Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/500

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
JES
1108

pagnie à faire une pension alimentaire à ceux qui sortiraient, volontairement ou non, de son sein. La charité et la bonté n’ont jamais caractérisé les chers enfants d’Ignace !

Après la dissolution de l’Ordre. — Terminons l’histoire de la très sainte Compagnie. Car ils ont survécu à toutes les condamnations…

Un fait assez curieux : Chassés de partout, ils trouvèrent asile en Russie et en Prusse, pays non catholiques. Le pape Pie VI ferma les yeux et les laissa faire. Pie VII montra à leur égard de meilleures dispositions encore, mais la tourmente révolutionnaire survint, secouant la vieille Europe jusque dans ses fondations.

En 1801, un bref de Pie VII reconstitue la Compagnie, sous le titre de Pères de la Foi, pour la Russie seulement, mais ils ne tardèrent pas à s’infiltrer ailleurs.

Le 17 décembre 1807, Napoléon écrivait à Fouché : « Je ne veux pas des Pères de la Foi, encore moins qu’ils se mêlent de l’instruction publique pour empoisonner la jeunesse par leurs ridicules principes ultramontains. » (Cité par le P. du Lac, Jésuites, p. 121).

A peine Napoléon sera-t-il tombé, que nous verrons les Jésuites rétablis par toute la terre (7 août 1814) — 41 ans seulement après leur suppression.

Cependant, la Russie les avait assez vus et les expulse en 1815. En France, Louis XVIII ne s’emballe pas et ne les accueille qu’avec méfiance. Son successeur, Charles X, plus maniable, leur livrera le pays.

Notre ami Albert Fua écrit :

« Le roi était dévot perinde ac cadaver et dans la main des Jésuites : la France en sera bientôt réduite à regretter Louis XVIII. Il multiplie les procès de tendance ; il rétablit les biens de main-morte ; il accorde sans cesse des privilèges aux congrégations ; l’instruction est livrée à l’ordre, légalement expulsé, des Jésuites. Le prince de Croï, archevêque de Rouen, enjoint à ses curés de dénoncer à leur évêque ceux de leurs paroissiens qui manqueraient à la messe ; ils tiennent un registre de ceux qui ne feront pas leurs pâques… »

C’est le moment où l’on vote la loi contre le blasphème et le sacrilège (1825) appliquant la peine de mort à de simples délits religieux.

Néanmoins, les Jésuites exagéraient leurs manigances et se rendaient odieux, même aux yeux du clergé. Le 3 avril 1826, 74 prélats français remettent à Charles X une protestation solennelle contre les doctrines de la Compagnie de Jésus (Wallon). Ce fut le dernier acte d’indépendance de l’antique Église de France. Depuis lors, elle est restée sous la férule jésuitique et elle a renoncé à toutes ses libertés anciennes (gallicanisme) pour subir sans broncher toutes les injonctions de Rome (n’oublions pas que le Pape blanc n’est qu’un jouet entre les mains du Pape noir, Général de la subtile Compagnie).

Les Jésuites ont traversé sans encombre tous les régimes et toutes les révolutions du xixe siècle. Vers 1840, « bien qu’on ne vit les Jésuites nulle part, on les sentait partout » (Bochmer). Il en est de même aujourd’hui, pour tout observateur clairvoyant.

Le P. du Lac nous livre un aveu précieux (son livre renferme une quantité d’anecdotes et de récits habiles, mais il escamote le fond même de la question jésuite). Il rappelle que, sous le Second Empire, la Compagnie se heurtait aux pires difficultés. Que d’ennuis et de démarches ! Tandis qu’avec le régime démocratique, il en fut tout autrement !

« Que la République nous ait été plus propice, cela est de toute évidence », conclut-il (p. 211). Et il en profite pour insinuer que les Jésuites ne sont pas hostiles à la République.

Parbleu, ils préfèrent une République qu’ils gouvernent à leur guise à une monarchie qui leur résiste — et inversement. Leurs intérêts ont toujours passé avant

toute autre considération. C’est ainsi qu’ils ont fait condamner l’Action française, afin de pouvoir berner et amadouer les démocrates et grignoter les lois laïques — sous les yeux de politiciens complices ou inconscients. C’est ainsi qu’ils font jouer en France la comédie du pacifisme et du libéralisme catholiques — tandis qu’en Espagne, en Pologne, en Hongrie, en Italie, etc., ils soutiennent des idées et des régimes violemment opposés au progrès social. Ces comédiens s’adaptent à toutes les situations et se camouflent adroitement et ils arrivent à faire de nombreuses dupes, même dans les rangs des « partis très avancés », hélas !

L’état actuel de la Compagnie. — Maurice Charny, dans un livre très documenté (Les Atouts du Cléricalisme) vient de dénombrer les forces du Jésuitisme français.

Les Loyalistes ont en effet mis sur pied de puissantes organisations, dont ils sont les animateurs et les dirigeants occultes. Nul n’ignore, par exemple, que le fantoche Castelnau est leur très docile instrument.

L’Association Catholique de la Jeunesse française, qui fait du noyautage jésuite à l’intérieur même de l’enseignement secondaire (n’oublions pas que, jusqu’en 1760, les Jésuites furent officiellement les maîtres de cet enseignement), comprend 3000 sections. Elle organise des retraites fermées, selon la méthode d’Ignace, réservées aux grandes écoles de l’État. Les pseudo-démocrates à la Marc Sangnier sont eux-mêmes passés par ces « retraites », où les cerveaux sont soigneusement pétris.

Les Jésuites font aussi du syndicalisme. La Fédération Nationale des Employés (40.000 membres) est leur œuvre. Elle possède une forte coopérative, des bureaux de placement, et elle adhère à la Confédération française des Travailleurs Chrétiens (C.F.T.C.), qui copie la C.G.T. et s’inspire de l’organisation du Parti Communiste, des syndicats et des coopératives rouges. La C.F.T.C. ne groupe guère que 150.000 adhérents (employés et cheminots surtout), mais elle dépense une grande activité, car les ressources ne lui font pas défaut, on s’en doute. Des « équipes sociales » sont spécialement chargées de travailler la jeunesse ouvrière.

La plus forte organisation de la Compagnie est une association féminine — n’en soyons pas surpris. C’est la Ligue patriotique des Françaises (920.000 adhérentes en 1927, alors qu’en 1902, elle n’en groupait que 3.800). Un autre groupement, l’Association Nationale Catholique de la Jeunesse féminine française, englobait 95.000 membres en 1927.

Les Jésuites ont compris que la femme était appelée à jouer un rôle politique et social de plus en plus important. Plus clairvoyants que les hommes de gauche, ils ont pris leurs précautions pour canaliser cette force à leur profit et nous les voyons dès à présent revendiquer le droit de vote pour les femmes, sachant bien que le cléricalisme en sera le grand profiteur.

Ajoutons que les Jésuites ont également créé de fortes œuvres rurales, des syndicats de fonctionnaires chrétiens, et le lecteur sera convaincu d’un fait : c’est que la Compagnie se modernise… pour mieux subjuguer la société et lui imposer son despotisme.

Dans un remarquable article (publié dans l’Ère Nouvelle du 5 août 1928), M. François Albert attirait également l’attention sur le danger que constitue cette milice internationale : « la Compagnie de Jésus, la plus grande force organique existant actuellement dans notre vieille Europe ». Et cette force est d’autant plus redoutable qu’elle manœuvre et dirige d’autres puissances néfastes, telles que le Capitalisme, l’État-major, la Magistrature, les Parlements. Partout, on trouve les créatures de la Compagnie. La Presse, le Théâtre, l’Édition n’échappent pas non plus à l’action sournoise des Jésuites, et sans