Aller au contenu

Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
GUE
882

heureux crée un empire qui s’écroule un jour, disloqué par la coalition des peuples menacés ou par la révolte des peuples asservis.

Les empires tiennent plus longtemps, au fur et à mesure qu’ils s’appuient sur une civilisation plus développée et une administration mieux comprise. Quand la République romaine a étendu sa domination, les conquêtes se sont faites non d’après le caprice d’un roi, mais soi-disant dans l’intérêt du peuple, au début intéressé directement aux guerres d’offensive ou de défense, en réalité d’après la politique et le profit d’une aristocratie. L’assimilation a suivi la conquête. Le soutien et le maintien de l’empire romain reposent sur cette assimilation et sur la participation des classes moyennes et des classes riches de toutes les provinces à la civilisation gréco-romaine. L’empire s’est écroulé plus tard par l’effet d’une inégalité sociale excessive, devant l’invasion des Barbares.

Il ne pouvait guère y avoir de sentiment national, ni de patriotisme, dans un tel empire étatisé, ni même de rivalités provinciales, puisque l’assimilation était générale. Le patriotisme et le sentiment national ont continué à faire défaut sous la féodalité, où la religion était individuelle et universelle à la fois, où les guerres étaient affaires de princes et non du peuple. La renaissance du sentiment national et du patriotisme s’est faite avec la Révolution française, avec la formation des démocraties modernes. Ce sont les guerres de Napoléon qui ont fait surgir les nationalismes actuels, avec ce sentiment de supériorité sur les autres peuples qui est une reviviscence de la mentalité des primitifs.

Le sentiment patriotique a été un admirable instrument pour l’ambition politique des rois, ou, dans les pays constitutionnels, pour la cupidité des oligarchies capitalistes gouvernantes. De nouveaux impérialismes sont nés. Mais ils ont pu difficilement se développer et s’étendre en Europe même, à cause de l’existence et de la résistance des nationalismes voisins et concurrents, surtout dans l’occident du continent. Ils se sont en grande partie développés sous forme d’empires coloniaux. Cette sorte d’impérialisme a d’ailleurs existé à différentes époques de l’histoire humaine, mais à des époques relativement modernes. Une oligarchie de marchands a entrepris des conquêtes, souvent fort éloignées de la métropole, pour s’assurer des monopoles de matières premières, des marchés et des débouchés. Sa politique s’est affirmée avec autant de cruauté et de mauvaise foi, mais avec moins de brutalité et plus d’habileté que celle des conquérants de caste guerrière. Carthage dans l’antiquité, Venise et Gênes au Moyen-Âge, l’Angleterre et la France dans les temps modernes, sont des exemples de cet impérialisme.

Les conquêtes coloniales ont heurté les peuples dans l’antiquité (Carthage et Rome), au Moyen-Âge (Venise et l’empire d’Orient). Elles sont une possibilité de conflit général à l’époque moderne. Les Etats-Unis d’Amérique et les grandes puissances européennes affrontent leurs impérialismes. Et il faut compter maintenant avec l’éveil des populations asservies. Déjà celles d’Asie paraissent vouloir conquérir leur indépendance.

La guerre de 1914. — La guerre de 1914 est justement née du heurt des impérialismes, s’efforçant d’imposer leur hégémonie à leurs rivaux. Nous n’avons pas souhaité cette guerre, nous avons fait toute la propagande possible contre le militarisme et le nationalisme. Mais devant le fait accompli, quelle attitude convenait-il de prendre ? celui des tolstoïens, celui des individualistes ou celui des ouvriéristes à la façon marxiste ? Je dirai ici le point de vue de Kropotkine, qui apparaîtra dans cette encyclopédie comme un point de vue hérétique. Les idées de Kropotkine ne sont pas des idées de circonstances, il les avait depuis longtemps exprimées

et notamment lors de son dernier voyage à Paris en 1913.

« Ce serait un recul pour toute la civilisation européenne que le triomphe du militarisme allemand, militarisme modèle, que s’efforcent d’imiter les militarismes rivaux et qui est, sinon leur raison d’être, du moins la raison de leur force et de leur splendeur. Le triomphe du militarisme allemand serait celui de l’Autorité et la prédominance de l’esprit d’obéissance et de discipline, qui règnent en Allemagne, même chez les social-démocrates. C’est l’Allemagne qui est la citadelle de la réaction en Europe. Son progrès technique couvre une véritable servitude morale ; les conquêtes morales de la grande Révolution ne l’ont pour ainsi dire pas entamée. Or le facteur moral a une importance énorme pour le progrès humain. C’est pourquoi la France doit être défendue. — Le tzarisme, tout aussi réactionnaire que l’autocratie allemande, est beaucoup moins à craindre, car il ne dispose que d’une civilisation technique très arriérée, et il ne peut vaincre que grâce à l’appui des démocraties occidentales. Même victorieux, il sera fortement ébranlé et il ne peut rien imposer. Mais ce serait un danger immense pour l’Europe que la Russie passât sous la tutelle allemande. La victoire germanique restaurerait l’autorité tzariste et le régime des hobereaux avec une administration plus serrée, plus stricte, plus méthodique, avec une organisation technique moderne au service de la réaction féodale, qui scelleraient pour des siècles la servitude des moujiks et le silence effrayé du monde entier. »

Les rivalités impérialistes n’ont pas disparu après la guerre de 1914-1918. Mais sans doute ne pourront-elles pas reproduire un tel cataclysme. Certes, les expéditions coloniales continueront, tant que les peuples exotiques ne seront pas arrivés à l’esprit d’émancipation. Mais les grandes guerres demandent argent et crédit, un crédit énorme. Elles ne payent pas. Elles sont un j eu dangereux. Elles obligent les gouvernements à armer la nation toute entière. En cas de démoralisation, c’est-à-dire en cas où le sentiment d’obéissance faillirait (ce qui se produit avec la défaite), les gouvernements risquent d’être balayés, et le régime capitaliste en même temps. Voilà pourquoi le risque des grandes guerres parait écarté en Europe.

Que reste-t-il au bénéfice de la guerre, en général ? Peut-être celui d’avoir brassé les peuples et d’avoir aidé aveuglément à la disparition des vieilles coutumes et à la suppression de quelques barrières. Le progrès humain peut désormais utiliser consciemment d’autres moyens. — M. Pierrot.

GUERRE. Nous entendons, par le mot « guerre », un état d’hostilité déclarée, entre deux peuples, ou groupes de peuples, et qui comporte des luttes armées.

Ce mot désignait, dans le passé, deux sortes de conflits armés : les uns, entre nations différentes, appelés guerres étrangères, ou guerres internationales ; les autres, entre deux fractions importantes d’une même population, appelés guerres civiles.

Autrefois, les guerres entre provinces avaient, en effet, les mêmes caractéristiques que les guerres entre nations, l’organisation féodale ne comportant pas la centralisation ni l’unification des pouvoirs. Chaque seigneur pouvait lever une armée, sa vassalité à l’égard du souverain n’entraînant pas sa sujétion ou sa subordination complètes.

Mais, aujourd’hui, la guerre civile se distingue très nettement de la guerre internationale, tant par son caractère intrinsèque que par la nature des groupes qu’elle met en présence. Elle exprime, le plus souvent, des conflits entre classes sociales. C’est donc, à présent, la guerre internationale, la guerre entre peuples, qui est la guerre proprement dite, et que doit désigner le