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INJ
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Les injures publiques et celles adressées par la voie de la presse se nomment diffamation (voir ce mot). Les injures graves commises envers un donateur ou un testateur autorisent la demande en révocation des donations entre vifs ou des dispositions testamentaires. Une injure grave, faite par un légataire à la mémoire de son bienfaiteur, est aussi l’une des causes qui permettent aux intéressés de réclamer la révocation du legs ; mais la demande doit être intentée dans l’année, à compter du jour où le fait a été commis. (Code civ. 955, 1046, 1047).

La loi distingue deux sortes d’injures : l’injure simple et l’injure qualifiée ou publique. La première est celle qui ne fait allusion à aucun vice déterminé et qui n’a pas été proférée dans un lieu public. Ainsi, les termes grossiers que la colère, l’ivresse, la mauvaise éducation peuvent inspirer à un individu ne, constituent qu’une injure simple. Dans ce cas, l’injure se poursuit devant les tribunaux de simple police, et elle est punie d’une amende de 1 à 5 francs. Lorsque l’injure est qualifiée, c’est-à-dire lorsqu’elle contient l’imputation d’un vice déterminé, elle donne lieu à une poursuite devant un tribunal correctionnel, et entraîne une amende de 16 à 500 francs. Dans le cas où l’injure atteint les grands corps de l’État, les magistrats, les fonctionnaires publics, elle prend le nom d’outrage, et reçoit celui d’offense, s’il s’agit du chef du gouvernement.


INJUSTICE n. f. (du latin injustitia). Manque de justice, d’équité. Abhorrer l’injustice. Se dit aussi d’un acte d’injustice : il a fait une grande injustice. « Il n’y a pas de petites réformes, il n’y a pas de petites économies, il n’y a pas de petites injustices. » (Proudhon). « Une injustice qu’on voit et qu’on tait, on la commet soi-même. » (J.-J. Rousseau). « Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous. » (Boiste). « Toutes les injustices ont été mises en loi. » (Lanjuin).

Ant. : Justice. Équité. (Voir ces mots).


INNÉITÉ s. f. Caractère de ce qui est inné. Employé quelquefois en physiologie, le mot innéité appartient surtout à la psychologie ou, si l’on préfère, à l’histoire de la psychologie. En physiologie, l’innéité s’oppose à l’hérédité et désigne l’ensemble des dispositions individuelles qui ne viennent pas des ascendants. En psychologie, l’école cartésienne a soutenu l’innéité, c’est-à-dire le caractère inné, antérieur à toute expérience, de certaines idées et de certains principes.

Descartes distingue trois sortes d’idées : les idées adventices sont toutes celles qui nous sont données par les sens ; les idées factices (la Chimère, les centaures, etc.) utilisent uniquement des éléments empruntés aux idées adventices et aux idées innées ; ces dernières, que Descartes appelle plus souvent primitives ou naturelles, sont nées avec nous, sont, avant toute expérience, inhérentes à l’entendement. Elles sont trop nombreuses pour que Descartes tente d’en donner un catalogue complet. Il indique de façon un peu étonnante le caractère à quoi on les distingue : « Toutes celles qui n’enveloppent aucune affirmation ni négation sont innées. » Les exemples qu’il en donne ne sont pas moins surprenants : « Comme celles de Dieu, de l’esprit, du corps, du triangle. » On rendrait injustement ridicule la thèse de Descartes, si on ne s’empressait de remarquer que ce qui est inné n’est pas précisément pour lui l’idée mais seulement « la faculté de la produire ». Il explique à un correspondant : « Je n’ai jamais jugé ni écrit que l’esprit ait besoin d’idées naturelles qui soient différentes de la faculté qu’il a de penser, mais reconnaissant qu’il y a certaines pensées qui ne procédaient ni des objets du dehors, ni de la détermination de ma volonté, mais seulement de la faculté que j’ai de penser, je les ai nommées naturelles, mais je l’ai dit au même sens que

nous disons que la générosité ou quelque maladie est naturelle dans une famille. »

Locke réfute la théorie, mais prend le mot inné dans un sens plus étroit que Descartes. Il montre que toute nos connaissances dérivent de l’expérience. Cette doctrine, opposée à celle de l’innéité, est souvent nommée la théorie de la table rase, mots absurdes qui francisent, au lieu de la traduire, la formule scolastique, table rase ; cette métaphore, empruntée aux usages antiques, compare l’entendement du nouveau-né à une tablette lisse, sans aucun caractère gravé d’avance.

Les théories de Descartes et de Locke n’ont plus guère qu’un intérêt historique. Et même peut-être la forme que donne Leibniz à son retour modéré vers la doctrine de l’innéité. Locke répétait après les scolastiques : « Il n’y a rien dans l’intelligence qui ne vienne des sens. » A quoi Leibniz exige qu’on fasse cette addition : « Si ce n’est l’intelligence elle-même. » Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu… nisi ipse intellectus.

La critique de Kant transpose et renouvelle le problème. Kant distingue, dans la connaissance, la matière, qui vient des sens, et la forme que notre esprit impose à cette matière. Nous ne pouvons rien connaître que dans l’espace et dans le temps, ce qui ne prouve pas que l’espace et le temps soient des réalités extérieures à nous, objectives, mais, au contraire, qu’ils sont des formes imposées par notre sensibilité à tout ce qui l’intéresse. De même, c’est notre entendement, c’est notre unité quelle qu’elle soit, ce sont les nécessités de notre pensée qui établissent une liaison entre les phénomènes.

Mais les empiriques récents, tout en admettant, contre leurs précurseurs Locke et Condillac, une sorte d’innéité individuelle et que l’expérience ne se verse pas aujourd’hui dans un vase sans forme, s’efforcent d’expliquer comme acquises par l’évolution et l’hérédité les formes mêmes de notre esprit.

Ici, comme en beaucoup d’autres domaines, le terrain du combat se déplace, mais la lutte me semble toujours se livrer entre ce que je nommerais volontiers le passivisme et l’activisme. Le passivisme a une apparence plus scientifique, puisqu’il tente d’expliquer complètement l’objet de son étude, d’en faire uniquement un produit, de le ramener tout entier à d’autres objets. Un certain activisme, pourvu qu’il reste modéré, me parait plus philosophique. Chaque objet a son individualité. Et, si je prétends expliquer toutes choses par d’autres choses, quelles seront finalement les autres choses expliqueuses ?… Trop poussée, toute explication finit par tomber dans les ténèbres métaphysiques et dans l’abîme de quelque antinomie.

Ce n’est pas une raison de s’arrêter paresseusement. C’est peut-être une raison de ne jamais affirmer dogmatiquement dès que nous dépassons les faits connus. Tout problème concernant les origines est, au vrai, insoluble. Les solutions qu’on en propose sont des rêves utiles à transformer nos inquiétudes en sourires. Mais dès qu’ils cessent de sourire, les voici plus inquiétants et plus noirs que le silence ; et la lourdeur dogmatique est un écrasement de cauchemar. — Han Ryner.


INNOCENCE n. f. (du latin innocentia). Nous ne nous étendrons pas ici sur les aspects multiples (moral, social, pénal, etc.) du problème de la responsabilité qui seront, à ce dernier mot, l’objet d’un examen spécial. Nous ne discuterons donc pas maintenant la valeur du terme innocence opposé à celui de culpabilité. Nous envisagerons seulement les autres acceptions de ce mot.

L’innocence est proprement l’innocuité, la propriété de ce qui ne nuit point, une absence de malfaisance. Des choses, on dira : un remède innocent (pour inoffensif). Des occupations seront innocentes (simples, naïves). Parce qu’ils sont, en principe du moins, dépourvus de malice ou de conséquence, un badinage, des manèges,