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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/468

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IRO
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l’ironie est la seule arme du penseur, de l’écrivain, de l’orateur.

« Dans les écrits où l’ironie vient se mêler à des pensées graves, elle garde un ton qui s’harmonise avec le reste de l’œuvre et ne lui enlève rien de sa gravité. Dans les écrits plus légers, elle peut être simplement enjouée et badine, ou devenir aigre et mordante. Quand Sedaine fait la satire de la société sous la forme d’une épître à son habit, il reste dans le ton de l’ironie badine. Voltaire, qui a manié l’ironie avec tant de finesse, lui a donné surtout une tournure satirique et mordante. » (Larousse).

Socrate, subversif, pauvre, laid, sut admirablement manier cette arme si subtile et terrible contre les sophistes d’Athènes ; contre Prodicus, ce sophiste à l’éloquence pompeuse, renommé pour la distinction et la science de son verbe ; contre Protagoras, que sa réputation et son âge respectable plaçaient au-dessus de tous les autres sophistes ; contre Hippias, que la République envoyait à l’étranger comme ambassadeur aux moments difficiles : contre Gorgias, même, qui avait sa statue au temple de Delphes.

Au Lycée, à l’Académie, chez Gallias, chez Eudicus, partout où le peuple assemblé venait entendre ses idoles, Socrate s’introduisait. Il avait une apparence lourde, voire même stupide, aussi, jamais, le sophiste n’était-il en garde contre ses questions insidieuses. Car c’est par la méthode interrogative que Sucrate déboulonnait ces idoles. mais pour parvenir à se faire entendre, « pour mettre en œuvre son procédé familier, il avait recours à des préliminaires captieux, à des louanges exagérées qui faisaient tomber dans le piège son interlocuteur sans défiance. De là l’extension toute naturelle du sens du mot ironie. Les préambules des discussions de Socrate avec les sophistes sont des modèles d’ironie, dans le sens actuel du mot ». Après qu’il avait placé sa petitesse, sa laideur, son ignorance, auprès de leur grandeur, leur noblesse, leur science, s’excusant de son audace, Socrate pesait une simple question, très claire, très nette, et le sophiste, sans voir le piège, de se lancer dans un long discours… Mais Socrate, interrompait, et, toujours humble, disait : « Un bon coureur, un homme léger et vigoureux peut, par complaisance, marcher lentement et proportionner la vitesse de sa marche à la faiblesse de celui qui ne saurait aller vite ; mais un homme faible n’égalera jamais la vitesse d’un excellent coureur. Il en est de même ici. Vous êtes sans doute capable de faire des discours longs et magnifiques, mais je ne suis pas capable, moi, de vous suivre. Mon esprit ébloui ne sait à quoi s’arrêter, et ma mémoire ne suffit pas pour retenir tant de belles choses. Vous pouvez bien accommoder vos paroles à mon intelligence ; vous pouvez d’un seul mot satisfaire à mes questions, ou procéder par interrogations comme on fait avec les enfants ; car de mon côté, tout ce que je puis, se réduit à interroger ou à répondre. »

Le peuple, riait de la leçon, et des jeunes gens venaient grossir les rangs des disciples de Socrate.

Notre littérature est riche en morceaux d’ironie. On ne peut passer sous silence ce monument des lettres que constitue l’œuvre de Rabelais et que L. Barré présente ainsi dans une édition de Garnier :

« Toute reconstruction présuppose démolition. De hardis pionniers, précédant le gros des travailleurs, ont pour mission de déblayer le terrain et de frayer les voies. Rabelais remplit ce rôle à la tête de l’armée intellectuelle de son époque. Il osa le premier attaquer tout ce que les temps antérieurs avaient légué au sien de germes avortés et corrompus. Vieilles idées, vieilles coutumes, antiques préjugés, croyances absurdes, respects usurpés, il sapa hardiment tout ce qui s’opposait à l’éta-

blissement d’un ordre nouveau fondé sur le développement autonomique de la raison et de la science.

« Mais dans l’accomplissement de cette mission, il lui fallut souvent, comme les soldats d’avant-garde auxquels nous l’avons comparé, recourir au stratagème pour cacher sa marche et ses desseins. La classe de ses contemporains sur laquelle il voulait agir, celle dont l’appui matériel lui était nécessaire, c’était la France officielle de cette époque. Or cette classe, bien qu’ayant le sentiment assez vif d’un certain raffinement artistique et l’instinct plus confus de la science, était grossière, obscène dans ses mœurs et son langage, et se montrait préoccupée avant tout de l’étalage du luxe et des jouissances sensuelles. Rabelais ne pouvait, sous peine d’insuccès, se poser en frondeur universel et tirer sur les siens ; car c’est là ce qui fait la perte et le discrédit de tout moraliste intraitable.

« Il affecta donc le côté frivole de la vie sociale, et s’en fit un voile pour le sérieux de sa pensée. En face de la profusion des cours, il peignit un luxe colossal de festins et de parures ; aux passions belliqueuses de son temps, il fournit, non sans une ironie bien sensible, mainte description de batailles entre géants ; le libertinage grossier trouva chez lui tout son vocabulaire effronté et ses railleuses anecdotes. Enfin un autre genre de prodigalité fut également redressé par l’excès qu’il en étala, à savoir le luxe de l’érudition grecque, latine, hébraïque, historique, médicale et juridique : brillant défaut qu’il est donné à peu d’esprits de pousser aussi loin.

« Mais tout cela n’était que la forme ou l’enveloppe, la coque de l’amande, l’os qui recèle la moelle. L’exagération même révélait aux esprits qui commençaient à s’exercer, le sens caché de ces paraboles. Les lieues carrées de velours et de satin, levées pour l’habillement d’un enfant, laissaient percer les haillons des misérables écrasés par l’impôt ; les océans de vin, les montagnes de victuailles, criaient la soif et la faim du peuple ; la vigueur indomptable du colosse réduisait à néant la gloire des Picrocholes ; et l’étalage scientifique prouvait aux sorbonistes qu’il était facile de les dépasser dans ce qu’ils avaient de moins contestable, leurs efforts de mémoire et leur science rétrospective.

« L’obscénité triviale, outrée, jusqu’à provoquer aujourd’hui un dégoût légitime, cette obscénité qui était alors dans les mœurs, les habitudes, le langage, non point des tavernes et des antichambres, mais des boudoirs, des salons, des palais et de la salle du trône, cette obscénité même, il serait facile de prouver que chez Rabelais elle n’est la plupart du temps que factice. En l’étalant comme à plaisir, l’auteur jouait le rôle de l’esclave ivre de Lacédémone. »

Rabelais lutta avec la seule arme possible : l’ironie. « L’estrapade et le bûcher, ou tout au moins la misère dans l’exil, ne savent point avoir tort, Parmi les contemporains de Rabelais, voyez Dolet, brûlé à Paris en 1546 ; les Etienne, morts dans l’exil et à l’hôpital ; Clément Marot, fugitif et vagabond ; Morus, décapité ; Érasme, inquiété malgré son extrême réserve ; Ramus, victime de haines mesquines dont la Saint-Barthélemy fut le couvert ; Servet, jeté au feu par son ami Calvin ; Zwingle, tué dans la guerre de Cappel ; Vésale, mort de faim à Zante ; Jean Hus, livré au bûcher clérical en violation de l’impérial sauf-conduit ; Bonaventure des Périers, poussé à se donner la mort ; Camoëns, expiant de misère et de désespoir, etc. »

Cependant que Rabelais réussissait à publier la dernière partie de son œuvre, naissait à Alcala de Henares (Espagne), un autre écrivain de grand talent dont l’œuvre maîtresse était pétrie d’ironie, Miguel Cervantès. Son Don Quichotte n’est pas sans rapport avec l’œuvre de Rabelais. Obligé de tenir compte du clergé tout-puissant, Cervantès, comme Rabelais, voile sa