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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/310

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HUI
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rades offrirent l’hospitalité aux déserteurs et aux insoumis — ce faisant, ils encouraient une véritable responsabilité ; mais le sentiment de solidarité était assez solidement ancré en eux pour risquer la prison en hospitalisant un de leurs amis (quelquefois un inconnu) qui ne voulait pas se soumettre à l’assassinat collectif.

Donner l’hospitalité ! Ces mots ne sont-ils pas à eux seuls la condamnation du régime présent ? Comment il se trouve encore des hommes, des femmes et même des enfants sans domicile, alors qu’il y a tant de locaux (palais, sièges d’administrations, ministères, banques, casernes, églises, châteaux, hôtels particuliers habités seulement une saison, etc.) qui se trouvent vacants ou employés pour des besognes malfaisantes ? Il est permis qu’un être, parce qu’il ne possède aucun argent, ne puisse, en arrivant dans une ville, trouver une chambre où coucher ? Et cet être n’est-il pas passible de prison ? (Voir Vagabondage). Certes, il est des cas où l’hospitalité n’est pas le fait de la société. Quand, par exemple, un camarade se rend d’une localité à une autre et qu’il va loger chez un de ses amis — mais là, ce n’est pas un cas spécifique d’hospitalité ; c’est un acte de camaraderie pure.

Nous travaillons fermement et de toutes nos forces pour l’avènement d’une société où il ne se trouvera plus de sans-abri, où le logement sera assuré à tous. L’hospitalité, alors, aura vécu et ne sera plus qu’un souvenir de la solidarité des hommes au temps où l’iniquité régnait.


HUISSIER n. m. Le mot est ancien : la fonction aussi, hélas ! Le mot vient de huis, qui signifie porte, et qui se retrouve encore dans l’expression usuelle : à huis clos.

Il y a une grande différence entre le portier et l’huissier. Le portier, préposé à la porte extérieure, ouvre à qui s’annonce par le tintement de la sonnette ou le heurt du marteau, sauf vérification ultérieure si le visiteur est indésirable et ne doit point passer le seuil. L’huissier a la garde de la porte intérieure qui donne accès dans un cabinet, un appartement ou une antichambre. Il écarte l’importun. Il admet et introduit l’ayant droit. Chacun sait que les huissiers, avec ces fonctions, se sont perpétués dans les administrations, les ministères, à la Présidence de la République et au Parlement. S’ils portent la chaîne, c’est en souvenir de la monarchie dont toutes les démocraties aiment à conserver les usages au bénéfice de leurs seigneurs. Sous la royauté, les huissiers de la Grande Chancellerie et du Conseil portaient au cou la chaîne d’or avec la médaille du roi. On les appelait les huissiers à la chaîne. La chaîne n’est plus en or, la médaille y cliquette toujours : l’effigie en est changée, et les huissiers à la chaîne ne sont pas exclusivement réservés aux nobles salles ou salons de la Place Vendôme ou de l’Élysée.

Que la justice eût besoin d’huissiers pour le service de ses prétoires, rien de plus naturel. Aujourd’hui encore, elle a ses huissiers audienciers, ainsi appelés parce qu’ils assurent le service de l’audience. Ils font l’appel des causes et l’appel des témoins. Ils occupent une tribune basse au pied du tribunal, et à côté du greffier. Ils revêtent la robe noire sans épitoge. L’épitoge est le bandeau qui se porte en sautoir sur l’épaule et qui est bordé d’hermine. L’hermine est le signe du grade : un rang d’hermine pour le licencié, deux rangs pour le docteur. Quand la licence en droit n’est pas exigée pour l’exercice de la fonction, les titulaires de cette fonction n’arborent pas l’hermine, ni son support l’épitoge, quand bien même ils seraient pourvus du grade qui la confère. C’est une règle de bienséance : la confraternité exige cette égalité. Les avoués, quoique tous licenciés en droit à Paris et dans les villes importantes, portent la robe sans épitoge, car l’un d’entre eux pourrait, théoriquement, n’avoir qu’un diplôme infé-

rieur. Les avocats, tous licenciés, leur statut l’exige, prennent l’hermine, mais les docteurs renoncent au deuxième rang qui est leur deuxième galon.

La robe noire de l’huissier à l’audience n’est pas sa tenue officielle de cérémonie. Le décret du 14 juin 1813 qui est toujours la charte fondamentale de la corporation, a constitué ainsi le costume de ses membres : « habit noir à la française, avec manteau de laine noire revenant par devant et de la largeur de l’habit ». On sait combien Napoléon Ier se montra jaloux d’accorder ou d’imposer l’uniforme même aux académiciens. Encore oublia-t-il de leur dessiner un manteau. Lorsque les immortels enterrent un de leurs confrères, il n’est pas rare de voir, aux obsèques, sous des pardessus de ratine, grelotter dans des « habits verts » des assistants ratatinés.

Le protocole vestimentaire du Premier Empire n’est pas tombé en désuétude. Dans les audiences solennelles du Tribunal, pour l’installation du Président ou du Procureur, on pouvait contempler hier encore la délégation des notaires en habit à la française et culotte courte, le chapeau à cornes sous le bras.

Le décret de 1813 donne à l’huissier une baguette noire, symbole de coercition. Cette baguette, tenue à la main, était, sous les Bourbons, une baguette fleurdelisée, semblable à un bâton de maréchal, mais, au Moyen-âge, une verge analogue à celle dont une tradition contestable arme le poing de Bridoison, dans la pièce de Beaumarchais. Les huissiers se distinguaient, dès leur origine, en huissiers à cheval et huissiers à verge. Les premiers seuls avaient le droit d’instrumenter dans tout le royaume, les autres dans les limites de leur résidence. Instrumenter, c’est délivrer des exploits, dresser les constats, procéder aux saisies.

C’est qu’en effet la justice, pour qu’un défendeur soit mis en état de comparaître et de faire valoir ses droits, ou pour que les décisions rendues soient exécutées par une contrainte légale et licite, a besoin de confier ses missions à des mains sûres. C’est ainsi que les huissiers des prétoires ont paru tout désignés pour cet office ; et, par la suite, d’autres auxiliaires leur ont été adjoints. Il faut remonter à Charles VI pour trouver la première organisation des huissiers. Les lettres patentes de 1402 prescrivent qu’une information préalable soit faite de leur suffisance et loyauté.

« Leur suffisance » c’était un souhait vague, à défaut d’un programme précis. Les États Généraux de Tours, en 1484, expriment le vœu que l’huissier sache lire, écrire et mettre en termes honnêtes les citations de leurs exploits. C’était beaucoup demander ! L’ordonnance de 1563 intervient pour exiger qu’ils sachent au moins écrire leurs noms.

Les candidats étaient nombreux ; on comptait, en 1790, 934 huissiers à cheval et 236 à verge. On était loin de l’ordonnance d’avril 1498 qui avait réduit le nombre des huissiers à 220. La profession, aussi divisée, n’était pas très lucrative. L’huissier s’adjoignait volontiers à son office un commerce. Le décret du 14 juin 1813 lui fait défense de tenir auberge, cabaret, café, tabagie ou billard.

La plupart des auteurs n’établissent aucune différence entre l’huissier et le sergent que le xviie siècle a également connus. Les sergents descendaient en droite ligne des huissiers d’armes chargés de veiller à la sûreté du roi. Le répertoire de Dalloz qui résume la saine doctrine dans toutes les questions juridiques, enseigne que les huissiers procédaient devant les cours souveraines et les sergents devant les juridictions inférieures.

La distinction est-elle exacte ? Il faut la demander au théâtre classique, à Racine dans Les Plaideurs.

Chicaneau et la comtesse de Pimbesche, deux plaideurs forcenés, ont ensemble une conversation qui commence comme l’entretien de Vadius et de Trissotin par des condoléances mutuelles, sinon par des congra-