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emplacements. Verrons-nous un jour des fouilles exhumer ces substructions grandioses ?… Hérodote a décrit celui des Douze, qu’il dit avoir visité au milieu du ve siècle av. J.-C. et il lui attribue, outre douze grandes salles parallèles précédées d’un portique de colonnes monolithes, plus de trois mille chambres dont la moitié, souterraines, servaient, assure-t-il à la sépulture des rois et des crocodiles sacrés. Pline en parle également et Strabon, qui déclare l’avoir connu encore sous Auguste. Mais Hérodote, Strabon, Pomponius, Diodore de Sicile, Manéthon, Démostélès, Lycéas sont en désaccord — si l’on s’attache à leurs récits — quant au fondateur dont une pyramide abritait la momie.

Le plus fameux des labyrinthes antiques, si l’on en croit les poètes qui, à profusion, l’ont chanté, fut celui de Crète. Selon la mythologie, il aurait été construit, par ordre du roi Minos, pour servir de repaire au Minotaure. Dédale en aurait tracé le plan, d’après celui du labyrinthe qu’il avait vu en Égypte, près du lac Mœris. C’était un édifice élevé sur le sol à ciel ouvert. Thésée, guidé par le fils d’Ariane, parvint jusqu’à la retraite du Minotaure et le tua. Ovide, qui le dépeint dans ses Métamorphoses, nous conte que l’inventeur put à peine en sortir tant son art fut extrême. Demoustier, dans ses Lettres à Émilie, le compare au cœur de l’infidèle. Les Pline, les Diodore, n’en voient de trace que dans la légende et il semble qu’on puisse se trouver en présence d’une tradition purement poétique

Les églises offrent souvent, vers la fin du xiie siècle, des ornements en forme de labyrinthes. La cathédrale de Chartres en possède un en sa nef, qu’on dénommait la lieue et où se voyaient, jadis, Thésée et le Minotaure. Il en est aussi en celles de Reims, Poitiers, Auxerre, Amiens, etc. Certains y ont vu des réminiscences païennes, d’autres des rappels d’emblèmes du temple de Jérusalem. Plus simple nous paraît de les attribuer à une fantaisie, familière aux artistes du temps, dont l’imagination se donnait, à travers les œuvres sacrées, si souvent libre cours et qui dotèrent les édifices du culte des scènes les plus audacieuses et les plus hétéroclites…

Les labyrinthes optiques sont des enchevêtrements de glaces qui donnent naissance à des perspectives que le visiteur prend tour à tour pour des chemins. L’horticulture a ses jardins-labyrinthes dont les plus célèbres furent ceux de Versailles et de Choisy. Du premier seulement nous restent des plans et gravures, des descriptions (proses de Perrault, fables de Benserade) et un poème de Delille.

Au figuré, on appelle labyrinthe une complication d’objets parmi lesquels la pensée tâtonne et se fourvoie. Des difficultés, des questions obscures, un réseau d’idées enchevêtré, voire de propositions contradictoires sont aussi qualifiées de labyrinthe : « Le système général des sciences et des arts, dit d’Alembert, est un labyrinthe où l’esprit s’engage sans connaître la route qu’il doit tenir. » Lemercier proclame que « le doute fut le premier pas vers les découvertes, dans le labyrinthe de la vérité ». Du cœur humain, Voltaire dira qu’il est « un labyrinthe dont il n’est pas aisé de démêler les tours et détours ». Dans l’inextricabilité du labyrinthe, le philosophe voit l’image de l’esprit humain en proie aux illusions et aux égarements multipliés : « Nous naissons, dit à ce sujet Condillac, au milieu d’un labyrinthe où mille détours ne sont tracés que pour nous conduire à l’erreur. » Balzac estime aussi qu’ « il n’est pas un fourré qui ne présente quelque analogie avec le labyrinthe des pensées humaines ». Nombreuses sont les tournures littéraires qui font appel à des comparaisons similaires. — L.


LÂCHETÉ n. f. (lat. laxitas, relâchement, de laxus,

lâche). La lâcheté, qu’il ne faut pas confondre avec la poltronnerie — réflexe passager de la peur qu’ébranle l’imprévu — est non seulement un manque naturel de courage, mais souvent une pusillanimité de parti-pris. « La peur tient à l’imagination, la lâcheté au caractère » dit Joubert. C’est par instinct seulement ou par tempérament que le poltron se dérobe au péril ; le lâche s’y soustrait par calcul. Alors qu’à certaines défaillances physiques vont l’excuse de la spontanéité et le bénéfice de la franchise, il y a dans la lâcheté une préméditation et une méthode — un système pourrait-on dire — qui révèlent à la fois les tares et les dangers du vice. Plus encore que la lâcheté qui est effacement d’excessive prudence, retraite voulue en face de dangers redoutés, est avilissante et constitue un amoindrissement de la personnalité, cette lâcheté active —qui imprègne tout l’être moral — par laquelle certains ne reculent pas devant une infamie pour réussir, rampent pour atteindre à la fortune, se prosternent devant les grands quitte à se venger sur les humbles des bassesses que leur esprit d’intrigue ou leur servilisme leur fait commettre. Pire que la lâcheté du pauvre (que son ignorance, le défaut de cohésion avec ses pareils, le préjugé d’une sorte de fatalité de sa condition amènent à un acquiescement permanent à des formes manifestement iniques) est ce souple abandon, habile et circonstancié, de l’arriviste, de l’avide ou du dominateur qui supputent les avantages de leur servilité provisoire et monnaient par avance leur abaissement.

Généralement, couardise physique et lâcheté morale vont de pair. Elles enveloppent et pénètrent l’individualité, lui impriment le sceau du renoncement, l’écartent des actions viriles par lesquelles l’homme, au prix de souffrances souvent, se redresse et s’affirme. Dans l’atmosphère de la moralité courante, distante par tant de points de la moralité théorique, officielle, il flotte, en dépit d’une absolution de fait qui est une adhésion cynique à tout ce qui revêt les apparences de la force et se couvre des attributs du succès, une sorte de réprobation séculaire, un mépris latent pour la lâcheté. Parmi les humains qui admettent la situation de fait du parvenu et pressent la main de celui qui s’est traîné jusqu’au pinacle par ses abdications, ceux-là en qui toute dignité n’est pas obnubilée par les altérations d’un régime d’appétits, ressentent en sa présence le malaise qu’on éprouve au contact de la fourberie et le souvenir — indélébile — de déchéances échelonnées sur le parcours. Rares d’ailleurs sont les lâches qui revendiquent crûment la légitimité de leurs procédés et plastronnent avec ostentation de gloire, poussent le cynisme jusqu’à revêtir le manteau de Nessus de leurs trahisons…

« C’est une lâcheté que de trahir un parent, un ami, un bienfaiteur. Partout et toujours, c’est une lâcheté de faire ce que la raison condamne. » (Senancour). Que de trahir quiconque, devrait-on dire, et de faire ce que réprouve le sentiment averti de justice, que de faillir à la loyauté. Plus odieuse si possible est la lâcheté qui s’abrite derrière l’anonymat pour atteindre ses visées. Sur la voie aux scrupules piétinés, n’est-il pas comme obligé que, dans un cortège renforcé de toutes les connivences, la cruauté aussi accompagne, en complice, la lâcheté ? « Les lâches sont cruels » soulignait Voltaire… La lâcheté est un mal endémique qu’ont connu tous les temps et sur une échelle trop vaste :

« Je ne trouve partout que lâche flatterie
Qu’injustice, intérêt, trahison, fourberie » (Molière)

Les peuples, comme les individus, ont donné le spectacle de lâchetés séculaires. Esclaves, faux affranchis, fonctionnaires domestiqués, assemblées dociles ont fait à des tyrans parfois débiles l’offrande des volontés du, nombre et se sont inclinés sans combattre devant les