vent à leur roi, que n’ont possible tous les autres ordres et religions ensemble. »
Car le but de l’école ignorantiste n’est pas d’instruire ; il est d’apprendre à obéir. Pour cela, elle met à sa base l’infaillibilité de ses professeurs et de son enseignement ; elle interdit la discussion, combat l’esprit critique et le libre examen ; elle commande la foi et l’obéissance passive. Obéir ! Pour obtenir ce résultat, l’école ignorantiste emploie tous les moyens de dressage, depuis la privation de dessert au réfectoire jusqu’à la torture dans les cachots. Saint Augustin disait au ve siècle : « Plutôt la mort que le retour à l’école de notre enfance ! » Au xxe siècle, on fait faire à des fillettes des croix de langue sur des sièges de cabinets, on retrouve encore de petits cadavres dans des placards, et des malheureux traînent toute leur vie les stigmates d’ignobles tortures subies dans leur enfance. C’est par un système de terreur et d’abrutissement continus qu’on arrive à la soumission absolue du jésuite qui n’a plus de pensée, de conscience, d’activité personnelles, et qui est livré à ses maîtres perinde ac cadaver (comme un cadavre). L’ignorantisme d’État n’est pas moins abrutissant pour obtenir l’obéissance complète du soldat. Comme disait Larousse : « On pourrait inscrire le perinde ac cadaver sur la porte de toutes les casernes. »
C’est pour lutter contre le protestantisme que Barré fonda les écoles chrétiennes. (Voir Ignorantin.) Ce protestantisme, après avoir jeté un flot de lumière dans les basses-fosses de l’obscurantisme catholique, se rallia peu à peu à l’ignorantisme en même temps qu’au conservatisme social. Il y a longtemps qu’il ne proteste plus. Genève se montra trop souvent digne de Rome dans l’intolérance et la persécution de la pensée. La monstrueuse célébrité de Torquemada semble avoir empêché Calvin de dormir.
Les Indépendants, les Anabaptistes anglais, au xviie siècle, étaient hostiles à l’instruction : « bien qu’ils eussent parmi eux des lettrés accomplis tels que John Milton, le colonel Hutchinson, et d’autres, il régnait dans leurs rangs une défiance profonde à l’égard de l’instruction, et elle a été constatée par des écrivains de toutes les nuances politiques. Dans ses Sermons, le Dr South fait remarquer que toute instruction était décriée au point que chez eux les meilleurs prêcheurs étaient les gens qui ne savaient pas lire, les meilleurs théologiens, ceux qui ne savaient pas écrire. Dans toutes leurs prédications, ils avaient de si hautes prétentions à l’Esprit-Saint que certains d’entre eux étaient incapables de déchiffrer une lettre. Pour eux, l’aveuglement était la qualité essentielle d’un guide spirituel… Une Ballade loyaliste disait ceci :
Nous détruirons les Universités,
Où l’on répand l’instruction,
Parce qu’elles emploient et encouragent
Le langage de la Bête.
Nous mettrons les Docteurs à la porte,
Ainsi que les talents, quels qu’ils soient ;
Nous décrierons tous les talents, toute l’instruction,
Et holà ! alors nous nous élèverons.
On retrouve cet état d’esprit dans certaines déclarations « ouvriéristes » de notre temps.
L’Église continue, avec une persévérance inlassable, l’œuvre d’ignorantisme poursuivie à travers les siècles par toutes les religions. Elle est l’aigle légendaire qui ronge sans cesse le foie de Prométhée, père de la civilisation qu’elle tient enchaînée dans les superstitions et qu’elle empêche de se développer librement et pour tous. C’est le même esprit d’obscurantisme qui fit déchirer Orphée par les Ménades, boire la ciguë à Socrate, périr Hypathie au ve siècle, brûler Etienne Dolet au xvie, qui, au xxe, prêche encore le massacre des hérétiques
Voilà le nouvel avatar des modernes sophistes qui oublient, ou feignent d’oublier, que pour amener la régression sociale à laquelle ils s’emploient, il faudrait l’aveuglement d’une foi que le catholicisme lui-même a éteinte par ses agissements. On pourrait leur répéter