulent les autochtones, ou, comme les anciens Israélites, les massacrent jusqu’au dernier.

D’autres asservissent les populations conquises. Le mode de conquête dépend d’ailleurs de la masse des envahisseurs, ou plus précisément, du rapport des densités des populations aux prises. S’il s’agit d’une émigration en masse, elle fait territoire net. Si les conquérants sont peu nombreux, ils deviennent parasites des vaincus, tout en conservant leurs dieux, leurs coutumes, leurs totems particuliers ; ils forment une caste privilégiée et rejettent les vaincus dans une caste inférieure avec laquelle il est interdit de se mélanger par mariage. Pourtant, si les vaincus ont une civilisation supérieure, les nouveaux maîtres se contentent d’imposer leurs dieux au-dessus des divinités indigènes, et finissent assez souvent par s’amalgamer à la population conquise, tout au moins par en prendre les mœurs.

Dans les temps modernes, lorsque les conquérants européens arrivent dans un territoire habité par une population dense et industrieuse, ils en font une colonie d’ « exploitation ». Quand ils se trouvent en présence d’une population clairsemée et arriérée, ils la refoulent peu à peu, comme il est arrivé des Peaux-rouges et des Australiens, et s’installent à sa place. Il faut toutefois tenir compte du facteur climatique ; les régions équatoriales ne peuvent pas être des colonies de peuplement, elles restent colonies d’exploitation.

Lorsque, dans l’histoire des peuples, les royaumes se sont constitués, que les populations, fixées au sol, ont acquis une technique leur permettant de vivre de la culture, la guerre devient affaire de princes. Les seigneurs et les rois font la guerre pour acquérir profit d’abord, et gloire ensuite. Si, parfois assez longtemps, subsistent les mœurs primitives, mœurs effroyables, sans merci pour les vaincus, condamnés en bloc à mort ou à l’esclavage, les conquérants arrivent à comprendre que leur intérêt bien entendu est de laisser travailler les populations librement, au moins en apparence, et de leur imposer redevance. Les rois cherchent à tirer rançon de leurs rivaux et, mieux encore, à les réduire en vassaux et tributaires. La classe noble vit, elle aussi, de la guerre. Elle la considère comme le seul métier qui lui convienne. Elle tire profit du pillage, elle tire aussi profit des rançons obtenues des adversaires de son rang. Le métier des armes arrive à être pratiqué comme un sport, avec une règle de jeu, mais seulement entre gens de la même caste, et de caste aristocratique. La période féodale, chez presque tous les peuples, a donné des récits de défis, de combats singuliers, de prouesses individuelles. Gentillesse, courtoisie, loyauté sont l’apanage des chevaliers bien nés, à quelque nation qu’ils appartiennent — vertus, bien entendu, idéalisées par les poètes. Le pauvre peuple, exposé aux massacres, aux violences et au pillage, aux dépens duquel se fait la guerre, qui paye rançons, tributs et redevances, dus par ses maîtres, est considéré comme un vil bétail. Quant aux soudards et simples gens de pied, qui font le gros des armées, ce sont, pour la plupart, individus sans aveu et voleurs professionnels.

Le résultat de toute conquête est d’augmenter les ressources du roi vainqueur, en augmentant le nombre de ses tributaires. L’impôt n’est pas autre chose qu’un tribut dû au monarque, au seul usage du monarque, d’essence divine, et destiné à l’entretien et à la splendeur de la maison royale, un gouffre. Un roi n’est jamais rassasié de richesses. Il conquiert pour l’agrandissement de sa puissance et de son faste. Un conquérant