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brables avantages au détriment de leurs inférieurs. En demandant à la loi ou à des règlements administratifs d’exclure quiconque n’est pas du clan, ils gardent néanmoins le beau rôle. Le médecin jaloux du guérisseur se retranche derrière le Code ; pour évincer l’autodidacte nos officiels disposent de décrets anonymes ; et les prétextes abondent quand on veut écarter l’ingénieur non polytechnicien. Or dépouiller injustement les autres, pour son profit personnel ou celui de sa caste, découle d’une jalousie illimitée ; les envieux les plus criminels sont ces privilégiés qui, sans cesse, rabaissent le peuple loin de l’élever. Qu’il soit loisible à chacun d’améliorer sa situation, parfait ; empêcher autrui d’y parvenir est coupable. Pourtant ce dernier but inspire l’appareil répressif de maintes lois, nos élites n’ayant pas, dans la supériorité qu’elles affectent, une confiance assez grande pour permettre que s’installent des concurrents. Juger à l’œuvre le professeur, le médecin, l’ingénieur ! les règlements s’y refusent avec énergie ; et l’on évite ainsi des comparaisons qui ne seraient pas toujours à l’avantage des détenteurs de parchemins. Aujourd’hui comme autrefois, nos élites prétendues s’adjugent le premier rang, grâce à l’exclusivisme et à l’a priori ; nul besoin de valeur effective pour une supériorité faite surtout de négations.

Nos pontifes officiels tonnent contre la jalousie, non des vampires trois fois saints de la classe aisée, mais du pauvre qui crie lorsqu’on le saigne sans ménagement. Diviseur aussi grand que commun des malheureux, dont l’entente sonnerait le glas de notre régime, elle doit pourtant être chère aux gouvernants. Et la multiplicité des échelons hiérarchiques, le savant dosage d’inégalités, qui dressent en adversaires les producteurs d’un même État, ont pour mission d’allumer cette passion génératrice de désaccords. En concédant aux vaincus des droits fort inégaux, Rome ne visait pas un autre but ; et, pour un motif identique, l’Angleterre accorde à ses colonies des traitements très variés. Désunir le parti contraire fut la tactique habituelle des politiques fameux ; son efficacité permet toujours aux minorités dirigeantes de domestiquer le reste des humains. Très larges à la base, très étroites au sommet, nos catégories sociales s’emboîtent comme des cercles de diamètre progressivement restreint, ou plus exactement se superposent tels les étages successifs de terrasses en pyramide. Conséquence, chaque catégorie tend vers la suivante, moins vaste et plus proche du centre, mais dédaigne celle qui précède. Ainsi la jalousie se reporte sur des intermédiaires sans atteindre en général le sommet. Le soldat se plaindra du caporal, qui se plaindra de l’adjudant, qui se plaindra du capitaine, etc., mais, parce qu’il est trop loin, ils négligeront le grand coupable, celui qui commande en chef. La rancune des victimes s’arrête avant d’atteindre les responsables, on maudit le bras en respectant la tête. Une ingénieuse division du travail permet même aux chefs de paraître justes et bons quand ils ne le sont pas. Un général affectera la bonhomie avec le simple troupier, mais voudra que ses officiers punissent pour de sottes futilités ; le ministre, bon enfant pour les solliciteurs, sermonnera l’huissier coupable de les introduire ; le parlementaire, tout miel devant ses électeurs, demandera au préfet d’éconduire les importuns. Ils se réservent la sympathie, laissant aux subalternes les rancœurs ! Rupture d’équilibre entre l’offre et la demande, nécessité du combat pour vivre ou procréer, voilà la racine primordiale de l’envie chez l’animal et chez l’homme. Entre les plantules innombrables qui dressent leurs frêles tiges, au début du printemps, la jalousie serait atroce si, par impossible, elles savaient que les plus énergiques seulement continueront de vivre en automne. Dans la forêt aux pullulations irraisonnées s’entend ; non dans le champ de labour où l’on proportionne la semence au

terrain, ni dans le verger dont les jeunes arbustes sont trop distants pour se nuire. Une multiplication excessive, sans rapport avec les ressources disponibles, rend inévitable le combat ; où une graine suffirait s’en trouve cent, où une plante pourrait vivre on en compte dix : toutes périront si nulle ne vainc. Par contre aucune lutte fratricide sur une terre non surpeuplée, mais un effort de croissance capable d’aboutir aux merveilles de nos jardins ou de nos potagers, Dès lors, pourquoi faire fi de toute prudence, quand il s’agit de perpétuer le genre humain ? Faut-il apporter moins de soins à la procréation, dans notre espèce, que l’horticulteur n’en dépense pour obtenir de belles fleurs ? Science et raison auraient leur mot à dire pour que cesse la jalousie attenante à notre mode de reproduction ainsi qu’à l’injuste répartition des biens faite par la société. — L. Barbedeite.

N.-B. — On trouvera — reprises et développées — les idées de cette étude dans une brochure : Le Règne de l’Envie, que va publier « La Brochure mensuelle »,

JALOUSIE. La jalousie sexuelle est caractérisée par le besoin d’exclusivité dans la possession des êtres que l’on aime, ou que l’on désire. Ce besoin se traduit par la souffrance morale plus ou moins vive que l’on éprouve, lorsque l’on soupçonne, et surtout lorsque l’on constate, qu’ils accordent à d’autres que nous leurs caresses, ou brûlent de les leur accorder. Il en résulte un état de tristesse et de colère, qui peut aller jusqu’au meurtre et au suicide, tout au moins jusqu’à des violences graves. Communément les jaloux recourent a toute sorte de stratagèmes intéressés, pour éloigner leurs rivaux, et ramener à eux seuls l’objet de leurs convoitises. Ils usent tantôt de la prière et tantôt de la menace ; mettent en valeur des principes moraux et des arguments sociaux, dont ils paraissaient n’avoir auparavant nul souci. Les sages seuls s’abstiennent stoïquement, sachant par expérience combien sont vaines, la plupart du temps, ces manœuvres ; combien leur résultat le plus clair est, en nous rendant ridicules ou odieux, d’achever d’éloigner de nous des personnes que nous aurions voulu, pour le reste de l’existence, ou tout au moins jusqu’à extinction de notre flamme, lier à notre destin.

La jalousie n’est pas le produit d’un raisonnement philosophique. Comme l’amour, la haine, la douleur, ou le plaisir, elle surgit en nous indépendamment de notre volonté, et il ne dépend pas de notre caprice qu’elle cesse ou non de nous torturer moralement. Mais ceci n’en légitime pas les excès, et ne comporte point que nous ne puissions réagir contre cette passion détestable, jusqu’à l’empêcher de nuire à nous-mêmes et aux autres, comme il nous est loisible de réagir contre la tyrannie des instincts et l’entraînement des mauvaises habitudes.

L’orgueil est pour beaucoup dans la production de la jalousie. On ne se contente pas de chercher à plaire ; on voudrait plaire plus que tous les autres, et n’avoir qu’à paraître pour les éclipser. En conséquence, on se trouve mortifié lorsque l’on constate que l’on n’attire point tous les regards et, lorsque se détournent de nous des personnes qui nous sont chères et que déjà nous avions conquises, la concurrence nous devient insupportable. On voit ainsi des hommes et des femmes, par pure fatuité, s’efforcer de détruire des unions, afin de se démontrer à eux-mêmes qu’ils sont irrésistibles et que nul ne leur peut être comparé. On en voit qui, n’aimant plus guère une personne et l’ayant presque oubliée, sont transportés de colère en apprenant qu’elle n’est pas, de cet abandon, morte de chagrin et qu’elle a retrouvé, en d’autres étreintes, le bonheur.

Cependant la jalousie paraît être surtout le résultat de la sélection amoureuse. En effet, on n’est guère