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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/512

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préventives. Par son application périodique plus ou moins prolongée, il concourait vigoureusement à la régénération physique de la race qu’une alimentation exagérée ou vicieuse risquait de compromettre. Il soumettait les organismes saturés de poisons d’origine alimentaire à une salutaire désintoxication. Mais la découverte du jeûne comme agent curatif et d’application thérapeutique est, à notre connaissance, relativement récente.

L’impuissance de la médecine en face de certains phénomènes pathologiques orienta vers d’autres voies les recherches de quelques hygiénistes, plus avisés et en même temps mécontents des piètres résultats obtenus par les procédés à la fois officiels et surannés employés jusqu’alors. La science médicale s’était contentée de combattre la maladie dans ses manifestations multiples sans en rechercher les causes véritables. Et une savante pharmacopée, aussi coûteuse qu’inopérante, s’est lentement constituée sans pour cela résoudre ce problème de premier plan.

Nul ne contestera, cependant, que la santé réalise l’état normal, tandis que la maladie n’est qu’une anomalie. Tout ce qui contribue à fausser ou détruire cet équilibre qu’est la santé doit donc être impitoyablement radié des habitudes humaines. Or, la gourmandise, cette mauvaise conseillère, qui conduit l’homme à d’irrémédiables abus, est parmi les premiers responsables des déchéances physiques qui affligent l’humanité.

Chez le primitif, l’alimentation était beaucoup plus simple et, partant, plus saine que celle de l’homme civilisé. L’art culinaire s’est perfectionné non seulement en dehors mais à l’encontre de l’hygiène. Tout ce qui contribue à satisfaire le palais fut et est l’objet de recherches ingénieuses de tous les gourmets. Nous en sommes arrivés à manger non plus pour satisfaire un besoin mais avec le souci des seules jouissances de la déglutition et dans le mépris souverain de leurs conséquences. Cet état d’esprit s’est malheureusement généralisé grâce à la démocratisation d’aliments et breuvages anti-physiologiques. Et c’est la raison pour laquelle la santé qui, autrefois, était pour ainsi dire l’apanage du peuple des villes et des campagnes, a atteint le degré de précarité que nous lui connaissons.

Il faut cependant nous pénétrer de cette idée aujourd’hui suffisamment démontrée, à savoir que nous vivons, non de ce que nous mangeons, mais de ce que nous digérons. Si nous introduisons dans notre estomac des aliments de composition déplorable, indigestes au surplus et souvent en quantité exagérée, l’élaboration en devient laborieuse. Toute une série de phénomènes anormaux en résultent qui se traduisent par une perturbation dans la nutrition. L’assimilation et la désassimilation se trouvent faussées, donnent naissance à des déchets toxiques redoutables. À la longue, ceux-ci finissent par encombrer l’organisme qui devient impuissant à les éliminer. Cet empoisonnement aux récidives régulières altère la composition cellulaire ainsi que les liquides immergents. Et il ne tarde pas, chez les sujets prédisposés, à provoquer une rupture d’équilibre. Et voilà la maladie déclanchée.

Quiconque, en bonnes conditions physiologiques, résisterait à l’action des infiniment petits, devient d’une fragilité étonnante. L’arthritisme s’installe alors en maître, couvant traîtreusement toute la gamme pathologique, et devient l’état chronique et… normal. Et c’est alors qu’apparaissent, selon les circonstances, les prédispositions et les résistances individuelles : tuberculose, cancer, dyspepsie, grippe anodine ou infectieuse, appendicite, rhumatismes, etc., etc.

Nous l’avons dit plus haut, la Médecine s’avère désarmée devant le mal. Les poisons qu’elle administre sous forme de potions vont encore l’aggraver et lorsque l’organisme aura épuisé ses moyens de réactions dans la lutte qu’il soutient contre les toxiques conjugués, asso-

ciés à l’action microbienne, ce sera la mort, inéluctablement.

Le principal remède, lorsqu’il en est temps encore, le plus simple en tout cas et le moins onéreux, et à la portée de toutes les bonnes volontés : c’est le jeûne que nos pères pratiquaient annuellement. De ces redoutables résidus toxiques dont nous nous sommes saturés pendant des années, quelques jours, quelques semaines de diète hydrique absolue vont nous en débarrasser. Mais voilà, il faut vouloir !

Cette conception du jeûne comme traitement préventif ou curatif de certaines maladies ne peut manquer d’éveiller dans l’esprit du public l’idée d’une prompte mort par inanition. Une démonstration s’impose donc.

Nous l’avons déjà dit : Tout aliment ou fraction d’aliment, non digéré, n’est pas assimilé. Quelles que soient donc la qualité ou la quantité absorbées, si aucune partie n’est incorporée aux tissus organiques, le résultat apparaît le même que dans l’abstention. On peut dire sans paradoxe qu’il est pire : les organes de la digestion, sollicités par la présence de la masse alimentaire, gaspillent en pure perte une énergie qui aurait contribué au rétablissement de la santé fort altérée, et les nouveaux poisons qui naissent d’une pénible élaboration viennent encore alourdir l’effort des réactions défensives. Donc, pour la portion en excès, l’apport est non seulement superflu, il est nuisible. C’est ce qui explique pourquoi, dans certains cas de maladies aiguës ou chroniques, malgré les tentatives de suralimentation l’amaigrissement survient sans qu’aucun traitement puisse l’enrayer. Au contraire, le résultat inverse est maintes fois obtenu chez des sujets atteints d’affections morbides, par la suppression de un ou plusieurs repas quotidiens. L’alimentation restante suffisant pour rétablir leur santé compromise et accroître en même temps leur poids et leur vigueur.

Le docteur Edward Hooker Dewey (de Pennsylvanie) fut un des premiers préconisateurs et apôtres du jeûne thérapeutique. Il obtint des cures merveilleuses par son application méthodique et multipliée. D’abord, comme tous ses collègues, il croyait fermement que tout malade devait s’alimenter pendant la période de traitement. Il pensait que l’abstinence totale, en provoquant un affaiblissement progressif de l’organisme, livrait davantage le sujet aux ravages du mal. Et il tenait pour un axiome le bénéfice de la « surcharge alimentaire », et la recommandait… Le hasard voulut qu’il eût à donner ses soins à une personne alitée de longue date des suites d’une maladie grave. L’acuité de cette affection devint telle qu’à un moment donné — et ce, malgré les objurgations pressantes du praticien — la malheureuse fut dans l’impossibilité d’absorber la plus légère nourriture ni la moindre potion… Pendant de longues semaines, la patiente, sous l’œil anxieux du médecin qui redoutait une issue fatale, ne prit absolument rien jusqu’au jour où, la maladie ayant évolué vers la guérison, l’appétit revint enfin. À la faveur de l’incapacité organique provisoire qui l’avait mise à l’abri d’ingestions intempestives, les cellules intéressées avaient pu accomplir leur besogne de défense et triompher de l’affection rebelle à laquelle une alimentation obstinée ne faisait qu’ajouter de pernicieux éléments.

Ce fut pour le docteur Dewey comme une révélation. De nombreuses expériences identiques le conduisirent alors à l’édification de sa remarquable théorie du traitement par le jeûne qui, par son application généralisée, est susceptible de régénérer des milliers d’incurables. La seule observation du système — préconisé par lui — des deux repas quotidiens suffit à réduire, dans bien des cas, des affections qui, jusqu’alors, étaient demeurées rebelles à tous autres traitements.

En France, le docteur Guelpa était parvenu à des résultats aussi saisissants par l’adoption du jeûne