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des jeux sont appelés innocents. Mais l’innocence est, chez les êtres vivants, un état neutre et une manière d’être naturelle (elle est d’ailleurs, dans l’espèce humaine, primaire et provisoire). Elle est aussi une qualité faite de faiblesse ou d’ignorance : l’innocence de l’agneau, de l’enfant. Il lui manque cette potentialité volontaire qui donne aux actes un relief moral et en constitue le gage futur, en détermine la ligne. C’est la limpidité sans effort d’une eau qui ne connaît la lutte contre les courants perturbateurs, c’est cette passivité qui faisait dire à Cousin : « La vertu vaut mieux que l’innocence… ».

Avant les premiers contacts de l’amour et sous la sujétion obscure de sa loi, la jeune fille ignorante demeure parée de la pureté convenue de l’innocence. Aux entreprises du mâle, elle n’oppose, hors des avertissements de l’éducation, que la peur instinctive de sa chair. Mais cette virginité physique, dont les religions ont fait un culte et proscrit comme un crime l’abandon (sauf sous le signe de certaines « adaptations » sociales), et dont les mœurs ont ensuite anormalement prolongé l’état, s’accompagne souvent, dans des résistances contre-nature, compliquées d’une initiation vicieuse, d’une atmosphère de perversion qui a ses répercussions physiologiques et ses déformations mentales. La sainteté qui, sous prétexte de morale, revêt la feinte d’un manteau d’innocence, ne fait ainsi qu’ajouter au fardeau des hypocrisies humaines. Et « la pudeur a sa fausseté où le baiser avait son innocence », comme disait Mirabeau. Il n’y a pas d’innocence qui puisse voisiner avec l’arrière-pensée : la franchise est son essentiel attribut…

En théologie, l’innocence a l’ampleur et la puissance d’un symbole. C’est la pureté de l’âme que n’a point souillé le péché. « Adam fut créé dans l’état d’innocence ». De cette inclination au mal dont nous apportons la tare originelle, le baptême est le bain sacré de rachat… L’histoire religieuse appelle Innocents (et l’Église catholique consacre à leur mémoire un jour spécial) les enfants juifs dont, selon Mathieu, le roi Hérode ordonna le massacre dans le dessein d’atteindre Jésus… Treize « princes de l’Église » ont porté la tiare sous le nom d’ « Innocent »…

Les arts représentatifs ont personnifié diversement l’Innocence. Ici un jeune homme est traîné par la calomnie devant le tribunal du despote (Apelles, Raphaël, etc.). Là, à trois enfants nus un génie apporte un agneau (Rubens). Ailleurs une jeune fille serre dans ses bras un agneau (Dulci, Greuze). Peinture, statuaire ont pris fréquemment l’innocence pour thème allégorique : l’Innocence défendue par l’Ange Gardien (Le Dominiquin) ; l’Amour séduisant l’Innocence (Basio) ; l’Innocence émue par l’Amour (Beguin) ; l’Innocence pleurant un serpent mort (Ramey) ; l’Innocence, statue de Dagand et bas-relief de David d’Angers, etc. — L.


INNOVATION n. f. (latin innovatio). L’innovation est l’action d’innover, d’introduire des changements à un état antérieur. Il se fait des innovations en politique, en littérature, en médecine, etc. De sorte qu’il y a innovation quand on introduit dans le domaine des arts et des sciences diverses un mouvement d’idées qui fait changer, en quelque sorte, la nature de certains faits… Les lois, si elles étaient l’expression de la science et de la justice, constitueraient des innovations sérieuses et profitables à la collectivité. Il n’en est malheureusement pas ainsi.

Actuellement il se produit des innovations multiples, surtout en mécanique et dans les méthodes de production. Dans leurs applications, ces innovations sont, la plupart du temps, indifférentes au bien général et envisagent à peine leurs répercussions sociales. Elles poursuivent avant tout, dans un cadre spécial et limité à quelques personnes, la réalisation d’avantages particu-

liers. Et la collectivité — passive, abdicatrice et singulièrement débonnaire — ne fait qu’assurer aux initiateurs et à leurs soutiens financiers, le libre jeu de leur tentative et l’affermissement conséquent d’une situation privilégiée. Car, des crises économiques qui souvent en résultent, ce sont les masses qui supportent le contrecoup. Et les travailleurs, dont les innovations devraient soulager l’effort et améliorer la condition en sont d’ordinaire les victimes…

En définitive, les innovations et le progrès ne profitent qu’à une minorité bien réduite de producteurs-consommateurs alors que la collectivité, dans son ensemble, devrait en profiter pareillement. C’est « l’ordre » actuel qui le veut ainsi. — E. S.

INNOVATION. Introduction de quelque nouveauté dans le gouvernement, dans les lois, dans un acte, dans une croyance, dans les mœurs, une science, un usage, etc., etc. : c’est une innovation en politique, en législation, en médecine, en littérature.

« Si pour ordinaire, ceux qui gouvernent laissent aller les choses comme elles allaient avant eux, il arrive quelquefois qu’ils font des innovations pour le plaisir d’en faire. » (La Bruyère).

Le gouvernement bolchevique de la Russie a introduit quelques innovations. Les unes sont heureuses, par exemple en ce qui concerne la femme et surtout l’enfant. Les autres sont détestables, tel est le capitalisme d’État.


INOPÉRANT (ANTE) adj. Qui ne produit rien, vague, qui n’est pas précisé. Question inopérante.

La peine de mort, qui souille l’humanité, est inopérante. La prison, l’exil, les exécutions n’ont jamais empêché une idée de faire son chemin. Autant de mesures inopérantes.


INQUISITION n. f. (du latin inquisitio). Enquête, investigation. « Faire une inquisition du jour et du vrai temps de la mort d’une personne » (Patru). Mais surtout « recherche, perquisition rigoureuse mêlée d’arbitraire » (Larousse).

Sous ce vocable, on désigne les tribunaux établis par l’Église au Moyen-âge et dans les temps modernes, pour la recherche et le châtiment des hérétiques… C’est une théorie aussi vieille que les religions, la nécessité de tuer les hérétiques ; et si le protestantisme, quoique venu fort tard, n’a pas échappé à la règle générale, l’Église catholique, elle, a bien continué la série des ignobles patriarches de la Sainte-Bible. D’ailleurs, on conçoit difficilement comment, il en eût été autrement, jusqu’à ce jour.

L’évolution de l’humanité est terriblement lente et s’étage sur un nombre considérable de siècles. Ignorantes, les premières sociétés ne pouvaient baser leurs contrats sociaux, ne pouvaient asseoir leur ordre social, que sur la force ou la religion. Si dans les tribus, le guerrier fut la Loi, l’État ; dans les groupements de tribus, agricoles, le prêtre fut le législateur, et cela se conçoit fatalement. La force, n’est point d’une constance suffisante chez le même individu, ou la même famille, pour assurer au pouvoir la pérennité, la durée nécessaire à l’ordre. Le fort d’aujourd’hui est le faible de demain. Et malheur aux faibles ! En outre, le muscle du puissant guerrier ne résout aucunement les problèmes qui se posent nécessairement à l’esprit humain en éveil.

« Il fait alors appel au prêtre, ou le prêtre s’impose. Et celui-ci, qui sait qu’il ne serait pas obéi, s’il prescrivait une règle en son nom, affirme :

1° Qu’il existe un être anthropomorphe, appelé Dieu ;

2° Que cet être a révélé une règle des actions et l’a nommé, lui, législateur, interprète infaillible de cette règle ;

3° Que Dieu a créé l’âme immortelle ;