moins fermés aux leçons quotidiennes, à quel point la mémoire est incapable de supplier à l’intellection dans l’acquisition du savoir. Et il y a longtemps que Du Rozoir a dit (et la pratique scolaire en fait en vain jaillir l’évidence) que « dans les classes, les élèves qui apprennent le plus facilement par cœur leurs leçons ne sont pas toujours ceux qui ont l’intelligence la plus élevée ». Mais le maître, aussi bien que l’élève, est plus accoutumé à apprendre et à réciter des leçons qu’à mettre en jeu son jugement. Et la stérilité des leçons, leur impuissance à ouvrir l’esprit et à former le caractère ressortent avec force des habitudes mentales communes à la progéniture et à ses mentors et de la voie invariable dans laquelle piétine leur pauvre pensée répéteuse.
LÉGALITÉ n. f. (latin legalitas de legalis, rad. lex : loi). Ce mot désigne la qualité de ce qui est conforme aux lois, précise le caractère d’un acte d’une mesure d’une intervention de la justice ou du pouvoir. Quand les lois répressives leur apparaissent insuffisantes et ne leur fournissent plus les armes appropriées à la défense des intérêts propres aux bénéficiaires de l’État les gouvernants, toujours si prompts à invoquer la légalité qui les sert, ne se font aucun scrupule de verser dans l’illégalité et d’y puiser leurs instruments de protection et de réaction. Le halo légaliste qui flotte autour des actes publics et remplace, pour la plupart des gens, la moralité des lois naturelles, mises au point par la raison, est dispersé, à cette occasion, comme une bulle importune par les gardiens de la religion de la Loi Inconséquence dangereuse, cependant, car elle ruine peu à peu le prestige des croyances sur lesquelles s’appuie l’autorité des maîtres, désagrège l’armature regardée jusque-là comme la « justification » du régime et tend à faire apparaître comme légitimes les ripostes adverses lorsqu’elles frappent à leur tour la légalité. À travers l’assemblage du légalisme capitaliste, la mobilisation, par un Briand, des cheminots grévistes, les décrets-lois d’un Poincaré, la suspension, au préjudice des partis et des mouvements d’avant-garde, des garanties consacrées en matière de presse et de réunion sont des déchirures de coup d’État et, par la brèche, tôt ou tard, si ne s’installe à leur faveur une dictature au reste passagère, pénétrera la révolution…
Empruntons au Larousse quelques rappels historiques sur l’essence et le caractère d’une légalité honnie, à travers les âges, par tous les esprits libres et notons des jugements peu suspects de partialité : « La légalité est une formule souvent arbitraire, destinée à régler les rapports des citoyens entre eux. Elle se distingue à la fois de la loi naturelle, donnée de la conscience et du droit positif, en ce qu’au point de vue politique on n’a pas pour l’établir à discuter le droit en lui-même, mais à démontrer qu’il est formulé de telle ou telle manière dans la législation en vigueur. Dans tous les siècles la légalité a été en butte aux invectives des philosophes. Au fait, la légalité officielle a toujours été l’écho des passions, des préjugés, des intérêts et des partis. Ce sont d’ordinaire les puissants qui règlent les actes de la communauté et ils obéissent généralement à des mobiles personnels. Voltaire fait parler en ces termes le Dieu dont la légalité exprime la volonté : « J’ordonne aux nègres et aux Cafres d’aller tout nus et de manger des insectes. J’ordonne aux Samoyèdes de se nourrir de peaux de rangifères et d’en manger la chair, tout insipide qu’elle est, avec du poisson séché et puant, le tout sans sel. Les Tartares du Tibet croiront tout ce que leur dira le dalaï-lama et les Japonais croiront tout ce que leur dira le daïri. Les Arabes ne mangeront point de cochon et les Westphaliens ne se nourriront que de cochon. Je vais tirer une ligne
« Nous avons dit plus haut que la légalité est surtout l’expression des passions et des préjugés de chaque siècle. L’intérêt de ces passions et de ces préjugés peut seul justifier cet état de choses qui paraît devoir être indéfini. Il se rapporte à l’état particulier des mœurs de chaque pays, où il est un élément de nationalité. Si toutes les nations avaient les mêmes mœurs et les mêmes lois positives, la terre ne serait qu’une vaste république. Pufendorf cherche à expliquer la dissemblance profonde de la légalité dans chaque région et dans chaque siècle : « Ce sont, dit-il, en parlant des points de vue particuliers de la législation positive, certains modes que les êtres intelligents attachent aux choses naturelles ou aux mouvements physiques, en vue de diriger ou de restreindre la liberté des actions volontaires de l’homme, pour mettre quelque ordre, quelque convenance et quelque beauté dans la vie humaine. » Ainsi, le besoin d’ordre justifie toutes les fantaisies du législateur. Autant avouer que la justice n’existe pas et que le droit n’est qu’une codification de la volonté personnelle de quiconque a le pouvoir de mener les hommes à sa guise…
« Cet auteur n’ose appeler les choses par leur nom et convenir que la légalité officielle de chaque pays et de chaque époque s’appuie sur les passions et les préjugés en vogue, en d’autres termes sur l’opinion. Il n’y a pas deux cents ans qu’à chaque déclaration de guerre le héraut en cotte de mailles et à manches pendantes proclamait publiquement qu’il était enjoint à chacun de « courre » sus à tous les sujets du prince ennemi (les injonctions d’aujourd’hui, de chaque côté des frontières, ont seulement changé de forme et de ton et modifié leur apparat : elles font, comme jadis, un devoir aux nationaux d’exterminer quiconque « a commis le crime de naître » au delà des lignes fantaisistes qui séparent des peuples qu’aucun différend ne divise). « Sous le régime féodal, la légalité se prêtait à des horreurs variées. Mais la centralisation monarchique fit de la légalité un joug peut-être encore plus lourd à porter. Quand les légistes des rois, sous prétexte de droit romain, eurent remis en vigueur le système fiscal inauguré dans l’ancien monde, l’Occident se couvrit d’officiers judiciaires chargés soi-disant de faire respecter la justice et, en réalité, de vivre aux dépens de tout le monde. Il n’y eut plus que des huissiers, des avoués, des notaires, des tribunaux ; une bureaucratie enva-