de mort continuellement suspendue sur leurs têtes.
L’incarcération répressive — c’est-à-dire après la condamnation — a pour but de punir et de corriger le détenu, Or, on sait que le résultat n’est jamais atteint, au contraire.
La population des geôles se compose d’éléments hétérogènes ; mais en ne considérant que ceux qui sont habituellement désignés sous le nom de criminels proprement dits, on est particulièrement frappé par ce fait que l’incarcération, qui est considérée comme un moyen préventif contre les délits antisociaux, est justement ce qui contribue le plus à les multiplier et à les aggraver, par suite de l’éducation pénitentiaire que reçoivent les détenus. Chacun sait que la mauvaise naissance, la misère, une ambiance corrompue, le manque d’instruction ; le dégoût de tout travail régulier (aujourd’hui presque toujours pénible et parfois répugnant), contracté dès l’enfance, l’incapacité physique d’un effort soutenu, l’amour des aventures, la passion du jeu, l’absence d’énergie et de volonté, ainsi que l’indifférence à l’égard du bonheur d’autrui, etc., sont parmi les multiples causes qui amènent cette catégorie d’individus devant les tribunaux. On retrouve chez les détenus la plupart des tares et des déchéances de la nature humaine. La prison — milieu claustral et corrupteur — ne les atténue pas : elle les aggrave. Elle répand une contamination redoutable, fait peser plus lourdement sur les malheureux et les égarés ses douloureuses déterminantes…
L’incarcération prolongée détruit, en effet, fatalement, inexorablement, l’énergie d’un homme, et elle tue plus encore en lui une volonté dont la prison ne lui offre pas l’exercice. Être volontaire, pour un détenu, c’est se préparer avanies et souffrances. D’ailleurs, la volonté du détenu doit être brisée, et elle l’est. On trouve encore moins l’occasion de satisfaire le besoin d’affection, Car tout est organisé pour empêcher tout l’apport entre le détenu et ceux pour lesquels il éprouve quelque sympathie, soit au dehors, soit parmi ses camarades. Physiquement et intellectuellement, il devient de plus en plus incapable d’un effort soutenu. Et s’il a eu, autrefois, de la répulsion pour un labeur suivi, ce dégoût ne fera que s’accroître pendant les années de détention. Si, avant d’entrer pour la première fois en prison, il se sentait éloigné d’un travail monotone, rude ou exténuant, l’impossibilité d’un apprentissage l’ayant tenu souvent à l’écart du métier, ou s’il avait de la répugnance pour une occupation mal rétribuée, c’est maintenant de la haine qu’il éprouve contre l’effort même qui lui serait salutaire. S’il avait encore quelques doutes touchant l’utilité des lois morales courantes, il en fait litière désormais, dès qu’il a pu juger les défenseurs officiels de ces lois et apprendre de ses codétenus leur opinion à ce sujet. Et si le développement morbide de ses penchants passionnels et sensuels l’a entraîné à des actes excessifs et délictueux, ce caractère s’accentue davantage quand il a subi pendant quelques années le déprimant régime de la prison. C’est à ce point de vue, le plus dangereux de tous, que l’éducation pénitentiaire est la plus funeste.
Après l’emprisonnement, le voleur, l’escroc, le brutal, etc., est plus que jamais orienté vers les expériences annihilantes du passé. Les anciens errements le reprennent, la récidive le guette. Car les attraits de « l’irrégularité » ont aiguisé pour lui leurs séductions. Par la pensée et à la faveur des promiscuités de la détention, ne s’est-il pas davantage enfoncé dans une fange où s’enlisera sa vie ?… Des initiations nouvelles ont enrichi son vice, perfectionné sa méthode, et il va pouvoir, croit-il, se rire des embûches et des sanctions. Singulière ambiance de « relèvement » que toutes les circonstances liguées pour achever un homme… Il sort plus acharné contre la société et il trouve une justification plus fon-
L’incarcération n’est qu’un reste barbare de la loi du Talion. La vindicte sociale est monstrueuse mesquine et elle reste sans effet sur les gens qu’elle prétend corriger ou guérir. Elle est fonction même de l’autorité qui ne peut vivre sans répression.
Nous aurons, en même temps qu’à supprimer l’organisation de la « justice », à jeter bas toutes les prisons, à rendre impossible cette brimade cruelle et absurde, ce supplice à la fois moral et physique (et, dans tous les cas, inopérant) qu’est l’incarcération. — Louis Loréal.
INCARNATION n. f. (du latin incarnatio). Union à la chair. Théologiquement, démarche caractéristique (qui fait l’objet d’un des principaux mystères de la religion catholique) par laquelle la Divinité a témoigné de son attachement à la créature et coopéré à sa rédemption, en s’unissant à un corps humain. Jésus-Christ est le Dieu incarné des chrétiens. « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Saint Jean). Le dogme de l’Incarnation, attaqué par de nombreuses hérésies (Apollinaire, Nestorius, Eutychès, etc.) et formulé par les conciles d’Éphèse, de Chalcédoine et de Constantinople (680), est demeuré, au xvie siècle, à l’écart du grand schisme, Luther et Calvin ne l’ont pas contesté. Et les tendances réformatrices issues du protestantisme ont respecté l’essentiel de la doctrine… (Noël est la fête de l’Incarnation).
Sur ce point comme en beaucoup d’autres, le christianisme n’a fait qu’emprunter, en la rajeunissant, une des formes de leur culte aux religions du passé. Les animaux sacrés de l’Égypte — le bœuf Hâpi, notamment — étaient des incarnations divines. Le brahmanisme avait ses descentes sur terre, ses avatars : Vishnou s’est, à plusieurs reprises, incarné… L’incarnation participe d’une tenace anthropolâtrie. Et les religions, en donnant à Dieu — même accidentellement — des attributs corporels familiers, et plus spécialement humains, répondent à cet irrésistible besoin des foules dont le mysticisme n’abandonne jamais le concret et qui prêtent volontiers au « maître de leurs destinées » leurs traits plus ou moins idéalisés…
Pour le spiritisme, l’incarnation est l’opération par laquelle un esprit prend possession d’un corps et l’anime. Le spiritualisme a ressuscité, pour des besoins de finalité qui ne sont souvent que les tergiversations de la foi, une sorte de métempsychose et voit la perfectibilité des âmes à travers le processus des réincarnations. Il a abandonné, pour le seul réceptacle humain, l’habitat hétéroclite des Hindous. Certaines philosophies idéalistes voient la progression des âmes, après le passage terrestre, se réaliser dans l’immatériel en une ascension indéfinie vers Dieu. Il y a, en toutes ces théories, une préoccupation commune de survie plus ou moins accompagnée de conscience. Elles cherchent à retrouver, en accord avec leur ligne préconçue, le cours d’une évolution en travers de laquelle la mort jette d’indifférentes solutions de continuité. La dispersion matérialiste de l’effort les effraie dans son hétérogénéité, et elles cherchent au fond de leurs aspirations la concordance apaisante d’une harmonie divine…
Au figuré, incarnation veut dire représentation — dans un être humain — la plus complète ou la plus significative d’un type, d’une qualité. Louise Michel fut l’incarnation du dévouement à la cause du peuple. C’est pour une force, un esprit dominant, prendre une forme