coller un pain à cacheter à l’endroit de la Légion d’honneur sur le portrait de l’auteur de : J’accuse ! … Séverine a raconté ces choses et elle les a complétées par un jugement de Vallès où il a flétri comme il convient tant de domestiques et de tripoteurs de lettres au milieu desquels se trouvent de trop rares consciences. Nous en extrayons ces lignes à propos de sa réintégration dans la Société des Gens de Lettres, lorsqu’après l’amnistie officielle la Société ne risquait plus d’indisposer contre elle les dispensateurs de croix, et de faveurs. Elles complètent ce que nous avons écrit au sujet des gens de lettres : « …Vallès a été réintégré dans les cadres, Grousset le serait fin courant, s’il y tenait, et ils verraient accourir à eux, la lèvre souriante, ceux qui s’écartaient jadis en criant : Raca !
« C’est pour cela que je n’ai point pris aujourd’hui le chemin de la rue Geoffroy-Marie. Il est dur de refuser la main à de certaines gens ; plus dur encore de l’accepter de certaines autres. Il y a des offres de raccommodement qui font rougir pour qui les tente. C’est celui-là même souvent qui fêla le verre du camarade exilé et cracha dedans. Il a beau, maintenant, essuyer du doigt et de la langue le verre rapiécé, je ne veux pas de ce verre-là pour trinquer… On est fier d’avoir excité tant d’envies, d’avoir provoqué tant de haines ! Il s’y mêle de la gaieté. Ceux qui ont commis une lâcheté doivent garder cela comme de la vermine sur la peau, comme les poux dans la couture des culottes. Ils se cachent pour se gratter, mais on sent tout de même qu’ils ont le derrière en feu. Allons ! Mieux vaut avoir été visé à la tête et avoir traîné une croix pesante sur un grand Calvaire »… Oh ! oui ! comme concluait Séverine. — Edouard Rothen.
LEVIER n. m. (rad. lever). La valeur du travail étant égale au produit de la force par le déplacement, on a cherché, à l’aide de machines simples, à transmettre l’action des forces de manière à rendre le travail plus aisé. Le levier, qui suppose essentiellement un point d’appui, une puissance et une résistance, est la principale de ces machines simples. On en distingue de trois genres, selon la disposition des éléments. Son importance est considérable en mécanique, qu’il s’agisse d’appareils primitifs ou d’appareils très compliqués ; les organismes vivants comportent eux aussi tout un ensemble de leviers.
Du domaine physique, le terme levier est passé dans le domaine moral où il désigne l’adjuvant fondamental, le ressort essentiel d’une entreprise ou d’une affaire….
On connaît l’exhortation fameuse de Danton : « Quoi ! Vous avez une nation entière pour levier, la raison pour point d’appui, et vous n’avez pas encore soulevé le monde ? » L’inspiration, l’enthousiasme le sentiment, sont les puissants leviers des œuvres d’art et des actions généreuses : talents et vertus y trouvent, avec l’élan, des possibilités de réalisation et une puissance de pénétration multipliées… Ceux-là qui virent les jours naissants de la démocratie, et mirent en elles d’ardentes et loyales espérances, seraient aujourd’hui navrés de ses déviations et de ses chutes, du ravalement de son idéal à un étal grouillant d’affaires et d’exhibitions vaniteuses. Ils y verraient le peuple, levier primaire et qui devait sortir grandi, magnifié par son effort, redevenu l’inconscient pavois de castes nouvelles. Ils rediraient avec quelque mélancolie la proclamation, riche de promesses, mais qu’un demi-siècle a suffi pour jeter au tombeau, d’Anatole de La Forge : « La démocratie que nous servons n’a qu’un levier, le travail ; qu’un but, la liberté ». Ils trouveraient, sur le travail toujours enchaîné, la jouissance triomphante du parasite, encore roi !
La presse est devenue à notre époque le levier permettant de soulever l’opinion ; et ce levier malheureusement est réservé, dans l’ensemble, aux entreprises de réaction. L’église, l’école, les divers moyens de diffusion de la pensée en sont d’autres, aux mains de nos adversaires. Car l’or est devenu l’objet des convoitises universelles, et ceux qui le possèdent en abondance sont les vrais maîtres du monde contemporain. La chose est manifeste en Amérique où le confort matériel et la religiosité de mode cachent mal la royauté des milliardaires ; elle n’est pas moins certaine en Europe où elle se colore de patriotisme, de moralité et de mille prétextes inventés par les larbins des puissants. Aucun des leviers du monde actuel n’est entre les mains d’esprits libérés ; ces derniers n’ont pour eux que la justice et la vérité, choses de peu de valeur aux yeux de nos potentats, mais qui possèdent assez de force latente espérons-le, pour vaincre les tortionnaires du genre humain dans un avenir lointain ou proche.
LIBELLE n. m. (latin libellus ; diminutif de liber, livre). On appelle ainsi un petit écrit, injurieux et diffamatoire. Cette caractéristique le distingue du pamphlet (voir ce mot) dont il n’a ni le désintéressement, ni l’envergure. Le libelle est toujours dirigé contre les personnes dont il attaque la vie privée, et il vise au scandale et à la déconsidération. Les Romains lui donnaient déjà ce sens que notre langue a conservé : il continue en effet à être pris en mauvaise part, et les qualités littéraires dont il peut s’orner, sa valeur satirique ne changent rien à son caractère et à la réprobation qui, d’ordinaire, l’accompagne. « Ce mot Ch. Nodier, a un peu varié depuis le latin, où il signifiait communément petit écrit ; le libellus famosus, de Suétone ne signifie proprement qu’ « une brochure qui a fait du bruit ». Tous les petits écrits ne sont pas essentiellement méchants et tous les écrits méchants ne sont pas essentiellement petits… Ces mots un gros libelle, qu’on a souvent occasion d’employer, sont un solécisme étymologique, mais bien consacré par la langue… »
Depuis longtemps, les écrivains courageux et propres ont fustigé les faiseurs de libelles. Voltaire disait : « La vie d’un forçat est préférable à celle d’un faiseur de libelles ; car l’un peut avoir été injustement condamné aux galères, et l’autre les mérite. » Benjamin Constant voyait leur multiplication dans la condition de servitude où était tenue la presse. « C’est l’esclavage de la presse qui produit les libelles et qui assure leur succès », écrivait-il. Et encore : « Plus on aime la liberté de la presse, plus on méprise les libellistes… »
Mais l’amour-propre irritable des écrivains leur faisait assimiler parfois à la légère aux libellistes des critiques malins qui, lançant ouvertement leurs pointes, ne fuyaient pas la discussion, favorisaient même la riposte. D’autre part, les compressions de la pensée, plus pénibles encore sous l’ancien régime, et qui obligeaient à se cacher les écrivains audacieux, provoquaient ces aigres élans, exacerbés dans la concentration. Et l’atmosphère expliquait le pullulement du libelle si elle ne justifiait pas ses moyens. Le clergé n’était pas le dernier à user de ses flèches et le P. Garasse est demeuré le type des libellistes cléricaux…
Les législations antiques poursuivaient les libelles avec sévérité. La loi des Douze-Tables à Rome, les assimilait aux délits punissables des derniers supplices. Tibère en fit un crime de lèse-majesté… Avant la Révolution, en France, des peines sévères atteignaient les libelles. Un édit de 1561 proclame : « Voulons que tous imprimeurs, semeurs et vendeurs de placards et libelles diffamatoires soient punis pour la première fois du fouet et pour la seconde fois de la vie. » Les libel-