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dans le gouvernement des choses d’ici-bas. — Traité de Législation (Ch. Comte, 1826), dans lequel l’auteur, procédant analytiquement, s’attache à rechercher « quelles sont les causes qui font prospérer ou dépérir un peuple, ou qui le rendent stationnaire ». Il fait la démarcation entre les actions qui ont leur sanction intérieure de plaisir ou de peine et celles qui sont du ressort de la législation et, avec Bentham, dont il admet le principe de l’utilité, réduit, au profit de la morale, le domaine de la législation. « L’inégalité entre les individus, dont un peuple se compose, conclut-il dans son 4e livre, est une loi de leur nature ; il faut, autant qu’il est possible, éclairer les hommes sur les causes et les conséquences de leurs actions ; mais la position la plus favorable à tous les genres de progrès est celle où chacun porte les peines de ses vices, et où nul ne peut ravir à un autre le fruit de ses vertus ou de ses travaux ». — Traités de Législation civile et pénale (d’après les manuscrits de J. Bentham par E. Dumont, 1830). Y sont étudiés les principes généraux de la législation, des codes civil et pénal, la promulgation et la raison des lois, l’influence des temps et des lieux en matière de législation, avec une vue générale d’un corps complet des lois. Bentham fixe les buts de la législation et délimite ses immixtions. Il y introduit son calcul des biens et des maux qui donne aussi, en matière pénale, le caractère du délit. Le principe de l’utilité ou de l’intérêt bien entendu, qui sert de base à sa morale (voir ce mot) s’applique aussi à la législation. L’auteur, par généralisation systématique, lui accorde quant au problème de la propriété, par exemple, un critérium abusif et justifie par lui l’iniquité : « Oter arbitrairement à celui qui possède pour donner à celui qui ne possède pas, dit-il, ce serait créer une perte d’un côté et un gain de l’autre ; mais la valeur du plaisir n’égale pas la valeur de la peine ». — Histoire de la Législation française depuis Hugues Capet (G. Schæffner, 1850), tableau érudit de l’état législatif de la France et de ses provinces, féodalité, royauté, etc, puis examen des sources du droit, de la procédure, etc., jusqu’aux codes de l’époque impériale.


LÉGITIME adj. (latin legitimus, de legis, loi). Qui a les qualités, les conditions requises par la loi ; qui est fait conformément aux prescriptions des lois (voir loi). Ceux qui emploient ce terme y enferment souvent le sens de juste.

Chateaubriand dit : « Il n’y a point de pouvoir légitime sans liberté. » Il conçoit ainsi un pouvoir qui s’exerce seulement sur ceux qui l’acceptent librement. Or tout pouvoir s’impose à quelqu’un, au nom de quelqu’un ou de quelque chose. S’il y avait — pour celui à qui on impose quelque chose — réellement liberté, il n’y aurait pas de pouvoir, ou seulement, en l’occurrence, un emploi abusif du terme. D’ailleurs, liberté suppose connaissance et conscience. En présence de ces deux facteurs se dessine justement la contestation de la légitimité du pouvoir. La reconnaissance du pouvoir et l’appui qui lui est donné s’entourent seulement des apparences de la liberté. De telles confusions ne sont au fond possibles que parce qu’on assimile, à tort, la loi à la justice.

Quand Taine dit : « Nulle autorité n’est légitime que par le consentement du public », s’il prend le public en bloc il peut certes s’exprimer ainsi, à la condition d’ailleurs d’identifier lui aussi légale et légitime et d’accorder à l’autorité des vertus de fait, sinon un blanc-seing de droit. Mais s’il entend : les individus composant le public, cette assertion s’effrite à l’analyse. D’une part, Taine, comme Chateaubriand, se contente ici de la fausse harmonie de l’acquiescement passif qui revêt parfois les dehors du vouloir éclairé. Et consentement ne peut être justification. Il est d’au-

tre part évident qu’il y aura toujours, en fait, une minorité pour ne pas accepter cette autorité et, en justice, des arguments pour la condamner, d’où il appert qu’il n’y a pas, sur le terrain de l’équité et de la raison, d’autorité légitime. Trop souvent nous voyons comme disait Lamartine, « les forfaits couronnés devenus légitimes ». La force est par excellence celle qui légitime, et les préjugés et la peur soutiennent son empire. Chateaubriand, Taine et tant d’autres auraient pu méditer cette pensée de Boiste : « C’est tuer la justice avec son glaive que de dire : ce qui est établi est légitime ; il n’y a de légitime que ce qui est juste… »

Légitime se dit de l’union conjugale consacrée par la loi, et des enfants qui naissent de cette union : mari, époux légitime, fils légitime (voir mariage, union libre, etc.).

On voit ici, ce que le « légitime » a à voir avec la raison, la logique ou la liberté, ou le libre consentement public. Un homme et une femme sont unis par leur amour et leur estime réciproques ; leur cerveau a les mêmes aspirations, leur chair appelle leur chair. Tout simplement, ils vivent l’un près de l’autre : Leur union est illégitime.

Mais le bonhomme est vieux, usé, pourri de vices, esprit vil et cœur de pierre. Il a des « sous ». Elle, est jeune, belle, mais pauvre ; ou bien elle a des besoins que sa fortune ne lui permet pas de satisfaire. Pour ses « biens » elle épouse le vieux, accepte ses caresses, lui vend son corps et son geste d’amour. Seulement, elle a pris une garantie, elle s’est mariée ; elle a été se faire inscrire à la mairie. Elle n’est pas en carte, mais en livret, le livret de mariage. Sans cette inscription, elle n’est qu’une « fille de joie » et il n’est qu’un « vieux marcheur » ; leur union est illégitime et sévèrement jugée. Par contre, s’ils légalisent leur vie commune, leurs rapports fussent-ils monstrueux, disparate leur accouplement, leur liaison entachée de tares évidentes, leur union est légitime, la morale estompe leurs vices, la loi protège leurs « amours »…

Mais, du contact de ces deux êtres, des enfants sont nés. Pauvres petits êtres souvent indésirés que l’ignorance des parents a seule jetés dans la vie.

L’enfant de l’amour, appelé du fond de l’instinct, le fruit d’une tendresse réciproque, procréé dans les meilleures conditions de santé morale et physique : enfant illégitime, bâtard. Dès sa naissance, il est marqué au front : de père inconnu.

L’enfant du plus sordide marché, celui du deuxième couple, la société le reçoit avec tous les honneurs ; il est : l’enfant légitime. Celui-ci a un père et il portera son nom. Comme si l’enfant, quelle que soit sa naissance, n’avait pas toujours un père et une mère ! Vieux relents de christianisme qui empoisonnent encore le vingtième siècle…

De grands esprits, des penseurs généreux, ont proposé de rayer des lois « le péché originel » en faisant tous les enfants égaux et en leur donnant le nom de leur mère. Des cœurs se sont émus, d’autres se sont révoltés ; et contre la loi, en dehors des lois, la grande cause humaine de l’amour libre et de la libre maternité est partout entendue et sonnera bientôt le glas du mariage, cette prostitution officielle. Il n’y aura plus alors d’enfants légitimes ou illégitimes, mais des amants et des enfants aimés.

— Qui se fait régulièrement et naturellement : Tirer des conséquences légitimes des faits allégués…

— Juste, permis, licite, fondé en raison : Une colère légitime, un légitime espoir.

Quand les dictionnaires, pour définir un mot, accolent : juste à : « permis, licite, fondé en raison », sans souligner l’abus du langage courant, on ne sait ce qu’il faut admirer le plus de leur manque d’esprit critique