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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/573

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LAN
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que parfois la divinité, mais l’entrave aux filaments multiples l’asservit aux mêmes obscurs impératifs. Et qu’on ne vienne pas me dire que cet esprit, toujours en vigueur dans les programmes, est en voie d’extinction et qu’avec la religion de la Cause première disparaîtra la « base extérieure » (toute de foi) de la morale. Je répondrai que la laïque n’ignore pas que « prétendre plier l’enfant au joug de la discipline et de l’obéissance, créer en lui un principe qui le fasse accepter volontairement la loi du travail et du devoir et ne pas demander cette force à la religion, c’est tenter une œuvre impossible », qu’elle n’est pas irréligieuse, mais autrement religieuse, et que ce n’est pas sa faute si l’emprise de la religion diminue dès que s’humanise son absolu. A mesure que ce point d’appui s’écroule, on asseoit le dogme du Devoir dans le ciel hypothétique d’une religion nouvelle et la Patrie sera le premier Dieu de la décadence ». Puis quelles vues pénétrantes sur l’étouffement systématique de l’initiative chez l’enfant : « Son pauvre corps exubérant est la proie des règlements et des prohibitions. Il ne se meut qu’au commandement. Voici huit heures. Un coup de sifflet. Comme une nuée de moineaux fauchée dans son vol, les enfants s’interrompent dans leurs jeux. Sur deux rangs, la colonne franchit le seuil de l’école. Un silence brusque s’établit. Les coiffures s’abaissent. Salut déférent au caporal pédagogue et au temple scolaire. Les élèves s’insinuent à leurs bancs et, au signal, s’asseyent. Dociles, en apparence du moins, à l’emploi du temps qu’appuie le vouloir du maître, ils se plient aux leçons qui, les mêmes jours, aux mêmes instants, accaparent leurs efforts. A l’ordre ils écrivent, à l’ordre ils récitent, à l’ordre ils déplacent livres et cahiers. » Aussi le bambin de six ans, très ouvert le premier jour, sera plus renfermé le lendemain et complètement refroidi après une semaine de classe… Non que les éducateurs soient toujours coupables, Stephen Mac Say l’a fort bien vu ; dès qu’ils veulent réagir contre la routine, de nombreuses difficultés les assaillent ; matières des programmes, contrôle des directeurs, des inspecteurs, de la bureaucratie, des familles, généralement traditionnalistes, Dans nos écoles laïques, le champ individuel de réaction paraît singulièrement restreint pour le professeur ; il est impossible d’y donner une éducation vraiment humaine. Mais il faudrait des ressources que nous n’avons point pour en fonder d’autres, animées de l’esprit que nous désirons. Ne désespérons pas néanmoins, c’est de notre inertie surtout que résulte le triomphe de nos adversaires. — L. Barbedette.


LANGAGE n. m. (de langue, latin lingual). Dans le sens le plus généralement admis, le langage est : « Tout ce qui sert à exprimer des sensations et des idées. » (Littré) ; « Un moyen quelconque d’exprimer des idées. » (Larousse) ; « L’expression de la pensée. » (Grande Encyclopédie) ; « Le pouvoir donné à l’intelligence de se manifester par des signes. » (Bescherelle) ; « La peinture de nos idées » (Rivarol)…

Il s’agit là du langage des êtres qui sentent et ont des idées qui nous sont communicables et compréhensibles. Mais il y a un autre langage, celui des choses, qui sont ou que nous supposons sans pensée parce qu’elles ne nous parlent pas un langage direct, compréhensible, et que nous n’en avons d’autre idée que celle que nous nous en faisons. Ainsi, nous interprétons le langage de la nature d’après les sensations que nous en avons et non d’après ce qu’elle dit. Le langage des fleurs est celui que nous leur attribuons d’après la variété de nos sentiments, suivant leurs formes, leurs couleurs, leurs parfums. Le langage d’une œuvre d’art est beaucoup plus dans l’impression qu’elle nous donne que dans l’idée exprimée par l’artiste en la composant.

Le langage des choses est ainsi un langage figuré. Nous en reparlerons au mot Sens.

Tout être qui a une sensibilité et une intelligence a des idées à exprimer, si élémentaires, si grossières, si confuses soient-elles. De même qu’il n’y a pas de fonction sans organe ni d’organe sans fonction, tout langage a des idées. Quand la fonction n’existe plus, l’organe disparaît ; si les hommes, un jour, n’ont plus d’idées, ils n’auront plus de langage.

Les animaux ont un langage ; c’est une preuve, parmi beaucoup d’autres, qu’ils pensent et qu’ils ont des idées. L’homme peut ne pas comprendre leur pensée ; il ne peut la nier que par aveuglement ou mauvaise foi. Buffon ne craignait pas d’écrire : « C’est parce qu’une langue suppose une suite de pensées que les animaux n’en ont aucune. » C’était là du cartésianisme qui niait la sensibilité des animaux, même lorsqu’ils criaient de douleur. Le langage des animaux a les mêmes formes naturelles que celui de l’homme : non seulement ils s’expriment spontanément par le geste ou par la voix, mais certains possèdent le langage articulé, contrairement à l’affirmation de M. Vinson (Grande Encyclopédie) que ce langage « est la caractéristique exclusive de l’homme ». Max Muller avait vu un fossé infranchissable entre la parole humaine et celle des animaux. Il eût fallu d’abord chercher à franchir le fossé avant de le déclarer infranchissable.

Presque tous les vertébrés ; mammifères, oiseaux, batraciens, reptiles, et certains poissons ont, comme l’homme, une voix d’origine laryngée et susceptible d’articulation. Quand ils ne se servent pas du langage articulé, c’est qu’ils n’en ont pas besoin ; ils ont mieux que ce langage à leur disposition. Les invertébrés ont des sons vocaux produits par stridulation, bourdonnements, etc… Le système articulaire humain n’est pas le même que celui des animaux, mais il varie aussi chez l’homme. Si l’animal éprouve des difficultés à parler le langage humain, il est aussi des hommes qui ne peuvent arriver à prononcer certaines consonnes familières à d’autres. Les langues, même les plus perfectionnées, sont loin de posséder un alphabet comprenant tous les sons et bruits articulables. Dès lors « on comprend que, pauvres nous-mêmes en langage articulaire, nous soyons mal armés pour étudier le langage articulaire des autres races » (Dr Maréchal : Supériorité des animaux sur l’homme).

Le langage des animaux qui ont un appareil vocal est supérieur à celui de l’homme : 1° par l’intensité du son et la portée de la voix qui est considérable chez certains, tels les grands singes ; 2° par la simplicité dans l’expression, une seule articulation permettant d’exprimer des idées et des séries d’idées très complexes ; 3° par l’universalité qui fait se comprendre entre eux des animaux d’espèces différentes, comme des chiens et des poules, bien que chaque espèce ait un langage particulier.

Les animaux apprennent le langage humain alors que les hommes n’apprennent pas le leur. Les animaux sont aidés en cela par le développement de leur ouïe ; les hommes manquent d’oreille. « Au lieu de cultiver dans notre race le langage des sons, la langue musicale, nous nous sommes efforcés à créer des langues articulaires, ce qui est une faute, car rien n’est variable comme l’articulation qui se modifie presque à l’infini, par l’habitude, par les différenciations d’organes… Avec la langue musicale, pas de fluctuation dangereuse, le son est mathématique, immuable, le la est toujours le la, quelle que soit la voix qui le donne. » (Dr Maréchal, id.). Dans le langage articulé, par exemple, le latin quisquam doit-il se prononcer kiskam ou kuiskuam ? C’est à la suite de la dispute engendrée par