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pédagogues de la classe possédante, enseignent le respect, la soumission aux lois, qui ne sont édictées que pour la conservation de l’ordre établi par les dirigeants exploiteurs sur les gouvernés travailleurs. Le pauvre, forcé de travailler pour subsister, ne peut étudier ni fréquenter les grandes écoles. Les anarchistes, conscients de l’ignorance populaire, se révoltent contre le favoritisme de l’instruction supérieure. Ils veulent faire comprendre aux spoliés, aux ignorants, qu’ils sont des êtres semblables aux exploiteurs, et aussi aptes à acquérir toutes les connaissances. Les anarchistes luttent pour supprimer les classes qui constituent des catégories supérieures et inférieures dans l’humanité. Ils disent au peuple de se révolter contre l’inégalité, pour ensuite créer une société nouvelle d’harmonie, où chaque individu aura le droit de tout apprendre, afin que l’ignorance disparaisse à tout jamais, et après former dans la solidarité la vraie société humaine. — L. G.

IGNORANCE. Défaut général de connaissances. Manque de savoir. Défaut de connaissance d’une chose particulière. Je ne sais plus quel écrivain a dit que l’ignorance était la meilleure gardienne de l’autorité, mais c’est une vérité profonde. Ce n’est qu’en maintenant de toutes leurs forces les foules dans l’ignorance que les puissances ecclésiastiques et monarchiques sont arrivées à se maintenir si longtemps au Pouvoir. C’est en entravant par tous les moyens l’éducation du peuple que les privilégiés firent peser durant des siècles leur autorité sur le Monde. Naturellement, plus le peuple est ignorant, plus il est facilement la proie des superstitions, des mensonges de toute sorte avec lesquels prêtres et rois dominaient dans l’esprit de l’humble.

Plus l’ignorance des découvertes scientifiques, des spéculations philosophiques, des hypothèses métaphysiques ; plus cette ignorance se maintenait, plus il était facile de continuer à faire adorer et craindre Dieu, à faire croire en ses saints, à faire respecter et vénérer ses pseudo-envoyés. Plus il était facile de spéculer sur les « miracles » accomplis par les apôtres.

L’ignorance est le plus dangereux ennemi de l’ouvrier. Par elle on le maintient dans la misère et le servage, par elle on fait peser sur le populaire toutes sortes de croyances malsaines et on fait patienter les victimes par une soi-disant fatalité.

Par ignorance, en l’an mille, le peuple crut en la fin du monde et laissa les campagnes incultes, amenant ainsi une épouvantable famine dont il fut la première victime. Par ignorance, en 1099, une multitude de pauvres diables partit avec Pierre l’Ermite et Gauthier Sans-Avoir pour aller, à pied ! en Palestine délivrer les Lieux Saints ( ?). Par ignorance, la foule lapidait les alchimistes et autres savants, dont les recherches étaient appelées sorcellerie. Par ignorance, les sorciers, le diable, les lutins, les farfadets et autres balançoires, terrorisaient les simples et les mettaient sous la, coupe des gens d’Église qui. abusaient ignoblement de cette ignorance superstitieuse.

Que de crimes furent commis par ignorance !

Aussi avec quelle ténacité l’Église et le Pouvoir combattirent-ils tous les essais d’instruction du peuple. Combien de savants furent persécutés pour n’avoir pas commis d’autres crimes que de lancer en circulation des vérités qui ruinaient les sophismes et les mensonges des grands. Lorsque Galilée annonça que la Terre tournait, quand Etienne Dolet affirma qu’il n’y avait pas de Dieu créateur, quand Descartes inaugura son système philosophique, ne furent-ils pas tous trois persécutés ? L’ignorance ne fit-elle pas reculer de près de cinquante ans les applications de la vapeur dans la locomotion ? Que d’exemples on pourrait citer d’inventions géniales méconnues ou sciemment enterrées dans les archives par ignorance ou pour maintenir l’ignorance. Les guerres ne sont, elles-mêmes, possibles que par l’ignorance

dans laquelle on maintient le peuple. L’autorité ne peut durer qu’à la condition que les gouvernés soient maintenus dans l’ignorance la plus complète.

Aussi, si maintenant en France, l’instruction publique est obligatoire, il faut voir de quelle façon elle est donnée ! Tous les problèmes sociaux, tous les faits qui pourraient porter à réfléchir sont soigneusement évincés des manuels. On y maintient, en revanche, tous les lieux-communs avec lesquels depuis toujours on maintient le peuple sous le joug. Cette instruction-là est tout bonnement une falsification dans le but de continuer le règne de l’ignorance.

Pas un mot de la question sexuelle. Les enfants doivent rester dans l’ignorance officielle la plus complète sur des organes essentiels à la reproduction, et qui jouent un grand rôle dans l’existence, d’un être. Aussi, combien de jeunes gens contracteront des maladies vénériennes, combien de jeunes filles deviendront mères, uniquement par ignorance criminelle.

N’est-ce pas aussi par ignorance que le pauvre peuple espère toujours pouvoir se libérer avec l’aide des politiciens qui sollicitent ses suffrages ? — Électeur simplet qui croit que le mal vient des personnes, alors qu’il vient des institutions elles-mêmes ; tous les ambitieux, les fourbes, les cupides, les hypocrites, les sacripants et les criminels vivent aux dépens de l’ignorance générale.

Même les partis dits d’extrême-gauche maintiennent le peuple dans une ignorance relative afin de le pouvoir toujours dominer.

Aussi, c’est pourquoi tous les partis, toutes les églises persécutent et calomnient les anarchistes, — parce que les anarchistes veulent intégralement dissiper l’ignorance, parce qu’ils veulent que tout ce qui est du domaine du savoir (comme du reste en tous les autres domaines) appartienne et soit largement dispensé à tous, Parce que les anarchistes veulent détruire tous les préjugés, tous les mensonges, toutes les légendes, et qu’ils font une guerre à mort à l’ignorance.

Les anarchistes sont des révolutionnaires parce qu’ils ne conçoivent pas de changement sociétaire sans résistance de la part des privilégiés actuels. — Mais ils sont surtout éducationnistes — parce qu’ils fondent tous leurs espoirs en l’individu libéré des croyances et des erreurs ; parce que, attendant tout de l’individu, ils savent que le résultat sera d’autant plus grand que l’individu sera évolué intellectuellement.

Il faut combattre de toutes nos énergies l’ignorance : source de tous les crimes, de toutes les erreurs, de tous les esclavages.


IGNORANTIN Cet adjectif est celui que s’étaient donné, eux-mêmes, les frères de la charité, dont l’ordre fut fondé en 1495 par le Portugais Jean de Dieu, et introduit en France, en 1601, par Marie de Médicis. Une chronique de 1604, citée par l’Intermédiaire du 25 juillet 1864, signalait leur présence à Paris en ces termes : « Dans le faubourg Saint-Germain-des-Prés, se sont établis les Frati ignoranti, autrement dit de Saint Jean, lesquels sont très savants ès-remèdes de toutes maladies ; ils s’appellent ainsi par une façon de modestie, et ne cherchent pas les disputes de paroles. »

L’ordre des frères de la charité, ou frères ignorantins, avait été créé pour secourir les malades pauvres ; c’est encore, aujourd’hui, le but de ses institutions connues sous le titre d’Œuvres de Saint Jean de Dieu. Par la suite, ces frères s’occupèrent de l’éducation des enfants pauvres. (Dictionnaires Bescherelle et Littré.)

Le Dictionnaire de l’Académie Française désigne, sous le qualificatif de frères ignorantins, ceux de la congrégation de Saint Yon ou des frères des écoles chrétiennes, qui fut fondée par J.-B. de la Salle, chanoine de l’église de Reims. Antérieurement à cette fondation, le père Barré, minime, avait institué la communauté des frères et sœurs des écoles chrétiennes et charitables de l’Enfant