cloîtrée entre les tristes murs d’un collège. La mauvaise nourriture, le dortoir où il gelait l’hiver ; le temps réglé à la minute du lever au coucher ; les récréations mêmes passées dans une cour étroite où souvent on se battait ; les promenades en rangs deux par deux sous l’œil d’un pion miteux et maussade.
Les vacances étaient accueillies avec allégresse. Les parents, enchantés de revoir leur enfant après des mois d’absence, le choyaient, le comblaient de friandises et de cadeaux. Puis on partait en voyage à la mer ou à la montagne. Les deux mois passaient féeriques et, après, c’était le triste retour vers le bahut détesté.
Je ne regrette pas mon enfance ; les jours
Du collège me sont un souvenir morose :
Pensums, devoirs, haricots et chlorose,
Et l’ennui qui suintait aux quatre coins des cours.
Ce que l’internat comporte de mauvais tient à la société capitaliste elle-même. Le professeur fait un métier qui l’ennuie ; en général, loin d’aimer les enfants il les déteste, parce qu’il est obligé de les instruire pour vivre. Pour beaucoup d’entre eux, l’élève n’est qu’un numéro, et ils ne s’intéressent pas à son développement intellectuel. Les plus consciencieux prennent intérêt aux quelques élèves qui forment l’élite de la classe ; le reste est tenu, ou presque, pour inexistant.
Quant à la vie, elle est réglée par une administration pour laquelle les élèves ne sont qu’un mal nécessaire. Pour économiser on leur donne une mauvaise nourriture, on ne chauffe pas les dortoirs, on réduit la lumière. Les grands jardins que l’on montre aux parents pour les allécher sont interdits aux écoliers. On veut pouvoir ne pas les perdre de vue un seul instant, par crainte de la chute, du coup, de l’accident quelconque qui amènerait une « histoire » avec les parents.
Malgré la surveillance, les mœurs contre nature s’installent au dortoir, aux commodités. Les plus grands font à leurs cadets une éducation sexuelle de méthode déplorable. Les élèves des classes supérieures, pubères déjà, sont martyrisés par le besoin génital ; dans leurs nuits sans sommeil ils mordent leur traversin. Tous pratiquent l’onanisme ; quelques-uns deviennent pédérastes. Dans leurs rêves la femme (la fille du prolétariat, bien entendu) apparaît comme un gibier lubrique, et aux alentours du bachot c’est dans la chambre sordide d’une fille de trottoir qu’ils connaîtront l’amour pour la première fois.
Mais l’internat pourrait être tout autre qu’il n’est. Le lycée, bâti hors des villes, pourrait être aéré et gai. Les élèves, en dehors des heures d’étude, s’ébattraient aux jardins dans une liberté à peu près complète ; les dortoirs, inconfortables, pourraient être remplacés par de petites chambres pourvues du confort. Des éducateurs aimant la pédagogie, seraient des maîtres aimés et feraient l’éducation morale de leurs élèves.
Car, au point de vue de l’instruction, l’internat est bien supérieur à l’externat. La famille contredit le collège et lui est presque toujours inférieure. L’enfant apprend de ses parents à mépriser l’étude et à la considérer comme un bourrage fastidieux auquel il faut s’astreindre, seulement parce que la carrière dépend du succès aux examens.
On a reproché à l’externat de faire vivre l’enfant dans un milieu artificiel qui n’est pas la vie. Ce milieu, en réalité, est supérieur à la vie ; l’enfant y acquiert la foi au travail, à l’effort, au mérite. Il a bien le temps d’apprendre que toutes ces vertus ne sont que fausse monnaie et que ce qui fait réussir, c’est avant tout l’argent et l’intrigue.
L’internat scolaire, généralisé à tous les enfants, aurait pour avantage de les soustraire, dans une grande mesure, à l’influence familiale.
Si l’éducation familiale est mauvaise dans la bourgeoisie, où l’enfant apprend de très bonne heure que l’argent est tout dans la vie et qu’il faut être prêt à faire n’importe quoi pour en gagner, dans le prolétariat elle est bien pire.
L’enfant ouvrier et paysan a, dans sa famille, le spectacle de l’ignorance, de la brutalité, de la méchanceté. Il voit son père rentrer ivre et battre sa mère ; il assiste aux querelles avec les voisins ; il apprend à maltraiter les animaux. A la faveur des conversations il reçoit, pendant les années de l’enfance où le cerveau conserve indéfiniment les empreintes, tous les préjugés de son milieu social. Devenu adulte, il reproduira les parents, ce qui fait qu’il n’y a pas de progrès, ou plutôt que le progrès est très lent.
La société de l’avenir élèvera ses enfants dans des internats. Les classes auront disparu, et nos descendants assisteront à une transformation profonde des mentalités. La religion, si difficile à déraciner tant que l’enfant est élevé dans la famille, disparaîtra en quelques générations, lorsque la société assumera la charge de l’éducation.
On ne verra plus de brutes humaines sales, grossières et alcooliques. L’ouvrier de demain ressemblera, par son aspect extérieur, au bourgeois d’aujourd’hui, et, au point de vue mental, il n’en aura pas les défauts, l’hypocrisie, l’égoïsme farouche.
Enfin l’externat libèrera la femme du lourd fardeau de l’élevage des enfants qui la retient en esclavage pendant les meilleures années de son existence. — Doctoresse Pelletier.
INTERNAT. Tous ceux dont l’adolescence — et une partie de la jeunesse, et l’enfance parfois dès six ans — a connu la longue théorie des études, des réfectoires, des « récréations », des classes et des dortoirs, les promenades alignées sous les ordres du « pion » et les rondes de bêtes en cage sous les galeries et les préaux des cours, et soupçonné, comme dit Mabilly,
« …derrière la porte
La vie qui passe
Dans la rue qui s’essouffle.
Les grands espaces
Illimités…
Et le vent de la liberté
Qui souffle »,
toutes ces années hachées de régularité morne et tyrannique qui défilent sur l’écran du « pensionnaire » ; tous ceux qui ont ensuite — boursiers, étudiants pauvres — tournant la médaille aux faces conjuguées, ajouté leur nom à la liste des « Petit Chose » et des « Amédée Lobuse », qui sont allés, comme disait André Barre, « dans les cavernes de l’Université servir les salamandres », ceux-là ont acquis le triste privilège d’exercer contre l’internat de légitimes représailles. Ils ont tâté, sur le vif, la mise hors le mouvement des corps assoiffés de détente exubérante, touché les effets de la claustration physique et de l’isolement moral à l’âge des élans et des poussées expansives, senti les déformations qu’un régime scolaire anormal fait peser sur des générations cloîtrées pour de stériles travaux, vécu ou côtoyé les perversions qui, de la boîte congréganiste au lycée officiel, ont brisé l’évolution de plus d’un Sébastien Roch… Et ils se dressent en ennemis contre une institution qui perdure, semble-t-il, par l’absurdité chronique de ses méthodes et l’engrenage de ses vices.
Il est superflu de refaire ici — pédagogiquement — le procès de l’internat tel que le conçoit encore notre Université rétrograde. Il est une aggravation et comme le couronnement d’un système dont cette Encyclopédie précise en divers endroits la redoutable nocivité… Rappelons que, dès 1793, après avoir dispersé les Jésuites mais gardé la congrégation, l’Université confie à l’inter-