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cience son être intérieur, force lui est de s’assimiler toutes sortes d’utilités extérieures, de vagabonder à droite, à gauche, butinant sur les fleurs qu’il peut rencontrer sur sa route le suc qui servira à la confection, au parfum du miel de sa vie personnelle. Rien de ce qui touche à l’individuel, de près ou de loin, ne lui est étranger. Il trouve du plaisir à voir se multiplier le nombre de ses camarades, il fait donc de la propagande. N’est-il pas vraisemblable que, parmi les derniers venus aux idées qui lui sont chères, il rencontre des compagnons de concert avec lesquels il recommencera, demain, telle expérience qui, hier, échoua — faute d’aptitudes ou d’affinités des associés qu’il s’était adjoints ?

L’analyse des différentes tendances de l’individualisme anarchiste n’est pas possible si on ne tient pas compte de ces remarques.

Quant au reproche fait aux individualistes anarchistes de se comporter en « anarchistes bourgeois », ceux qui l’énoncent oublient que le bourgeois reste toujours et quand même un pilier de sa société, la société bourgeoise, où il n’occupe son rang social que grâce au système autorité-exploitation Même quand il s’évade des préjugés et des conventions sociétaires, il le fait en hypocrite, en tremblant, en valet des mœurs sociales, en exaltant publiquement les chaînes sociales qu’il brise en privé. — E. Armand.

INDIVIDUALISME (Mon). — Je suis. Apparence, phénomène ; ou bien réalité, qu’importe. Je suis, c’est-à-dire que je me sens exister comme distinct du milieu. Je me sens : un individu.

J’ai des besoins. Les satisfaire me donne de la joie, du bonheur. Mon bonheur se mesure à la possibilité de satisfaction, à ma puissance. Ma peine, ma souffrance, est la mesure exacte de mon impuissance. Mon activité, qui a pour but constant, la conquête du bonheur, s’exerce à la fois sur le monde minéral, végétal, animal et sur les autres individus de mon espèce. Mais tout, dans l’Univers, lutte, envahit, absorbe. Malheur aux faibles. Seul, j’ai : tout, comme ennemi. Aussi, je recherche la société des autres individus, trop faibles aussi pour vivre seuls. Je passe contrat avec eux. Un contrat qui soit susceptible d’augmenter notre puissance à tous, qui, par conséquent, sauvegarde notre indépendance. Mon contrat, c’est une assurance contre l’intervention des autres Hommes dans ma, recherche du bonheur. C’est le seul contrat social que je peux accepter. Mais je passe d’autres contrats avec des individus désireux comme moi de conquérir telle ou telle jouissance. Le but atteint, le contrat cesse.

Dans la société actuelle, il existe un « contrat social ». Je n’ai pas été appelé à en discuter les termes. Je ne l’accepte pas. Même quand une clause m’est favorable. Ce contrat, on me l’impose. Selon les circonstances, j’en dénonce l’arbitraire. Je lutte pour son abolition. Faible, j’emploie la ruse. En attendant que plusieurs faiblesses s’unissent, pour refuser la reconnaissance des « lois », je désobéis seul, en évitant : le gendarme, le juge, le soldat. Ce contrat unilatéral est basé sur la Force ou le Sophisme. Sa seule réalité réside dans l’ignorance des individus à qui on l’impose. Ceux-ci étant de beaucoup le plus grand nombre, il est évident qu’ils pourraient être la force. Leur acceptation vient de ce qu’ils croient le contrat juste. Cette croyance vient de ce qu’ils n’examinent pas les « valeurs sociales » : Dieu, Patrie, Intérêt général, etc. ; et les Lois qui en découlent : Morale ; Service Militaire, guerre ; Propriété, paupérisme moral et matériel. Aussi la forme principale de résistance et de lutte des individualistes à ma façon, porte-t-elle, sur la provocation à l’examen.

Montrer le mensonge des termes, le sophisme des raisonnements, c’est saper l’organisation imposée. Tendre les esprits, vers la. recherche des contrats libres et pré-

parer la rupture définitive, violente ou non du contrat autoritaire, telle est notre propagande. En résumé : Hors l’autorité, vivre le plus intensément possible, tout de suite, aujourd’hui ; et préparer pour demain un terrain plus riche en expériences. — A. Lapeyre.

INDIVIDUALISME (Socialisme-individualiste). — L’expression de « socialisme individualiste » commence à entrer dans le langage courant de la sociologie, et il faut s’en réjouir. Son adoption plus étendue fera cesser une équivoque. L’idée qu’elle contient, si elle se répand, anéantira progressivement le sectarisme entretenu par tous ceux qui vivent de la division des esclaves et règnent grâce à elle sur des troupeaux ignorants et incompréhensifs, absurdement dressés les uns contre les autres dans une querelle de mots, malgré leurs intérêts communs, au grand bénéfice des exploiteurs et dominateurs de toutes catégories.

D’aucune opposent constamment « individualisme » à « socialisme ». Dans ma pensée, « individualisme » s’oppose à « religions » ; il ne s’opposerait à « socialisme » que dans le cas où l’on entendrait par ce vocable la religion de la société. « Individualisme », dans le sens où je l’entends personnellement, est un mot qui exprime l’indépendance de l’individu par rapport aux idées abstraites auxquelles les hommes se subordonnent comme à des réalités supérieures à eux-mêmes.

Le socialisme est une forme d’association. Or, j’ai déjà expliqué dans mes Réflexions sur l’Individualisme que l’individualisme n’est pas le contraire de l’association, pourvu que celle-ci soit fondée, non sur le sacrifice de l’individu (sacrifice toujours accompli au bénéfice de profiteurs quelconques), mais sur les services réciproques des individus. Le socialisme que préconise un individualiste socialiste est une forme d’association qui offre cette seconde caractéristique et est dépourvue de la première. Si l’adhésion au socialisme qu’on sollicite de l’individu nécessite une mentalité religieuse, imbue d’une religion de la société, l’individualiste sera contre ce socialisme-là. Mais il ne sera pas contre tout socialisme a priori, notamment contre celui qui, loin de l’appauvrir, enrichirait son individualité de libertés nouvelles.

Car le mot d’ « individualisme » signifie encore pour moi : « culture et épanouissement de l’individu ».

J’ai aussi montré que c’est dans le domaine moral, domaine intérieur absolument personnel, qu’il faut situer la solitude de l’individualiste. Ce qui est une autre manière de dire que, d’une façon constante, c’est à « religion », non à « socialisme » que s’oppose « individualisme ».

Donc, un individualiste pourra être socialiste, a une condition : qu’il ne s’agisse pas d’un socialisme religieux, d’une religion de la société considérée comme sacro-sainte, ce socialisme-là devant être forcément destructeur de l’individualité, puisqu’il exigerait des sacrifices absolus, c’est-à-dire sans compensation.

Tel que je le conçois, l’individualisme est la doctrine qui traite de la culture de l’individu en vue de son épanouissement. Il représente une méthode de pensée, d’action et de vie partant de l’individu pour aboutir a l’individu. Il est intégral en ce sens qu’il assure à l’individu, outre les jouissances que celui-ci peut tirer de lui-même, toutes les jouissances communes, que peut dispenser la société et dont l’individu serait privé s’il vivait isolé. Il est différentiel en ce sens que, la satisfaction de ses besoins primordiaux lui étant garantie, l’individu peut s’épanouir en toute originalité, aller jusqu’au personnalisme.



Mon individualisme n’est pas antisocial a priori. Il ne l’est qu’accidentellement. Il le sera chaque fois que la société se montrera anti-individualiste, comme c’est