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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/614

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LIBERTÉ (philosophie). Voir déterminisme et libre-arbitre, volonté, etc. Ouvrages a consulter : Philosophie de la liberté (Sécrétan) ; Système de logique, etc. (Stuart Mill) ; La liberté (Jules Simon) ; L’homme est-il libre ? (Renard) ; Essai sur le libre-arbitre (Schopenhauer) ; La solidarité morale (Marion) ; Justice et liberté (Goblot) ; Psychologie, Essais de critique générale (Renouvier) ; Leçons de psychologie (Rabier) ; Raison pratique (Kant) ; Critique philosophique (Pillon) ; Morale d’Épicure, etc. (Guyau) ; Les données immédiates de la conscience (Bergson) ; La morale (Duprat) ; Volonté et liberté (Lutoslawski) ; Le libre-arbitre (Naville) ; etc… Ainsi que les ouvrages mentionnés à déterminisme et volonté.

LIBERTÉ. Le problème de la liberté est un des problèmes les plus difficiles à résoudre parce qu’il essaie de concilier la liberté de penser et de vouloir qui nous paraît absolue avec le déterminisme objectif qui paraît également absolu.

La liberté pourrait se définir ainsi : possibilité pour l’individu de réaliser totalement son déterminisme. Ce déterminisme ne se précise à notre entendement que par des pensées et des vouloirs, lesquels se traduisent et s’extériorisent par des actes modifiant le milieu conformément à notre volonté. Si le jeu de notre pensée, si nos réflexions, nos préférences, nos choix, nos jugements peuvent s’exercer en nous sans aucune limite apparente et nous donner l’impression d’une liberté intérieure absolue, la réalisation objective de nos volontés rencontre au contraire des obstacles nombreux réduisant considérablement notre liberté d’action. Cette résistance extérieure contraignant notre volonté, entravant notre action, constitue la limite même de notre liberté et par conséquent sa cessation.

Ainsi donc, d’une part, nous avons conscience d’une liberté intérieure absolue ; de l’autre, nous avons également conscience que cette liberté se heurte à des difficultés s’opposant à son épanouissement… Pour concilier ces deux aspects du problème il est nécessaire de les étudier séparément, à seule fin de connaître la réalité même du moi volontaire, son origine, sa formation, ses attributs, ses manifestations ; ensuite d’analyser les causes extérieures restreignant son expansion.

L’analyse introspective ne nous renseigne point sur la formation de notre moi. Nos plus lointains souvenirs se perdent dans l’inconscience du premier âge. L’étude objective nous permet au contraire de suivre la formation des êtres s’engendrant les uns les autres et de reconnaître quelques principes généraux s’appliquant à la détermination des phénomènes vitaux. C’est ainsi que l’observation nous montre l’hérédité et l’éducation jouant un grand rôle dans la formation des individus. Chaque espèce animale se reproduit suivant son type moyen et, comme l’on dit judicieusement, les chiens ne font pas des chats. Si les caractères physiques généraux des parents se reproduisent dans les enfants, les caractères psychiques s’y retrouvent également, quoique la fécondation croisée, mêlant l’hérédité du père et de la mère, crée un être nouveau différant quelque peu de ses parents. Mais il est facile de comprendre que le moi de l’enfant est inévitablement la conséquence des innombrables croisements ancestraux l’ayant précédé et qu’il ne peut pas plus choisir son caractère que la couleur de ses cheveux. Il est un produit, un résultat. Il en est de même de l’éducation. Subissant l’influence du milieu, il réagit contre ce milieu suivant ses facultés naturelles et héréditaires et toutes ses perceptions, ses souvenirs, actions et réactions subies dans l’espace et dans le temps constituent sa personnalité…

Le moi n’est donc pas quelque chose d’immuable, d’éternel, d’absolu, ni de sacré. Il est une forme physiologique et psychique momentanée de l’être sans cesse

soumis aux lois de l’évolution et ses manifestations ne sont que l’expression de son acquis héréditaire et éducatif. Formuler une volonté, c’est traduire une réaction esquissée probablement par un ancêtre lointain, complétée par une éducation subie suivant les hasards de la vie. S’accepter tel que l’on est, réaliser ses vouloirs sans réflexions profondes c’est peut-être obéir à la tyrannie d’un ancêtre, ou se courber sous une éducation mystique ou malfaisante qui nous a déformés.

Nous voyons donc que la conscience de notre liberté ne signifie rien, car le dément se croit aussi libre que l’homme sain. C’est le jugement, la raison, l’évaluation exacte des choses qui doivent seulement nous guider et non pas notre fantaisie et notre bon plaisir ; lesquels d’ailleurs peuvent être complètement opposés à notre bonheur véritable et à la conservation même de notre vie. La liberté pourrait alors s’exprimer comme la possibilité d’agir selon notre raison.

Même en ce cas les obstacles à notre déterminisme raisonné subsisteront et nous pouvons les étudier suivant leurs aspects différents ; soit que ces obstacles soient naturels ; soit qu’ils soient sociaux ; soit enfin qu’ils proviennent de notre nature même, d’une erreur de jugement. Les obstacles naturels sont constitués par toutes les lois naturelles inévitables dont l’homme triomphe parfois par leur connaissance et leur compréhension. Ce n’est que par l’étude des propriétés de la substance et de l’énergie ; c’est en se pliant aux nécessités objectives en harmonie avec les phénomènes vitaux que l’homme atteindra son maximum de puissance et de joie et non en suivant irrésistiblement ses penchants, produits lointains de l’ignorance et de l’animalité.

Les obstacles sociaux peuvent s’analyser au double point de vue présent et futur. Présentement les préjugés, les habitudes, les mœurs, les coutumes, les traditions, les lois, fruits mauvais de l’ignorance passée, constituent des entraves considérables à une liberté raisonnée. Nous devons détruire ces causes malfaisantes éternellement opposées à toute amélioration de la vie humaine. Mais toute société quelle qu’elle soit ne peut se réaliser qu’avec une certaine harmonie, un rythme, une coordination de l’activité humaine, assurant la cohésion des efforts et non leur dispersion. L’examen impartial des difficultés d’organisation sociale démontre les nécessités inéluctables inhérentes à toutes associations, à toutes collectivités et les obligations individuelles résultant du fait même de l’association. La conception religieuse et métaphysique de la liberté développe malheureusement dans l’esprit des humains une conception tendant à représenter la vie sociale comme une contrainte s’opposant à la liberté individuelle. C’est supposer, bien gratuitement, que l’homme est naturellement libre et que sans la dite société il le serait vraiment. Il suffit d’observer le fonctionnement du corps humain pour voir que ce corps est soumis à des nécessités physiologiques que notre caprice peut déséquilibrer, ou vouloir ignorer, mais que la sagesse nous conseille de satisfaire raisonnablement. Nous ne sommes pas libres, si nous voulons vivre dans la joie, de nous rendre malade, de nous faire du mal et d’en faire aux autres. Nous ne devons vouloir et désirer que ce que notre raison nous montre comme convenant à notre volonté d’harmonie.

Il en est de même au point de vue social. Si la vie collective présente des avantages et s’impose par la nécessité de lutter contre les forces naturelles ; si l’homme augmente ainsi sa puissance et ses loisirs, il n’est pas raisonnable de dire qu’elle est une contrainte puisqu’au contraire elle est une moindre contrainte que l’état naturel où l’homme est infiniment plus absorbé par la lutte pour la vie. L’association étant utile et nécessaire à l’homme nous devons conclure qu’elle augmente sa puissance d’action individuelle au lieu de la diminuer. Tout le reste est du mysticisme.