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INA
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théoriquement impossible dans un milieu de solidarité et de franchise.


INAMOVIBILITÉ n. f. Qualité de la fonction, du poste dont le titulaire ne peut être relevé. C’est ainsi que la magistrature française est inamovible parce que les juges ne peuvent être relevés de leurs fonctions par voie administrative.

Les petits fonctionnaires des ministères sont inamovibles. Une fois entrés dans cette carrière, ils y restent généralement jusqu’à la fin de leurs jours. C’est cette inamovibilité des fonctionnaires qui fait que n’importe quel changement de ministre n’amène aucun dérangement dans les us et coutumes du lieu et des services. L’incompétence ordinaire d’un homme politique appelé à détenir les portefeuilles les plus disparates rend indispensable l’inamovibilité du personnel préposé aux rouages essentiels des ministères. C’est lui, en réalité, qui, rompu aux besognes de la charge, en assure, contre un perturbateur passager, l’équilibre et l’homogénéité. « Un ministère passe, les bureaux restent »…

Pour éviter l’envahissement du Sénat par les partis de gauche, l’Assemblée Nationale, en 1875, nomma des sénateurs inamovibles. Le Sénat continua cette tradition jusqu’en 1884, tous les sénateurs promus à l’inamovibilité étant, bien entendu, pris parmi la droite réactionnaire de cette assemblée.

L’inamovibilité des fonctionnaires ou des parlementaires disparaîtra, avec le régime qui les maintient, lorsqu’on instaurera la gestion du travail par les seuls travailleurs et qu’on supprimera tous les intermédiaires sociaux qui sont les excroissances d’une société parasitaire.


INCAPACITÉ n. f. Défaut de capacité, d’aptitude, d’intelligence, d’habileté ; manque de qualités suffisantes.

La plupart des politiciens se sont montrés, quand les circonstances les ont portés au pouvoir, dans l’incapacité — compliquée d’ailleurs d’intéressé mauvais vouloir — d’appliquer leur programme. Les théories réformistes ou révolutionnaires à base autoritaire : radicales, socialistes ou communistes, ont montré, plus encore que l’incapacité des chefs et des membres des partis, l’insuffisance flagrante de leur programme dans la solution du problème social.

Tous disent, car ils entendent bien en être les chefs, que la classe ouvrière est incapable de se conduire seule, qu’il faut une élite, un parti politique, une assemblée d’hommes suffisamment intelligents pour la diriger. Mais si le milieu social paralyse son éducation et rend difficile sa culture générale, des hommes, issus d’elle et demeurés parmi elle, ont, dans le domaine propre de la production, des connaissances et des ressources techniques auquel ne peut suppléer le verbiage des meneurs professionnels. Et leur compétence pratique en face des problèmes du travail, leur capacité organisatrice sont des qualités précises qui manquent à la plupart des dirigeants, éloignés par leur situation des véritables intérêts du peuple.

Les radicaux et les républicains-socialistes mettent leur confiance dans la démocratie sociale parlementaire ; les socialistes révolutionnaires et les communistes proposent au lendemain de la révolution une dictature d’État exercée par leur parti au nom du prolétariat.

Radicaux et républicains-socialistes ont été et sont encore, en France, politiquement régnants : les travailleurs n’en continuent pas moins à être aussi malheureux qu’auparavant.

En Russie, les bolchevicks sont au pouvoir depuis dix ans passés ; et les tentatives d’application du socialisme d’État ont démontré que la classe ouvrière continuait à être, là aussi, tenue, en état de vassalité. Il y a là, d’ail-

leurs, outre l’inaptitude et l’impuissance à transporter d’emblée, dans les faits, des systèmes prisonniers de doctrines artificielles, la désagrégation des meilleures volontés par l’atmosphère des cimes et l’impossibilité d’élever et de maintenir tout un corps d’institutions nouvelles qui ne soit la consciente émanation des masses intéressées.

Par ses coopératives de production et de consommation, la classe productrice a, au contraire, fait la démonstration formelle (encore qu’elle ait été faussée par le système actuel de la coopération) qu’elle avait les capacités nécessaires pour assurer la gestion de ses œuvres. (Voir Coopérative).

L’incapacité, pour les ouvriers, de gérer l’usine sans techniciens, est encore une affirmation gratuite. La plupart, pour ne pas dire tous, des progrès réalisés dans le machinisme, ne sont pas les œuvres d’ingénieurs diplômés. Ce sont les ouvriers eux-mêmes qui, en travaillant, ont imaginé pour leur facilité de travail ou pour le plus grand rendement de leur production, le plus grand nombre des perfectionnements apportés dans l’industrie. Le grand usinier Ford en fait du reste l’aveu dans son livre de mémoires.

Au point de vue juridique, l’incapacité consiste en la privation de l’exercice de certains droits. C’est ainsi que les femmes mariées et les mineurs sont frappés d’incapacité juridique : ils n’ont pas le droit d’intenter une action judiciaire. Les femmes sont incapables civiquement, car elles n’ont pas, en France, le droit de vote, ni d’éligibilité.

Cette incapacité civique de la femme ne nous attriste pas : c’est assez de l’obstination des hommes dans l’impasse de la politique. La femme a, du reste, comme l’homme, toujours la faculté de se révolter. Que ne l’y entraîne-t-elle sur le chemin de leur commune égalité ?


INCARCÉRATION n. f. (du latin in, dans, et carcere, prison). Emprisonnement. La plus grave atteinte et le plus formel démenti à la liberté dont se targuent les gouvernements.

Au point de vue strictement légal, l’incarcération est une mesure préventive ou répressive, suivant qu’elle a lieu avant ou après la condamnation. Quand on sait sur quelles faibles bases reposent les accusations, sur quels faux principes repose l’administration de la justice par les magistrats (voir justice, magistrature, prison, répression), on ne peut qu’être indigné du pouvoir laissé à quelques hommes d’incarcérer qui bon leur semble, au seul gré de leur fantaisie ou des intérêts de ceux dont ils dépendent.

L’incarcération préventive, surtout, est un véritable scandale. Sur un simple soupçon, sur une dénonciation anonyme, sur un stupide rapport de concierge ou de gens qui nourrissent à votre égard quelque ressentiment, vous pouvez être plongés dans un ergastule. Le bon plaisir du juge d’instruction peut vous faire rester plusieurs années en prison malgré qu’aucune charge sérieuse ne pèse sur vous. Rappelons le cas de l’ex-député Paul Meunier qui resta incarcéré près de quatre ans préventivement, par haine politique, et que l’on rendit à la liberté avec un non-lieu pour cause d’innocence.

L’incarcération pour faits de propagande est une honte qui rejaillit sur tous les gouvernements, car dans tous les pays, quel que soit le système gouvernemental : monarchique, démocratique, communiste ou socialiste, les opposants à la politique du gouvernement sont persécutés et incarcérés. Les anarchistes sont ceux qui, dans le monde entier, subissent l’incarcération politique. Rappelons-nous, aussi, l’incarcération douloureuse que l’on fit subir durant sept ans à nos camarades Sacco et Vanzetti, incarcération ignominieuse durant laquelle nos malheureux compagnons eurent la menace