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« La multitude de ceux qui avaient cru n’était qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait que ses biens lui appartinssent en propre, mais tout était commun entre eux… il n’y avait parmi eux aucun indigent ; tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de ce qu’ils avaient vendu et le déposaient aux pieds des apôtres, et l’on faisait des distributions à chacun selon qu’il en avait besoin. » (Actes, IV, 32 à 35).

Le communisme était déjà pratiqué parmi les juifs, par les esseniens ou thérapeutes (asaya, en syriaque, veut dire médecin), l’une des trois grandes sectes israélites de ce temps-là. L’historien philosophe Philon, dans sa Vie Contemporaine, et Pline l’ancien, dans son Histoire Naturelle, ont décrit leurs doctrines, leur genre de vie, leurs établissements. Voici, d’après l’Almanach Icarien de 1846, un résumé de la description de Philon, grec d’origine juive :

« Parmi la populeuse nation des juifs qui occupe une partie de cette contrée, il y a une espèce de gens qu’on appelle Esséniens ; ils sont, je crois, plus de quatre mille. Ils vivent dans des villages, fuyant les villes à cause de l’iniquité de ceux qui les habitent. Les uns travaillent à l’agriculture, les autres s’occupent des arts ; ils vivent en s’aidant et en se secourant entre eux. Ils n’amassent jamais ni or ni argent, ni ne songent à acquérir de grands fonds de terre pour s’en approprier le revenu. Ils ne demandent absolument que ce qu’il faut pour les besoins de la vie. Presque seuls de tous les hommes, ils vivent sans propriété, par choix et de propos délibéré… Ils ne savent ce que c’est que marchés, boutiques, etc. Il n’y a pas un seul esclave parmi eux ; ils sont tous libres, tous égaux. Ils condamnent la domination des maîtres, non seulement comme injuste, mais comme impie, puisqu’elle viole la loi de la nature qui engendre tous les hommes de la même façon, comme des frères légitimes, non seulement de nom, mais de fait. L’avarice et l’iniquité seules ont souillé cette parenté des hommes et mis, au lieu de la confraternité, la désunion ; au lieu de l’amour, la guerre. Aucune maison n’appartient en propre à aucun d’eux qui n’appartienne par le fait à tous. Toutes les provisions qu’elle renferme sont à tous. Un office pour tous les habitants, un vestiaire commun. Il serait impossible de trouver au même degré, ailleurs que chez eux, cette confraternité qui fait que des hommes unis par les liens du sang ou par l’amitié vivent sous le même toit, partagent le même sort, mangent à la même table, car de tout ce qu’ils ont gagné en travaillant pendant la journée, ils ne gardent rien comme leur propriété particulière ; mais portant tout à la communauté, ils en font la propriété de tous. En sorte que les infirmités ne sont jamais aggravées parmi eux. Les faibles et les malades, et ceux qui en ont soin, ne sont pas négligés ni abandonnés ; ils trouvent leur nécessaire assuré par le superflu des forts et des valides ; et ils peuvent en jouir sans honte, car c’est aussi leur propriété. »

Les Esséniens, que certains prétendent avoir été le milieu originel de Jésus, disparurent au temps de la prise de Jérusalem, sous le règne de Titus. Leurs idées ne périrent pas. Nous les retrouvons, dans le cours des siècles, reprises par les sectaires anarcho-chrétiens, les partisans des « milieux libres », les communistes anarchistes sentimentaux.

Qu’il soit question des esséniens ou de la communauté chrétienne primitive de Jérusalem, il s’agit d’un communisme local ou particulier, réservé à des initiés ou à des disciples. Plus spécialement en ce qui concerne les premiers chrétiens, il s’agit d’un communisme de répartition, non de production. On se trouve en présence de croyants qui ne se quittent plus, ont abandonné tout travail, riches comme pauvres, mais ne veu-

lent pas que parmi eux il y ait quelqu’un de dénué.

Pourquoi ?

Parce qu’ils s’imaginent que la fin du monde est proche et que l’avènement du règne de Dieu est « à la porte », que le Christ ait été un personnage de légende ou historique, que les Évangiles reposent sur des récits plus ou moins falsifiés ou qu’ils aient été fabriqués pour les besoins de la cause, il n’en est pas moins vrai qu’ils annoncent une venue prochaine du Messie, précédé ou accompagné de ses anges. Les textes sont formels : « Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici ne mourront point qu’ils n’aient vu le fils de l’homme venir dans son règne. » (Math. XVI). « Je vous le dis en vérité, cette génération ne passera point avant que tout cela n’arrive. » (Math. XXIV). Ces affirmations ou prophéties se retrouvent non seulement dans les autres Évangiles (Marc XIII, Luc XXI, même Jean XVI, etc.) mais dans les épîtres de Paul, avec une netteté indéniable (par exemple, chap. V de l’épître aux Thessaloniciens).

Séduite par des illuminés ou égarée par des faussaires, de pieux imaginatifs, l’Église chrétienne primitive, durant deux ou trois générations, fut messianique, crut à la Parousie, au proche retour du Christ.

Le communisme de la communauté de Jérusalem fut donc transitoire, circonstanciel, accidentel. A quoi bon amasser des trésors ou accumuler des richesses ? A quoi bon se soucier du lendemain, travailler, produire, puisque vient la fin du monde, puisque si court est le temps ? Même auraient-ils continué à œuvrer au dehors comme artisans ou ouvriers que ce n’était pas sur une base économique que se fondait le communisme de l’Église jérusalémite, il n’était pas non plus universel ; il se limitait à un certain nombre d’humains, sélectionnés, lesquels « n’étaient qu’un cœur et qu’une âme ». Il était d’ordre éthique.

Mais les membres du groupe en question étaient-ils autant d’accord que cela ? Si le livre des Actes au chapitre IV, nous signale le cas — unique – d’un certain lévite, Barnabas, de Chypre, qui ayant vendu le champ qu’il possédait apporta l’argent et le déposa aux pieds des apôtres, il nous rapporte aussi l’histoire d’un ménage chrétien, lequel ayant vendu une propriété, mentit sur le total de la vente et retint par devers lui une partie du produit du champ. L’un et l’autre, nommés Ananias et Saphira, tombent foudroyés aux pieds de l’apôtre Pierre, chef de la communauté, après une apostrophe de celui-ci, cela va sans dire. Ce fait ne montre-t-il pas que le communisme prétendument volontaire de l’Église primitive n’allait pas sans opposition et que les dissidents avaient acquis une telle importance qu’il ne fallut rien moins que le recours à des mises à mort théâtrales pour inspirer « une grande crainte à l’assemblée » ?

L’exemple de la Communauté de Jérusalem ne fut pas suivi et il est probable que ce fut pour subvenir à la détresse où les avait plongés cet essai de communisme mal conçu et mal compris qu’on organisa, un peu plus tard, en sa faveur (dans les autres groupes chrétiens) les collectes dont nous entretiennent les épîtres pauliniennes. — E. Armand.


JUGE n. m. (du latin Judex, de jus dicere, « celui qui dit le droit » ). Pris dans son sens le plus étendu, le mot juge s’applique à toute personne qui apprécie et se prononce sur n’importe qui, n’importe quel sujet, dans n’importe quelle circonstance. Les croyants disent de leur Dieu qu’il est : le Juge infaillible, parce que sachant tout et pénétrant les plus secrètes pensées de tous, il ne peut se tromper ; le Juge impartial, parce que, au-dessus et en dehors de toute passion et de toute influence, il échappe à toute pression intérieure ou extérieure qui serait susceptible d’altérer son apprécia-