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les, néanmoins, foisonnaient à cette époque et leur vogue s’étendit jusqu’à la fin de la Fronde. Citons, comme exemples de châtiments infligés, celui qui frappa Chavigny, auteur du Cochon mitré, libelle dirigé en 1689, contre l’archevêque Le Tellier : arrêté, il fut, pendant trente ans, enfermé au mont Saint-Michel dans une cage de fer. En 1694, un imprimeur et un relieur furent pendus en place de Grève pour avoir imprimé et vulgarisé des libelles contre Louis XIV à l’occasion de son mariage avec Mme de Maintenon. Le xviiie siècle eut aussi de nombreux auteurs de libelles, malgré les lettres de cachets et la rigueur des lois. Les Fréron, les La Baumelle, les Linguet lui donnèrent même par leur talent une certaine célébrité. De nos jours, le libelle est passible des peines prévues pour la diffamation. Dans une humanité où l’hostilité et l’entredéchirement n’ont pas cessé d’illustrer les mœurs le libelle a la vie dure, comme la calomnie elle-même. L’envie, la haine, les passions, l’esprit de dénigrement, les rivalités et les rancunes politiques y cherchent toujours leur assouvissement. Et l’anonymat dont il use le plus souvent, s’il sert sa méchanceté et favorise ses desseins, ne grandit pas le libelle, arme perfide.

La théologie appelait libelles des martyrs, la requête par laquelle des martyrs, ayant souffert pour leur foi, suppliaient l’évêque de remettre au pécheur une partie de la peine qu’il devait subir. Par libelles, elle désignait aussi les certificats, attestant qu’ils avaient sacrifié aux dieux, à l’aide desquels certains chrétiens se mettaient à l’abri des persécutions. Ce nom s’étend aux ouvrages hérétiques écrits sur quelque matière relative à la foi catholique : libelle d’Arius, de Pélage, etc. Il s’applique même à tout acte, signifié par écrit, en matière ecclésiastique : libelle d’excommunication, d’absolution, de pénitence, etc.

En jurisprudence, le droit ancien donnait à libelle le sens de requête, de signification. On disait libelle de fidélité, serment écrit de fidélité ; libelle de proclamation : action intentée en justice pour obtenir réparation ; libelle de divorce, dans les pays de droit romain, pour l’acte par lequel un époux annonçait à l’autre son intention de divorcer, etc. — L.


LIBÉRALISME n. m. (du latin liberalis). Idées généreuses, tendance bienveillante au bonheur de toutes les classes de la société ; doctrine favorable aux libertés politiques, ensemble des opinions libérales, attachement aux idées libérales. « Les souverains sont persuadés que le libéralisme est un masque pour conspirer contre les autorités légitimes. » (Fourier). — Ensemble de ceux qui professent des idées libérales : « Le libéralisme fera un pas et arrivera à la démocratie. »

Le libéral — à l’origine — était celui qui réclamait le progrès par la liberté et s’opposait à l’autorité plus ou moins absolue de la Royauté ou de l’Église.

Après la lassitude et l’épuisement qui suivirent la grande tourmente révolutionnaire et ramenèrent le despotisme de l’Empire, les principes de liberté proclamés en 1789, appliqués et suspendus alternativement pendant la Révolution, avaient disparu de la vie nationale. Éteinte la grande voix des précurseurs de la fin du siècle passé, noyées dans le sang les énergies créatrices qu’avait galvanisées une période de dévouement sans exemple à la cause du bien public, subjugués sous la crainte les esprits libres survivants, les publicistes rivés au silence, il fallut la chute de l’Empire pour délivrer les forces de liberté terrées ou assoupies et rendre son cours au grand mouvement qui avait tenté d’affranchir le monde et sur lequel un homme avait traîné ses bottes malfaisantes de conquérant…

Le parti libéral acquit toute son importance dans la première moitié du xixe siècle, quand la Restaura-

tion ramena en France l’ancienne noblesse, avide de pouvoir, de richesses et de vengeance.

« La nation, qui se sentait jeune et forte, lutta courageusement contre ceux qui voulaient l’envelopper dans les haillons d’un régime décrépit. En face du parti théocratique et féodal de la cour, on vit s’élever un parti qui prit pour devise la liberté et reçut de ses ennemis mêmes le nom de libéralisme. » (Lachàtre) Chansons d’abord, épigrammes, sociétés secrètes, inspirées du « carbonarisme » italien, courant d’opinion alimenté intellectuellement par les philosophes et les historiens sympathiques (les Guizot, les Villemain, les Cousin), lutte ouverte à la Chambre même contre le parti du pouvoir, telles furent les multiples formes de l’activité du nouveau parti. Guidés par des chefs valeureux, savants, éloquents, s’exprimant du haut des tribunes et par l’organe d’une presse brillante et combative, les libéraux furent le parti qui sut acquérir le plus de prestige et sauver quelques parcelles du patrimoine si meurtri de la Révolution.

Ils n’avaient que 6 députés à la Chambre de 1815, mais leur action s’appuyait sur la bourgeoisie commerçante et industrielle, et sur le peuple cherchant encore sa voix vers la liberté et l’égalité économique. Les ordonnances du 5 septembre 1816, brisèrent la Chambre ardente, d’où une nouvelle loi électorale plus large. Les chefs de l’opposition prennent alors le titre d’ « indépendants ». Ce sont : Le général Foy, qui avait servi sous l’Empire ; Benjamin Constant ; La Fayette, le père du libéralisme ; Dupont de l’Eure ; Casimir Périer ; Emile Jordan ; Royer-Collard ; le banquier Laffitte, etc.

De brillants avocats (Dupin, Mauguin, Barthe, Berville, etc.) défendaient avec éclat les causes politiques. Des brochures véhiculaient les théories que les journaux, enchaînés par la censure, n’osaient imprimer. On revenait aux philosophes du xviiie siècle, on publiait de nouveau leurs œuvres. Pamphlets, livres, publications frondeuses trouvaient leur chemin dans un terrain propice. Le passage, après la mort de Louis XVIII, des rênes de l’État aux mains des ultra-royalistes, travaillés de leur côté par la Congrégation, accrut la popularité de l’opposition et précipita ses progrès. Déjà, à la Chambre, où ses forces grandissaient, le libéralisme s’appuyait sur des fractions influentes de la bourgeoisie et de la banque. La presse, le barreau, des hommes remuants des professions libérales et du monde des affaires, une jeunesse ardente, soutenaient activement ses campagnes.

Les chefs du parti libéral sentirent bientôt que, prises aux espérances de leurs diatribes enflammées, attirées dans le remous de leur mouvement passionné, des masses impatientes, agitées par des revendications inattendues, menaçaient de les entraîner au-delà de leurs buts modérés. Leurs aspirations n’avaient rien de révolutionnaire et un Martignac put un instant canaliser leurs vœux dans les cadres de la dynastie régnante. Une monarchie mitigée de libéralisme et faisant à la bourgeoisie sa part d’influence eût satisfait des intérêts qui redoutaient les perturbations des grandes vagues populaires. Leurs troupes cependant, accentuant, dépassant la portée d’une opposition parlementaire déjà vigoureuse, avancèrent leur évolution. Le libéralisme trouva dans le peuple un élément de victoire définitive aux « trois glorieuses de 1830 ». Les libéraux furent maîtres du pouvoir…

Ils y devinrent ce que leur position fait invariablement de ceux qui règnent sur les peuples. « Ils renièrent leur passé et, comme ils devaient à leur tour profiter des abus, ils mirent toute leur adresse à les maintenir ». Majorité, les opposants d’hier devinrent les pires conservateurs. Ils reprirent le sillage de la Restau-