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fuelhes, les Yvetot, etc., ont montré aux ouvriers que les ennemis du prolétariat formaient une sorte de trinité : patrons, gouvernants, politiciens. Les anarchistes ont mis en application leurs procédés d’organisation fédéraliste dans le syndicalisme, et leur influence y persiste malgré l’emprise momentanée du caporalisme politique. Les anarchistes se sont efforcés d’habituer les ouvriers à compter sur eux-mêmes et à agir par eux-mêmes, à être les propres artisans de leur affranchissement économique et moral. Les idées anarchistes influencent fortement la littérature et portent avec elle dans les esprits le levain d’indépendance. Surtout depuis quelques années, les conditions économiques imposées par le capitalisme ont mis la femme dans l’obligation de quitter le foyer pour suppléer au salaire insuffisant de son compagnon. La famille s’est désagrégée. La femme a senti grandir en elle un besoin irrésistible d’indépendance. Sous l’influence des circonstances et de sa condition nouvelle, elle s’intéresse désormais davantage aux questions sociales, elle aspire à être l’égale de l’homme. L’union libre tend à se substituer, en fait, au mariage et à ses lourdes restrictions… Une fois de plus les anarchistes auront été bons prophètes qui, de cette nouvelle situation, ont prédit les répercussions. — P. L.


INFRACTION n. f. (du latin in, dans ; frangere, briser). Transgression, contravention, violation d’une loi, d’un ordre, d’un traité, etc. : ils ont fait une infraction au contrat. Les révolutionnaires sont en état d’infraction permanente vis-à-vis de l’ordre établi.

Infraction du ban : action d’une personne condamnée au bannissement, qui revient dans le pays, dans les lieux d’où elle est bannie.

L’infraction est une expression générique sous laquelle on comprend toutes les actions qui troublent les conventions sociales : infraction au droit des gens.

L’infraction des lois, des privilèges. Infraction punissable.

L’article 1er du Code pénal déclare que les infractions punies par la loi de peines criminelles sont des crimes ; les infractions punies de peines correctionnelles, des délits ; celles qui sont punies de peines de simple police, des contraventions. Les jugements de ces diverses infractions sont attribués à des tribunaux différents.


INGÉNIEUX adj. (du latin ingenium, esprit inventif). Plein d’esprit d’invention et d’adresse : homme ingénieux. Fertile en ressources variées et adroites, en ruses, en stratagèmes : c’est par des mensonges, parfois ingénieux, que les politiciens se hissent au pouvoir. « La civilité est un commerce continuel de mensonges ingénieux » (Fléchier).

Se dit également des choses qui marquent de l’adresse, de l’esprit, de la sagacité dans celui qui en est l’auteur : pièce, machine fort ingénieuse ; cette invention est bien ingénieuse. Qui met de l’application et de l’adresse à faire quelque chose : être ingénieux à faire le bien… On le prend quelquefois dans un sens défavorable : « Le cœur est ingénieux pour se tourmenter » (Fénelon). Ingénieux à trouver des fautes. Dans le style, ce qui est ingénieux marque un esprit fin, délié, subtil, mais plus superficiel que profond, un esprit qui saisit ce qu’il y a de plus agréable dans le rapport des objets, et qui sait donner du tour, de la grâce à tout ce qui est dit. Ce qui est ingénieux ne caractérise pas le grand homme, le grand orateur, le grand poète, l’homme de génie, mais davantage l’homme habile et averti, l’intelligence adroite et souple. « Les choses ingénieuses déparent les grandes choses… » a dit un philosophe.


INGÉRENCE n. f. Action de s’ingérer, immixtion. S’introduire, s’entremettre. Se mêler de quelque chose

qui ne vous regarde pas et sans en être requis. Se dit aussi en médecine et signifie introduire par la bouche dans l’estomac : il faut ingérer le contrepoison de gré ou de force.

L’État s’ingère dans notre vie. Il nous considère comme sa chose et se mêle de nos actions les plus intimes. Depuis notre naissance jusqu’à notre mort, il ne nous perd pas des yeux, il nous suit pas à pas. La liberté individuelle ne peut exister dans de telles conditions. Elle n’existera que lorsque l’État sera détruit et, avec lui, le régime capitaliste et les fiches répugnantes qui ont pour objet d’obliger les travailleurs à accepter des conditions de travail draconiennes ou à mourir de faim eux et leur famille.


INHUMAIN, INHUMANITÉ adj. et subst. Inhumain a le sens tristement banal et cruel, d’impitoyable, et caractérise un être porté aux actes méchants et excessifs. Souvent les hommes sont ainsi inhumains collectivement. « Des nations avaient la coutume inhumaine d’immoler des enfants à leurs dieux ». Chez les Ammonites et les Moabites, Moloch était la divinité avide pour l’apaisement de laquelle on brûlait, dans un buste grotesque et symbolique, les enfants offerts en holocauste. D’ailleurs, ainsi que le rappelle Voltaire : « Il n’y a guère de peuple dont la religion n’ait été inhumaine et sanglante… ». L’inhumanité est un vice qui, outre l’absence de sentiment, comporte l’inintelligence des rapports entre toutes les portions du corps social et tend aux satisfactions fermées et unilatérales. Être porté à faire le malheur d’autrui, ne point compatir à ses peines, lui causer de la douleur sans nécessité, jouir même de sa souffrance sont des déformations, des altérations de la normale humaine. Socialement, l’inhumanité est aussi un acte de barbarie en même temps que l’imprévoyance de probables réciprocités : c’est la voie ouverte aux vengeances et aux représailles où les faiblesses et les cruautés humaines se répètent et se prolongent.

Le mot « humain » s’attache aux attributs de l’homme et, « inhumain », au manque de ces attributs. Bien qu’on dise souvent : « Que voulez-vous ? C’est humain », dans le sens de : « Les hommes sont malheureusement ainsi faits », c’est ordinairement avec plus de vanité… humaine qu’on emploie ce mot, comme synonyme de sensible, compatissant. Bref, humain caractérise tantôt l’homme, tantôt ce qu’il y a de meilleur en lui.

Cette dernière acception est d’ailleurs assez vague. Humain devrait dire « partisan des hommes », de l’humanité, mais il est presque toujours usité dans un sens plus restreint, ce qui a provoqué la création du néologisme mystique « humaniste » et l’emploi courant du terme humanitaire pour marquer un intérêt qui s’attache à l’humanité. On est « humain » dans sa famille, sans étendre ce sentiment à la famille voisine ; on peut se sentir lié à un pays, s’y montrer humain, et s’insoucier totalement de ce qui se passe chez un peuple voisin ; d’aucuns se sentent plutôt solidaires d’un clan politique ou religieux : l’individu peut donc être « humain » dans un sens, et « inhumain » dans un autre, et ceci explique la divergence des jugements émis sur des fanatiques ou des extrémistes notoires.

Il arrive pourtant qu’une individualité exceptionnelle, unissant une vaste culture à une grande sensibilité, étende le cercle de sa solidarité morale à l’humanité entière, et, de ce fait, souffre moralement des tortures de ses frères les plus lointains. Parle-t-on de la destruction d’une ville, du massacre de ses habitants : vous vous informez avec intérêt du nombre des victimes, du montant des dégâts. Pour vous, ce récit se ramène à des chiffres qui frappent plus ou moins l’imagination ; l’humain intégral, lui, en est atteint dans sa chair, il en éprouve une réelle souffrance : tel nous apparaît —