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Le Congrès international anarchiste se tint à Berlin, du 25 au 31 décembre 1921, et, très sagement, décida ce qui suit : « Le Congrès, après l’intervention d’un certain nombre de délégués, reconnaît la nécessité d’une L.I. et recommande aux camarades l’étude de l’Ido et de l’Esperanto, sans se prononcer pour l’un ou l’autre de ces idiomes. » Pas plus que le Congrès de Lyon, celui de Berlin ne pouvait, en effet, se prononcer en connaissance de cause, n’ayant pas procédé aux études, expériences et essais nécessaires. Cela doit être l’œuvre des camarades que la question intéresse, et les documents sur la L.I. sont assez nombreux pour qu’ils puissent eux-mêmes résoudre la question. Pour l’Ido, nous leur signalons les ouvrages suivants : Petit Manuel Complet en 10 leçons (32 pages) ; Rapport du Grupo liberiaria Idista aux Congrès anarchistes ; La Langue Internationale et la Science (de Couturat, Jespersen, Ostwals, Pfaundler et Lorenz) ; Le Prolétariat et la L. I., de Legrand ; Langue auxiliaire, laquelle ? par de Beaufront.


IDOLÂTRIE n. f. (du grec eidôlom, image, et latreuein, servir). Adoration des idoles. Amour excessif.

L’idolâtrie remonte à la plus haute antiquité. Dès que l’être humain, se dégageant de l’animalité pure, vit naître en lui la Pensée (sous une forme vague, il est vrai), il accorda une importance plus grande aux faits qui se déroulaient autour de lui.

La moindre chose qui se produisait anormalement, par exemple : un rocher se détachant de la montagne, avait pour résultat de le jeter dans un profond étonnement. Son cerveau inculte ne lui permettant pas de se livrer à des investigations méthodiques sur les causes de l’événement, il en vint tout naturellement à diviser les faits en deux catégories : les faits heureux ou favorables, et les faits malheureux ou nuisibles.

C’est ainsi qu’il classa dans la première catégorie : le jour, le soleil qui amène le beau temps propice aux cultures, etc., et dans la deuxième catégorie : la nuit (qui permettait aux bêtes féroces de rôder près de son habitat sans qu’il puisse les voir), la pluie abondante qui cause les inondations, etc.

Seulement il remarqua que, si le soleil était utile pour les cultures, il devenait un véritable cataclysme dans les années de sécheresse. Il fit aussi la remarque que si la pluie abondante était nuisible, elle était un véritable bienfait sous forme d’ondées pour la vitalité des plantes.

Alors il imagina que le soleil était un être surnaturel qui était son ami dans les années d’abondances, son ennemi dans les années de sécheresse. Aussi rendit-il un véritable culte à ce Dieu. Il lui faisait des présents, il lui adressait des prières afin que le soleil voulut bien lui être toujours favorable. Puis il eut l’idée de représenter son dieu par des images. Ce furent des bouts de bois taillés grossièrement, des images tracées maladroitement sur les parois des cavernes, sur les arbres, etc. De là naquit l’idolâtrie (ou adoration des images).

Il n’entre pas, dans cet article, de décrire le processus de l’idolâtrie en général. Naturellement, l’être humain en vint à avoir d’autres idoles que le soleil : la lune, les étoiles, le vent, la pluie, des arbres, et autres objets ayant joué un rôle dans sa vie ou dans celle de ses proches, — mais cela entre plutôt dans le cadre d’un article sur l’origine des religions. Un philosophe, mort hélas ! trop jeune : Marc Guyau, donne sur le culte et l’origine des idoles des explications vraiment intéressantes dans son ouvrage L’Irréligion de l’avenir, que nos amis consulteront avec grand profit.

Au fur et à mesure que la culture intellectuelle se développa chez l’être humain, l’idolâtrie, loin de perdre du terrain, se développa parallèlement. Seulement elle prit des formes plus artistiques. La sculpture, la peinture, l’architecture, la littérature et la poésie virent, dans les

grands courants de renaissance, leurs meilleures manifestations se dérouler en faveur de l’idolâtrie.

Cependant, vers le xve siècle, alors que les arts, patronnés par les papes et les monarques, voient leur essor prendre une magnifique envolée dans le domaine idolâtre, la science et la philosophie commencent à paraître sur leur véritable terrain : l’investigation. Et, petit à petit, des idées se font jour qui, une à une, viennent ronger les fondements sur lesquels les religions établissent leurs cultes idolâtres. Si bien que si au début du xviiie siècle on se prosterne encore devant les crucifix, les loges de saints, les statues de rois, on ne le fait plus qu’ostensiblement, publiquement — de manière à ne pas donner au vulgum pecus l’exemple de l’impiété et du « sacrilège ». Mais tous les feux éclairés ont, en fait, éteint l’idolâtrie de leur cerveau.

Quand, en 1792, le coup décisif est porté contre la royauté et contre les cultes religieux, il semble que l’idolâtrie va être définitivement ruinée dans l’esprit populaire.

Hélas ! il n’en était rien. Ceux qui renièrent les dieux et les monarques, qui se refusèrent à célébrer les cultes, — ceux-là furent en prise à une autre idolâtrie : l’idolâtrie humaine.

Le besoin d’adorer, de magnifier quelqu’un ou quelque chose fit que le peuple se détacha des dieux pour s’en créer de nouveaux — plus près d’eux, ceux-là : les chefs de partis, les grands tribuns, les hommes d’opposition, les généraux, etc., etc.

Les Mirabeau, les Danton, les Marat, les Robespierre, les Saint-Just, etc., se virent en butte à un véritable culte du temps de leur puissance.

Mais cette idolâtrie devait atteindre son point culminant, tourner au véritable délire mystique collectif en faveur d’un homme qui se signala à l’attention publique par quelques victoires remportées en Italie : Napoléon Bonaparte.

Durant quinze ans, pour la presque totalité du peuple français, cet homme fut un véritable Dieu. Adoré jusque dans ses crimes, jusque dans son despotisme, ce tyran qui fut un général ambitieux et cruel, qui rêvait de dominer le Monde, qui amoncela des monceaux de cadavres, qui saigna à blanc le meilleur de la jeunesse du début du xixe siècle, vit encore l’idolâtrie dont il était l’objet grandir en acuité lors de son transfert à Sainte-Hélène.

Une fois abattu, l’être que l’on commençait à appeler l’Ogre de Corse en 1814, regagna toute la popularité perdue, devint un martyr. Les poètes chantaient sa gloire (même Béranger !), les littérateurs d’opposition célébraient son génie, les peintres vendaient très cher des tableaux le représentant.

Mais où cette idolâtrie devait atteindre son point culminant, ce fut en 1840, quand Louis-Philippe demanda à l’Angleterre le retour des cendres de Napoléon en terre française.

Alors, l’enthousiasme populaire ne connut plus de bornes. Victor Hugo lança l’Ode à la Colonne, les bourgeois portaient des cannes dont la poignée sculptée représentait l’empereur ; la presse en général, la littérature et le théâtre, même, célébrèrent la « Grande ( ?) Épopée ».

On oubliait les cadavres, les mutilés, les ruines, — on ne pensait plus qu’à l’Empereur, le « Petit Caporal ». Et il ne fallut rien moins que le règne de la loque qui se disait son neveu : Napoléon III ; il ne fallut rien moins que ce personnage falot et ridicule, dénommé Badinguet par la foule, pour que l’idolâtrie napoléonienne s’atténuât.

Mais encore, combien, parmi le peuple, admirent le grand empereur ? — Les livres d’histoire distribués à l’école ne vantent-ils pas tous, ou presque, le génie du Corse ?…