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darité, dans la consécration de la souveraineté du droit et de la loi consentie. La vraie Société des Nations implique un sur-État comportant les trois fonctions : législative, exécutive et judiciaire. Elle doit être créée par une Constitution mondiale émanant des peuples, et défendue par une police de la civilisation, substituée aux armées nationales. »

Nous admettons qu’un tel internationalisme politique peut comporter des dangers et que, notamment, une force internationale, qu’elle revête la forme d’une armée ou d’une police, peut être un moyen d’oppression des travailleurs par le capitalisme mondial. Mais pourtant ces dangers ne peuvent être comparés en gravité à ceux de la guerre qui nous attend si la solidarité des peuples n’est pas organisée. Aussi toute diminution de souveraineté des nations, tout transfert d’autorité du national à l’international, diminuant les chances de conflit meurtrier, nous paraît donc devoir être encouragée, tant par les cosmopolites qui rêvent l’abolition complète des frontières, que par les libertaires qui poursuivent la suppression complète des États.

Beaucoup de socialistes pensent qu’un régime internationaliste ne sera réalisé que lorsque le socialisme aura conquis le pouvoir dans tous les pays, ou tout au moins dans les principaux pays. En tout cas, un commencement de socialisme entre nations s’impose pour réaliser la paix économique. Il faut, dans une grande mesure, substituer la coopération à la concurrence entre les peuples et harmoniser leurs intérêts.

L’internationalisme intégral implique l’abolition des barrières douanières et l’internationalisation de certaines richesses.

« Il faut concevoir : 1° le contrôle des relations économiques par l’autorité internationale ; 2° la gestion directe par elle de certaines richesses ; 3° il faut lui reconnaître un droit de propriété. Le contrôle des États actuels est fragmentaire, partial et souvent contradictoire. Le contrôle, pour être impartial, doit être universel. On parle avec raison de nationalisation industrialisée. Il faut concevoir et réaliser l’internationalisation industrialisée. Il faut, de même, concevoir et réaliser une propriété collective internationale. Comme on reconnaît un domaine national, on doit reconnaître un domaine humain. Il y a des droits éminents de l’humanité organisée. L’État international doit posséder, il ne saurait être déshérité. La Fédération des Peuples doit devenir une puissance économique. Sans empiéter sur les droits de chaque nation de choisir librement son régime social, il y a lieu d’élaborer un Code international de la propriété, instituant en regard des propriétés individuelles, communales, départementales, nationales, la propriété collective internationale. Certaines richesses du sol et du sous sol, certains détroits, ports, fleuves, canaux, certaines voies ferrées, certaines villes et, d’une façon générale, la mer et l’air doivent être internationalisés. » (Mémoire de L. Le Foyer et R. Valfort).

Enfin, le désarmement moral ne peut être organisé sous une forme permanente que si, en matière d’enseignement, les nations sont sous le contrôle de la communauté internationale. L’internationalisme ne doit pas être seulement politique et économique, mais aussi moral et intellectuel. Il nous semble que sans supprimer les originalités culturelles de chaque nation il y a lieu de rendre obligatoires certaines branches de l’enseignement dans les divers pays : langue internationale, code de morale universelle et histoire universelle enseignée suivant les livres choisis par la section intellectuelle de la Fédération des Peuples.

Ajoutons que sur l’idée de défense nationale, les internationalistes sont divisés. La conception suivant laquelle toute guerre, quel que soit son motif, est toujours nuisible à la communauté humaine, et la participation à

la guerre n’est jamais un devoir moral, se répand de plus en plus dans les milieux internationalistes des divers pays. — René Valfort.


INTERNEMENT n. m. Fait d’interner une personne. Se dit spécialement des asiles d’aliénés.

La loi de 1838 a eu pour but de protéger les personnes contre les internements arbitraires. Elle le fait mieux que la loi de 1790, mais elle remplit encore très mal son but et il a été souvent question de la réviser.

L’internement arbitraire dans les asiles publics d’aliénés est rare. Ces établissements sont gratuits et réservés en principe aux indigents ; personne n’a donc intérêt à y séquestrer des gens dont l’état de folie est contredit par les observations.

Cependant, de temps en temps, il y a des affaires d’internement de personnes qui ne sont pas folles ; du moins au sens littéral du terme, car il n’y a pas de frontière très nette entre la raison et la folie. De la raison absolue à la folie pure, il y a toute une gamme d’états intermédiaires.

Lorsque le demi ou le quart de fou se tient tranquille et garde pour lui ses impressions, il reste en liberté, s’il n’a pas d’argent ; il faut ajouter cette restriction. S’il s’attaque à des gens du commun, il pourra encore rester libre ; car il est assez difficile de faire intervenir le commissaire de police quand le présumé fou ne cause pas de scandale public : cris par la fenêtre, projections d’objets, coups et blessures aux tiers, tentative de suicide, etc. Mais si le déséquilibré s’attaque aux puissants : lettres de menace au Président de la République, aux parlementaires, cris devant l’Élysée, attentats, etc., l’internement est certain.

Dans les asiles privés, l’internement arbitraire est beaucoup plus fréquent. Là, le médecin a tout intérêt à conserver le vrai ou le faux malade pour lequel on le paie très cher. Le plus souvent, c’est la famille qui fait interner. Un vieux père, une vieille mère sont encombrants ; on veut s’en débarrasser par un moyen légal. Rien de plus facile. Le médecin ami est là et il fera le certificat exigé par la loi. Les éléments ne lui manqueront pas. Quel est le vieillard qui n’a pas d’affaiblissement de la mémoire ? S’il n’y a pas de troubles mentaux on en forge aisément les symptômes : la moindre singularité, un chapeau mis de travers, une robe qui n’est pas à la mode, une façon particulière d’essuyer son couvert, tout cela est porté sur le certificat, et le médecin de l’asile privé gardera le malade : il touche pour cela.

Le certificat de folie est la lettre de cachet moderne. Les familles s’en servent pour se délivrer d’un membre gênant : jeune fille trop sensuelle, jeune homme prodigue, épouse ou époux dont on convoite la fortune, vieillard qui tarde à mourir, etc. Toute l’horreur de la société capitaliste a ses effets à la maison de santé privée.

Il y a bien la visite du Procureur de la République ; que vaut-elle au juste comme garantie ? C’est difficile à savoir.

Il faut compter avec l’égoïsme humain, et puis n’importe qui a l’air d’un fou lorsqu’il est interné dans un asile.

L’internement, d’ailleurs, n’a pas pour effet d’arranger l’esprit. Non que la folie soit à coup sûr contagieuse, mais le désespoir qui résulte de l’internement, le fait d’être dans une détention pire que la prison, puisqu’on n’en connaît pas le terme, suffit pour abattre les plus forts.

La loi sur les aliénés est archaïque ; il faut la remanier.

Le système anglais dit de l’open door (la porte ouverte), serait un grand progrès. Tout malade qui n’est pas absolument dangereux, et c’est le cas de la plupart,