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minées par la hiérarchie sociale et l’inégalité entre les hommes qui a sa source dans l’antagonisme des intérêts, dans le régime de la propriété privée, créateur de gouvernants et de gouvernés, d’exploiteurs et d’exploités, de riches et de pauvres.

La Révolution de 1789, très belle mais trop superficielle, n’a proclamé que l’égalité des droits, l’égalité morale. Elle est restée lettre morte. Elle n’a rien donné et il en sera toujours ainsi jusqu’à ce que l’égalité des droits soit consacrée par l’égalité de fait, l’égalité économique.

Un des précurseurs des moins utopistes et qui fut le plus profondément humain du xviiie siècle, l’ami du peuple, Jean-Baptiste Marat, a résumé dans son Plan de Constitution, l’intuition sublime de toute la vérité et de toute la sagesse en écrivant :

« Le but n’est pas de changer le vrai pour du nouveau, mais de le constater par une application toujours plus radicale ».

Et plus loin cette pensée qui, réalisée, assurerait pour toujours la paix, le bonheur et la prospérité pour tous :

« La nature a donné à chacun de ses enfants des aptitudes différentes quant à l’espèce, mais non inégales en valeur sociale ».

La mise en pratique de cette vérité fondamentale sera la fin de tous nos préjugés et de toutes les injustices, parce qu’elle soudera dans une solidarité étroite et universellement consentie, la volonté, l’action et la réalisation humaine par la prise de possession et la mise en commun de la planète, de son sous-sol, son sol, son sur-sol et de tous les instruments de production, œuvre collective de l’humanité présente et de toutes les générations qui nous ont précédées sur la rondeur de notre monde sublunaire ; par l’équivalence de tous les travaux, manuels et intellectuels qui s’étayent et se complètent mutuellement ; et par l’assurance pour chacun et chacune de recevoir sa quote-part égalitaire sur le rendement social.

Ceci, qui réalisé nous paraîtra aussi simple et facile qu’à Christophe Colomb de faire tenir debout son œuf légendaire, après lui avoir brisé sa coquille, s’accomplira tout naturellement par la solidarisation de la production et de la consommation. Ce sera la fin de tous nos penchants esclavagistes pour une morale imposée, de l’obligation du travail renouvelée de la foi chrétienne de l’apôtre saint Paul et de la pratique du bagne ainsi que du fameux stimulant homicide, qui n’est qu’une forme de l’exploitation humaine, la concurrence.

L’égalité économique, clé de voûte d’une humanité régénérée, porte en elle sa propre loi, assure la continuité du travail volontaire dans l’intérêt de chacun, désormais solidaire de l’effort de tous et élève, également dans l’intérêt de tous et de chacun, le rendement social au maximum.

L’égalité économique, qui est l’Egalité intégrale, ouvrira à l’humanité renouvelée des perspectives insoupçonnées et illimitées de liberté, de prospérité et de bonheur. — Frédéric Stackelberg.


ÉGLISE n. f. (du latin ecclesia ; du grec ekklêsia, signifie étymologiquement : réunion ou assemblée). Par extension : l’ensemble des fidèles d’un même culte, des personnes qui se rallient exactement à un même système idéologique. C’est dans ce sens que l’on a pu parler d’église socialiste, ou d’église anarchiste, pour indiquer que certains protagonistes de ces systèmes exagéraient dans la voie du sectarisme.

D’après les théologiens, l’Église englobe, non seulement le clergé, mais tous les adeptes, tous les croyants, même les plus humbles. Son chef — invisible — est Jésus-Christ. Il y a d’ailleurs une Église invisible, qui combat, dans l’ombre, à côté de l’Église visible et qui

est formée de tous les saints trépassés, des anges, etc. Mais ceci est une autre histoire.

Au point de vue politique et social, la puissance de l’Église a toujours été concentrée dans le clergé, c’est-à-dire en la personne des hommes qui font profession de servir la religion. C’est pourquoi, il est d’usage de donner au mot Église une signification beaucoup moins étendue que celle que je viens d’indiquer. l’Église, pour quiconque ne s’embarrasse pas de théologie, c’est, avant tout, le groupement des prêtres d’un culte donné, avec sa hiérarchie et ses chefs. Combattre l’Église, ce n’est pas, à proprement parler, combattre tous ceux qui se réclament des idées de cette Église, c’est surtout combattre ses dirigeants et ses profiteurs, c’est combattre les castes sacerdotales.

Je me placerai donc à ce point de vue spécial et j’étudierai surtout la vie de l’Église en tant que corporation.

Les corporations de prêtres sont bien antérieures, cela va sans dire, aux religions modernes.

En Égypte (et cette admirable civilisation a vécu 5.000 ans), les villes et les provinces avaient leurs dieux particuliers — et leurs prêtres. Dès l’origine, ce fut le régime théocratique, c’est-à-dire le gouvernement des prêtres. Les institutions évoluèrent, ce fut une sorte de féodalité qui s’imposa. Enfin, l’ère des guerres étant venue (elles amènent toujours un renforcement de l’autorité), ce fut le régime de la royauté despotique. Mais : sous tous ces régimes, les prêtres gardèrent leur puissance. Ces monarques absolus avaient besoin d’eux. Les rois n’étaient-ils pas considérés comme des héros, comme des demi-dieux ? On leur dressait des autels et on les adorait. Le culte des morts avait pris un développement incroyable et le peuple obéissait à une foule de superstitions. Aussi chaque ville importante avait son grand prêtre, chef absolu du clergé, lequel, je le répète, était nombreux et indépendant, même sous le despotisme royal, lorsque le gouvernement théocratique proprement dit eut pris fin.

L’exemple de l’Égypte (la plus vieille civilisation humaine), nous permet de constater que le cléricalisme (domination du clergé), est un phénomène social ancien. Sans doute est-il aussi ancien que la religion elle-même. Les croyances, nées de la peur et de l’ignorance, eurent à peine été formulées qu’il se trouva des hommes, plus subtils et plus adroits que les autres, pour les exploiter et en tirer profit. C’est le sorcier, le faiseur de pluie, celui qui sait conjurer les sorts et qui connaît le secret des destins : mots magiques, amulettes précieuses, incantations et prières,

Que les prêtres, dès l’origine, aient éprouvé le besoin de s’entendre entre eux, on ne peut en douter. Assurément ils étaient rivaux et se disputaient la clientèle mais une concurrence trop vive, en dévoilant aux profanes le secret de leur imposture, eût été très néfaste. Ils avaient le plus grand intérêt à se prêter la main, et ils constituèrent ainsi des associations qui allèrent en se développant, qui fixèrent le dogme, précisèrent les rites et formulèrent les règles selon lesquelles le troupeau des fidèles devait être conduit… et étrillé.

Ouvrons la Bible, au Lévitique. Nous y trouvons exposés les principes les plus rigoureux de la théocratie juive. Le peuple de Moïse était gouverné, et solidement, par ses prêtres (ou lévites). Tout est prévu dans cette charte d’Israël : la nature des offrandes à faire aux prêtres ; les péchés et les crimes réprouvés par Jahvé et les châtiments dont les coupables doivent être frappés. Et tout cela est dicté par Dieu lui-même, afin d’empêcher toute protestation.

Si nous nous transportions chez les Perses (sectateurs de Zoroastre), ou dans l’Inde de Brahma et de