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image véritable ou résultat d’une trompeuse perspective ? — la grande figure d’un Romain Rolland.

Mais le monde présente, hélas, trop de famines collectives, trop de barbarie décrite avec force détails par d’amers et talentueux écrivains : chaque jour, l’individu véritablement humain doit faire son plein pour en agoniser pendant un siècle ! Cultiver ou provoquer cette sorte d’extrémisme chez les individus, surtout chez les jeunes, est chose bien dangereuse, cet état psychologique étant intolérable et menant à de regrettables réactions. Car se rendre trop exactement compte de l’énormité de la douleur universelle, c’est être à deux pas de se déclarer impuissant à y remédier, de trouver ridicules et vains les efforts des gens de bonne volonté ; c’est subir une tentation constante d’accepter le tout en bloc, comme une fatalité, sans chercher à réagir ; cela mène trop souvent à détruire en soi la fibre sensible, le caractère « humain » qui fait souffrir à la vue du malheur du prochain. Bref, trop d’humanité peut aboutir à l’extrahumain plein de pessimisme… et d’inaction !

Nombre de militants naguère enthousiastes, aujourd’hui « assagis » ou dégoûtés, nous fournissent des exemples de cette évolution… Les rancœurs qu’éprouve immanquablement tout homme généreux et sensible finissent aussi, parfois, par accumuler dans certains cœurs une sourde rancune contre les hommes ; misanthropes, ils en arrivent même à considérer les malheurs humains comme d’équitables punitions appliquées par une sorte de justice immanente des choses ; incapables de prendre philosophiquement une attitude extrahumaine et snobisme aidant, c’est contre l’humanité qu’ils semblent prendre position… De tels malheureux, une fois au pouvoir, se complaisent dans d’infernales répressions de sanglantes dictatures : haine et mépris du genre humain qui les a trop déçus, perversion causée par l’excès de souffrance morale…

Si le sens moral — « l’élément bonté » des psychologues — peut se trouver ainsi altéré, perverti et même détruit par les circonstances, il peut être aussi, chez certains individus, faussé constitutionnellement, donc avant qu’on puisse pour eux parler de responsabilité. L’hérédité tuberculeuse, alcoolique ou syphilitique détermine même parfois une sorte de « mort morale » complète. Cet état psychologique empêche de sentir si une action est belle ou laide, et le mort moral juge des turpitudes humaines aussi indifféremment que s’il s’agissait d’une quelconque culture de microbes. Un individu de ce genre est dangereux, car n’admettant aucun des postulats des consciences ordinaires, la moindre influence, un simple caprice peut l’entraîner à commettre sans aucun remords, les actions les plus monstrueuses… L’histoire, les journaux nous fournissent de nombreux exemples d’individus de ce genre, exemples impressionnants quand il s’agit de personnages puissants et cultivés, tels Néron incendiant Rome, ou Napoléon jetant sa garde dans un ravin, exemples répugnants quand il est question de déséquilibrés ignorants et traqués par d’honnêtes gens plus ignorants encore, — mais infiniment tristes toujours. C’est aussi un cas de mort morale que dépeint André Gide dans son roman L’Immoraliste, roman qui eut d’ailleurs prêté à moins de malentendus sous le titre de L’Amoral.



L’inhumanité, qu’elle soit totale ou partielle, héréditaire ou provoquée par les circonstances, est donc une infirmité, le résultat de l’aberration ou de l’absence morbide du sens moral. Si l’être inhumain est libéré des atteintes de la compassion, il souffre de ne pas être « chez lui » parmi les autres hommes ; il ne connaît ni la bienveillance, ni la sympathie agissante qui, de gré ou de force enrégimente la plupart des gens normaux pour les batailles humaines qui font le charme et l’inté-

rêt de leur vie… Quant aux tyrans, ces inhumains doublés de potentats, laissons-leur, tout en collaborant énergiquement à les empêcher de nuire, ce que Victor Hugo leur accorda dans un moment de noble inspiration : la « Pitié suprême ». — L. Wastiaux.


INHUMATION n. f. Nous estimons nécessaire d’appeler l’attention sur les souffrances effroyables (les constatations sont là, périodiques) endurées par les enterrés vivants. Le public ne se rend pas assez compte de la légèreté avec laquelle familles et médecins concluent à la cessation de la vie chez un malade ou un moribond et de la fréquence et des risques terribles des inhumations prématurées. Combien de gens réveillés dans l’horrible prison d’un cercueil ont vécu les affres indescriptibles d’une seconde mort que nul appel, dans la nuit sans écho de la tombe, ne peut écarter. Des exemples saisissants ont été cités, les dangers dénoncés en termes pressants. Des savants se sont émus, ont apporté des précisions. L’anatomiste Jacques Winslow, les docteurs Louis, J.-J. Bruhier (lequel cite 81 cas d’inhumations précipitées), le docteur Mure (préconisateur des moyens que nous allons signaler), etc., ont publié des statistiques, des notes, des études. A Orléans, Poitiers, Toulouse, Cologne, etc., en Bohême dernièrement, des faits poignants sont venus, à intervalles divers, souligner les thèses émises sur la précarité des vérifications ultimes. Rares ceux que l’on a pu sauver, nombreux les malheureux dont les traits convulsés, les ongles arrachés, les membres arcboutés témoignaient d’une lutte atroce et stérile…

L’intensité désorganisatrice de la vie moderne, l’abus des stupéfiants dont certains anesthésiques, les « suspensions » hypnotiques, la multiplicité des troubles hystériques et des crises pathologiques issues d’hypertensions nerveuses, ont rendu plus aigu un péril inquiétant déjà et fait rechercher des mesures propres à le réduire. L’Allemagne a ouvert le chemin des précautions pratiques : en certaines villes — dont Berlin — on a créé des « maisons mortuaires » où les corps sont déposés jusqu’à évidence de la décomposition putride. Cette décomposition, qui apparaît d’abord sur le ventre en traces verdâtres à l’endroit des viscères, est, ne l’oublions pas, jusqu’ici le seul signe admissible de la mort. Les manifestations respiratoires peuvent être imperceptibles et l’auscultation cardiaque — si délicate encore et, pratiquement, insuffisamment sûre — est incapable parfois de déceler la persistance du rythme vital affaibli. En deux ans, dans une des villes où fonctionne un service d’examen mortuaire, dix personnes ont été rappelées à la vie grâce au séjour dans les chambres d’exposition. La possibilité d’une seule erreur impose d’ailleurs le recours à des moyens propres à sauvegarder cette antichambre prudente du tombeau, et nous devons en vulgariser l’idée, en stimuler les édifications. Et quand la science — une science toujours relative et sujette à caution : on a vu, par exemple, les prémices de la décomposition accompagner certains cas de catalepsie — conclut enfin au « permis d’inhumer », seule l’incinération, la dispersion du four crématoire, nous est garante que nous ne connaîtrons pas, entre les quatre planches d’un lit souterrain, une agonie horrifiée d’épouvante. — L.


INHUMER v. a. (du latin in, et humus, terre). Enterrer. Ne se dit qu’en parlant des corps humains : inhumer les morts. L’inhumation est l’action d’inhumer.

Législation : Aucune inhumation ne peut être faite sans une autorisation, sur papier libre et sans frais, de l’officier de l’état civil, lequel ne doit la délivrer qu’après s’être transporté auprès de la personne décédée, pour s’assurer du décès. Dans certains cas prévus par les règlements de police, ou en cas d’urgence recon-