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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/534

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JUG
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certaines matières, par les fidèles ; en matière de mariage, de divorce, etc., la foule pieuse méprise les sentences des tribunaux ordinaires ; elle n’admet que celles des tribunaux ecclésiastiques, prête à subir à nouveau la domination de ces derniers, si l’État laïque se prêtait aux abdications que l’on cherche encore aujourd’hui à lui imposer.

A d’autres points de vue, on distingue la juridiction administrative et la juridiction des tribunaux judiciaires. Le pouvoir exécutif a conservé pour des juridictions composées de fonctionnaires révocables nommés par lui, la connaissance de certains conflits, principalement de ceux qui mettent aux prises les individus et les grandes « personnes morales », l’Etat, les communes, etc. C’est encore le contraire de l’idée de séparation des pouvoirs.

On distingue aussi la juridiction civile, la juridiction militaire, la juridiction commerciale, la juridiction prud’homale. Chacune de ces juridictions a sa compétence propre, et tire son origine de traditions ou de préjugés que nous ne comprenons plus guère aujourd’hui, mais auxquels nous habituent l’esprit de routine et de conservation, la force des habitudes acquises, la crainte de toute innovation et de tout changement. Le mot juridiction s’emploie aussi pour désigner l’étendue du droit de juger, le « ressort ». On dira en ce sens que la juridiction de telle Cour d’appel s’étend à tel ou tel département.

En un autre sens on oppose la juridiction contentieuse et la juridiction gracieuse. La juridiction contentieuse suppose un procès qu’un tribunal est appelé à trancher. La juridiction gracieuse suppose une autorisation, demandée en dehors de tout procès à une autorité judiciaire, pour faire un acte, ou l’homologation exigée par la loi d’un acte juridique quelconque.

Enfin les manuels de procédure distinguent souvent les juridictions de droit commun et les juridictions d’exception. Ces dernières sont, en procédure ordinaire, dans notre droit français les juges de paix, les conseils de prud’hommes et les tribunaux de commerce. La juridiction de droit commun est le tribunal civil. En matière pénale, il y a une juridiction d’exception dont le rôle néfaste, en temps de paix et en temps de guerre, n’a pas besoin d’être rappelé : ce sont les conseils de guerre.

D’une manière générale, il existe en droit moderne un double « degré de juridiction ». Cela signifie qu’une décision de justice peut être frappée d’appel devant une juridiction dite supérieure qui statue souverainement.

Mais la règle du double degré de juridiction souffre de nombreuses et importantes exceptions.

C’est ainsi qu’en général les jugements des juges de paix ne sont pas susceptibles d’appel lorsque l’intérêt du procès ne dépasse pas mille francs (loi du 1er janvier 1926). On dit alors que le jugement est rendu en dernier ressort. Il ne peut être attaqué que par la voie d’un pourvoi en cassation.

De même les jugements des tribunaux civils sont en principe rendus en dernier ressort lorsque le montant de la demande ne dépasse pas quinze cents francs.

En matière pénale les jugements qui sont susceptibles d’atteindre le plus gravement l’honneur, la liberté et la vie des citoyens sont précisément ceux qui ne sont susceptibles d’aucun appel (arrêts des cours d’assises, sentences des conseils de guerre).

On voit que la prétendue règle du double degré de juridiction souffre des exceptions nombreuses et des plus graves. Il arrive d’ailleurs que l’on ne s’explique pas pourquoi dans un cas il y a deux degrés de juridiction, et dans d’autres cas un seul. Ainsi la loi du 5 juillet 1925 sur la révision des baux permet l’appel, même lorsque le bail a été contracté pour un prix minime, alors que la loi du 1er avril 1926 ne permet pas l’appel

des sentences rendues en matière de loyers, même lorsqu’il s’agit de loyers très élevés.

Pourquoi ? Nul ne saurait l’expliquer.

Nous ne pouvons qu’effleurer ce sujet. L’organisation des juridictions et des procédures, dans notre société actuelle, nécessiterait une étude critique approfondie, qui soulèverait souvent l’étonnement et l’indignation, mais qui dépasse les limites d’une encyclopédie. — G. Bessière.


JURISPRUDENCE n. f. Dans son sens étymologique, le terme « jurisprudence » signifie la science du droit et des lois. Il vient des deux mots latins jus, juris (le droit) et prudentia souvent employé dans l’acception de science, connaissance. Les juris prudentes, ou juris perichi, étaient à Rome, à l’origine, les prêtres, ou pontifes, dépositaires des traditions ou coutumes sacrées, ayant seuls mission de « dire le droit ». L’organisation de la famille antique reposant essentiellement sur le culte des ancêtres divinisés, la distinction des choses suivant qu’elles appartenaient au domaine sacré ou profane, le règlement de la procédure primitive, c’étaient là autant de questions qui sollicitaient l’intervention permanente des pontifes. De là tout un ensemble de prescriptions élaborées par leur collège et dont ils étaient les seuls dépositaires et les seuls dispensateurs. D’autre part, les patriciens, appelés à l’exclusion des plébéiens à occuper les magistratures, celles surtout qui conféraient le droit de rendre la justice, étaient naturellement amenés à conseiller les plaideurs et à les guider dans la marche mystérieuse des procédures.

On ne s’étonnera donc pas que les premiers, comme aussi les plus célèbres des jurisconsultes (juris prudentes) aient été les membres du collège des pontifes. Mais le droit, qui était entre leurs mains et celles des patriciens, leurs disciples, un instrument de domination, conservait par cela même un caractère mystérieux qui le rendait, comme la religion elle-même, inaccessible à d’autres qu’aux initiés. La connaissance du droit restait donc cachée au vulgaire et comme enfouie dans les arcanes du pontificat. Mais le droit ne devait pas tarder à se dépouiller de son allure mystérieuse. La divulgation des jours fasti et nefasti, c’est-à-dire des jours où l’on pouvait ou non agir en justice, celle des formules à prononcer devant le magistrat pour intenter une action, l’admission des plébéiens au pontificat, la publicité qu’ils donnèrent à leur enseignement, furent cause de cette transformation. Peu à peu l’étude du jus civile (droit applicable aux membres de la cité) tendait à se constituer en une science véritable, jurisprudentia, ouverte à tous, de plus en plus libre dans ses recherches, mais retenant les qualités d’analyse subtile et de souplesse qu’elle devait à son origine pontificale.

L’office des juris prudentes trouvait l’occasion de s’exercer dans presque tous les actes de la vie juridique. Par les hautes fonctions qu’ils occupaient ou qu’ils avaient occupées, leurs avis prenaient une singulière autorité. Ils étaient appelés à donner des consultations aux magistrats, aux juges, aux particuliers. Ces avis (responsa prudentum) constituent l’une des principales sources du droit romain. En outre les juris prudentes assistaient les plaideurs en justice, rédigeaient des contrats, et enfin ils écrivaient des recueils et enseignaient publiquement.

Par leur effort, autant que par les édits des magistrats et plus tard les constitutions impériales, se forma le corps du droit romain, ce que plus tard, dans un sens nouveau, on appela encore la jurisprudence, c’est-à-dire l’ensemble des principes de droit admis et appliqués dans un pays déterminé. C’est dans ce sens nouveau que Pascal a écrit : « Trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. » C’est aussi