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LAI
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un ancien règlement, qui rencontrera en chemin un prêtre ou un diacre, lui présentera le cou pour s’appuyer ; si le laïque et le prêtre sont tous deux à cheval, le laïque s’arrêtera et saluera révéremment le prêtre ; si le prêtre est à pied et le laïque à cheval, le laïque descendra et ne remontera que lorsque l’ecclésiastique sera à une courte distance, le tout sous peine d’être interdit pendant aussi longtemps qu’il plaira au métropolitain ». Il faut convenir que l’Église et le clergé en ont un peu rabattu depuis, mais ce n’est pas assurément de leur plein gré. Rois et peuples ont eu à lutter successivement et tour à tour pour échapper à ce joug qui durant des siècles, opprima l’Europe corps et âme, à un degré inouï. » (Lachâtre).

Pleine de défiance pour le simple fidèle, tant qu’elle fut maîtresse, poussant la tyrannie jusqu’à interdire l’enseignement public à quiconque n’était pas clerc, l’Église a besoin présentement de ces laïcs si méprisés. On sait que les rois de France étaient chanoines de Rome par droit de naissance ; quiconque est riche ou influent aujourd’hui revêt la dignité de camérier du pape ou de chevalier d’un ordre romain. La jeunesse dorée fournit des brancardiers pour Lourdes, des moniteurs pour le catéchisme, des rabatteurs bénévoles pour toutes les œuvres sacerdotales. Aussi la prélature reconnaissante décerne-t-elle à cette ribambelle calotine les titres de croisés eucharistiques, de pages du Christ, de chevaliers de la croix. Élevés au-dessus du vulgum pecus, ces auxiliaires du clergé ont leur place marquée en fait, sinon en droit, dans la hiérarchie lévitique qui descend, par échelons successifs, des cardinaux aux vulgaires mouchards de sacristie.

C’est en matière d’enseignement que l’Église s’est déclarée le plus violemment hostile à l’esprit laïc. Comprenant que des intelligences adultes et normales ne sauraient admettre son absurde credo, elle réclama de bonne heure le droit exclusif d’ouvrir des écoles et d’instruire les enfants. Puis, ses prétentions admises, elle se garda de mettre la science à la portée du populaire. Sans doute Charlemagne, dont l’Église fit un bienheureux, malgré ses cinquante bâtards, imposa à des évêchés et à des monastères, l’ouverture de quelques écoles ; il en fonda même dans son palais. Mais ces écoles, fort peu nombreuses, furent bientôt supprimées par ordre de Benoît d’Aniane, dans les couvents bénédictins ; et le concile d’Aix-la-Chapelle, en 817 décida qu’on ne recevrait plus de laïques dans les écoles claustrales ; elles ne devaient s’ouvrir qu’aux enfants destinés à la cléricature. Adalbéric, évêque de Laon, avouait au début du xie siècle que « plus d’un évêque ne savait pas compter sur ses doigts les lettres de l’alphabet » ; et, des nombreux moines de Saint-Gall, un seul pouvait lire et écrire en 1291. Dans le haut moyen-âge, si les ecclésiastiques arrivaient en général à lire, un grand nombre ne savaient pas écrire. A partir du xiiie siècle, il y eut des écoles de village, mais les élèves n’y apprenaient souvent pas à lire ; ils se bornaient à réciter des prières et des formules de catéchisme. Quant aux Universités, qui devinrent florissantes à cette époque, c’étaient des institutions essentiellement religieuses, dont les professeurs portaient soutane et n’enseignaient qu’avec une permission expresse des autorités ecclésiastiques. La faculté de théologie tenait le premier rang, et celle des arts s’appliquait exclusivement aux matières utiles pour le sacerdoce : grammaire latine, rhétorique, dialectique, plain-chant, étude du calendrier liturgique. La philosophie, réduite à n’être que la servante de la théologie, tournait à vide, s’arrêtant à des jeux de mots, à des chicanes sans grandeur, à des puérilités indignes d’hommes raisonnables.

Et jusqu’à la fin du xviiie siècle, l’Église réussit à

maintenir son droit exclusif d’enseigner. Pour lutter contre le protestantisme, les Jésuites organisèrent les écoles secondaires au xvie ; leurs méthodes furent imitées dans les établissements tenus par le clergé. Quant à l’enseignement primaire, il resta aux mains des frères des Écoles chrétiennes, fondés par Jean-Baptiste de la Salle, en 1680. Avec Condorcet apparaît, sous la Révolution, l’idée d’un enseignement laïc. Chaque religion, pensait-il, devait être prêchée « dans les temples par ses propres ministres », mais on ne saurait admettre « dans l’instruction publique, un enseignement religieux qui, tout en repoussant les enfants d’une partie des citoyens, détruirait l’égalité des avantages sociaux et donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions ». « Cette proscription doit s’étendre même sur ce qu’on appelle religion naturelle ; car les philosophes théistes ne sont pas plus d’accord que les théologiens sur l’idée de Dieu, et sur ses rapports moraux avec les hommes. C’est donc un objet qui doit être laissé, sans aucune influence étrangère, à la raison et à la conscience de chaque individu. » Condorcet veut la même neutralité à l’égard des opinions politiques, mais il réclame l’enseignement d’une morale fondée « sur nos sentiments naturels et sur la raison ». Napoléon, tout en gardant la haute main sur les écoles, y rendit obligatoire l’instruction religieuse ; pour former des sujets fidèles et des fonctionnaires obéissants, il estimait le catéchisme un adjuvant de premier ordre. L’enseignement redevint confessionnel et prêtres, frères, nonnes firent, en grand nombre, partie du personnel universitaire. Naturellement la Restauration vit croître l’influence calotine ; les éducateurs de tout grade et tout ordre furent à la merci de l’Église. En 1833, la loi Guizot prescrivit la fondation d’une école par commune ; la gratuité de l’enseignement primaire, proclamée en 1848, disparut avec l’Empire, mais la loi Falloux permit au clergé d’ouvrir des écoles pour y façonner à sa guise les jeunes cerveaux. Sous le second Empire, l’Église fut maîtresse de l’enseignement, même universitaire ; en 1875, elle obtint de pouvoir créer des facultés libres. Mais toute une série de mesures, à partir de 1881, aboutirent à la laïcité actuelle.

La loi du 28 mars 1882 porte : « Article 3. — Sont abrogées les dispositions des articles 18 et 44 de la loi du 15 mars 1850, en ce qu’elles donnent aux ministres des cultes un droit d’inspection, de surveillance et de direction dans les écoles primaires publiques et privée et dans les salles d’asile, ainsi que le paragraphe 2 de l’article 31 de la même loi qui donne aux consistoires le droit de présentation pour les instituteurs appartenant aux cultes non catholiques. » Et la loi du 30 octobre 1886 précise : « Article 17. — Dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque. Article 18. — Aucune nomination nouvelle, soit d’instituteur, soit d’institutrice congréganiste, ne sera faite dans les départements où fonctionnera depuis quatre ans une école normale soit d’instituteurs, soit d’institutrices, en conformité avec l’article premier de la loi du 9 août 1879. Pour les écoles de garçons, la substitution du personnel laïque au personnel congréganiste devra être complète dans un laps de cinq ans après la promulgation de la présente loi. » Ces mesures furent aggravées par la loi du 7 juillet 1904 qui supprimait l’enseignement congréganiste. « Article premier. — L’enseignement de tout ordre et de toute nature est interdit en France aux congrégations. Les congrégations, autorisées à titre de congrégations exclusivement enseignantes, seront supprimées dans un délai maximum de dix ans. Il en sera de même des congrégations et des établissements qui, bien qu’autorisés en vue de plusieurs