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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/572

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LAI
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objets, étaient en fait exclusivement voués à l’enseignement, à la date du 1er janvier 1903. Les congrégations, qui ont été autorisées et celles qui demandent à l’être à la fois pour l’enseignement et d’autres objets, ne conservent le bénéfice de cette autorisation que pour les services étrangers à l’enseignement prévus par leurs statuts. Article 2. — A partir de la promulgation de la présente loi, les congrégations exclusivement enseignantes ne pourront plus recruter de nouveaux membres et leurs noviciats seront dissous, de plein droit, à l’exception de ceux qui sont destinés à former le personnel des écoles françaises à l’étranger, dans les colonies et les pays de protectorat. Le nombre des noviciats et le nombre de novices dans chaque noviciat seront limités aux besoins des établissements visés au présent paragraphe. Les noviciats ne pourront recevoir d’élèves ayant moins de vingt et un ans. »

Une mesure récente vient de modifier cette loi, en autorisant neuf congrégations missionnaires à ouvrir des écoles confessionnelles pour assurer, paraît-il, le recrutement de leurs membres ; les jeunes gens y seront reçus dès l’âge de seize ans. Il s’agit, affirment Poincaré et ses compères, de permettre l’expansion de la langue et de l’influence française à l’étranger ; mais chacun a compris que c’était le premier coup de pioche donné aux institutions laïques, et que le gouvernement français rêvait de réconciliation avec le Vatican. Aussi bien la loi du 7 juillet 1904 ne fut-elle jamais appliquée, même sous les gouvernements qui se disaient anticléricaux. Moines et nonnes se sécularisèrent en bloc ; i1s quittèrent leurs habits, mais restèrent secrètement affiliés à leur ordre et continuèrent d’enseigner. Plus florissante que jamais les écoles congréganistes se bornèrent à changer de nom, en se baptisant écoles libres. Ce fut une belle comédie, favorisée par les tribunaux où les bien-pensants dominent, et par ceux mêmes qui devaient faire appliquer la loi : à commencer par les ministres, heureux de gagner, de la sorte l’occulte bienveillance des bons chrétiens. Dès le début de la guerre, en 1914, on suspendit d’office les lois sur les congrégations ; avec l’approbation tacite des pouvoirs publics, elles se réinstallèrent au grand jour. Elles ne demandent présentement que la consécration légale d’un état de fait visible depuis longtemps ; car les hommes de gauche ne deviennent anticléricaux que lorsqu’ils cessent d’être au pouvoir : pendant la guerre et depuis, tant qu’ils détinrent les principaux ministères, nulle concession ne leur parut contraire à l’esprit de laïcité.

Laïcité, d’ailleurs respectueuse de tous les préjugés : « La bibliothèque scolaire, lit-on, dans une circulaire ministérielle de 1919, ne doit contenir que des ouvrages qu’un petit catholique, un petit protestant, un petit israélite, un petit libre-penseur puissent lire sans que leurs parents leur paraissent de pauvres égarés, voués à l’erreur et peut-être marqués pour le mal, sans qu’ils se sentent eux-mêmes tenus en une sorte de suspicion, sans qu’ils aient l’impression de ne pouvoir mériter l’estime particulière qui va naturellement à telle ou telle catégorie de personnes que celle à laquelle ils appartiennent. » Et toujours l’Université se montra, à l’égard du catholicisme, d’une tolérance frisant la servilité. Innombrables sont les croyants dans l’enseignement secondaire et supérieur ; dans les trois quarts des lycées, l’aumônier est le vrai chef de l’établissement : et, pour obtenir les hauts grades universitaires, il semble indispensable de fréquenter église, temple ou loge. Il est couvert d’avance celui qui viole la neutralité scolaire au profit des idées chrétiennes ; mais on pourchasse sans répit l’adversaire de tous les dieux, anciens ou nouveaux. Bien entendu, morale traditionnelle, patriotisme, préjugés de race, etc., font partie du

matériel normal de la laïcité. Jusqu’à la guerre, l’enseignement du premier degré s’était défendu avec énergie contre la mainmise cléricale ; ce temps n’est plus. Les Davidées, institutrices laïques, groupées en association religieuse, déclarent publiquement : « La neutralité de l’État est une neutralité confessionnelle, et non pas une neutralité philosophique, c’est-à-dire que c’est une neutralité nécessitée par les conditions de la vie sociale et qui ne s’exerce que sur les confessions religieuses. Ce ne peut être une doctrine comme le scepticisme, encore moins l’athéisme. » (Aux Davidées, octobre 1928.) « Il faut donc affirmer l’existence d’une morale rationnelle fondée sur Dieu. Il est non seulement possible, mais nécessaire d’enseigner une telle morale dans les établissements publics… Il faut parler de Dieu aux élèves non seulement comme principe de la morale, mais comme objet d’une vertu rationnelle très précise. » (Rapport de Carisron). Et fort de l’appui ministériel, le Bulletin des Davidées entre dans de minutieux détails sur la façon d’endoctriner les enfants : « On ne fait pas la prière du matin, ni celle du soir, mais il y a de magnifiques poésies chrétiennes mises en musique. Vous les connaissez toutes. On peut les choisir plus ou moins religieuses, suivant le milieu où l’on se trouve… Au point de vue historique, il y a un moyen d’apostolat magnifique en redressant toutes les erreurs officielles répandues. Mais là, il faut bien dire que les membres de l’enseignement public sont eux-mêmes bien trompés et leur premier devoir est de s’instruire. Signalez-leur donc les livres de Guiraud que nulle institutrice catholique ne devrait ignorer, ceux de Louis Dimier, de Pierre Lasserre… Il y a de bonnes choses dans certains livres de Renan, qu’un prêtre érudit pourrait vous signaler. Après cela, il vous sera beaucoup plus facile d’enseigner la vérité… Au point de vue scientifique, pourquoi ne pas agrémenter chaque leçon par un passage intéressant d’un savant catholique (l’abbé Moreux, par exemple), ou des passages de livres catholiques destinés à la vulgarisation scientifique ? Il en existe que vous pourriez signaler les unes aux autres… Travaux de couture ou de broderie. Donner à ces travaux un but pratique ; indiquer les buts en laissant le choix (neutralité !), mais parmi les buts indiqués, ne pas oublier un dessous de vase pour l’autel de l’église par exemple (apostolat !), ou que sais je encore ? Mais en tout cas, quelque chose qui dirige l’esprit vers la pensée de Dieu… Mais là il ne faut pas être intransigeants, mais plutôt insinuants. » Et les inspecteurs, gardiens de la laïcité, ne disent rien ; il est vrai que les Davidées sont d’ardentes patriotes et qu’elles défendent avec zèle l’Argent et l’État. Si la « Fraternité Universitaire » se permettait la dixième partie de ces attaques contre la neutralité scolaire, en sens inverse naturellement, comme on aurait vite fait de me révoquer ; que d’histoires, que de noises ne me cherchent pas les inspecteurs en mal d’avancement ! Voilà où nous en sommes en fait de laïcité, sous la troisième république. Dans son remarquable livre : La Laïque contre l’Enfant, paru en 1911, Stephen Mac Say avait parfaitement prévu cette évolution. Et ses critiques n’ont pas vieilli après la tourmente de 1914-1918, preuve qu’elles ne portaient point sur des vices d’un jour, mais sur les plaies durables de notre enseignement. Tout serait à citer : sur l’imbécillité des programmes, sur les défauts rédhibitoires des procédés pédagogiques, sur les buts avoués ou secrets de l’État éducateur. « Les sujets laïques nous semblent moins enchaînés parce qu’ils le sont par une multitude de chaînettes. L’énorme chaîne (bien rouillée quand même) du catholicisme nous saisit davantage. A l’école chrétienne on voit toujours Dieu derrière l’homme, par delà la ligature du devoir. A la laïque, une petite brume de doute mas-