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préparé à toutes les déchéances ou prêt à la révolte furieuse et inutile de fauves lâchés dans la jungle sociale. C’est ainsi qu’on a respecté ses facultés et procédé à ce qu’on appelle son « relèvement moral » !… On a souvent dépeint le sort des enfants livrés aux maisons de correction. « Tous, ou presque tous, terminent leur existence à la Guyane », a déclaré un directeur de ces maisons, ajoutant : « Si quelque génie du mal avait cherché la formule d’un bouillon de culture pour le microbe du vice et de la criminalité, il n’aurait pu trouver mieux que la maison de correction » (Louis Roubaud : Les enfants de Caïn). On comprend qu’il faut tant de gendarmes, de magistrats, de garde-chiourmes, pour faire respecter la liberté selon la loi.

A la question de la liberté de l’enfant se rattache celle de la liberté de l’enseignement. On voit, par ce qui précède, qu’elle ne peut être que la liberté d’abrutir l’enfance suivant les dogmes laïques ou religieux qui dominent socialement.

Liberté du travail. — L’enfant, ainsi préparé à toutes les servitudes et devenu adolescent, est invité à se mettre au travail pour « gagner sa vie ». Les économistes ont longuement écrit sur la liberté du travail proclamée par la Révolution Française. La loi des 2 et 17 mars 1791 a été établie, disent-ils, pour « laisser à tout homme le choix de son travail », et des ministres, tel M. Herriot, viennent dire aux enfants, lors des distributions de prix : « Choisissez bien votre métier, on ne fait bien que ce que l’on aime… » Quelle est la liberté de ce choix pour le jeune homme qui n’a pas eu la possibilité de développer ses facultés et a été pris, dès sa venue au monde, dans l’engrenage du déterminisme social ? Même s’il est capable de faire un choix, n’est-il pas empêché de le suivre dans la plupart des cas par la nécessité d’apporter sa quote-part au foyer familial où il a été jusque là une charge, et qui l’oblige à accepter, non à choisir, n’importe quel métier, pourvu qu’il soit lucratif ? Il n’est donc pas libre de choisir son métier, et il n’est pas davantage libre de discuter les conditions de son travail avec celui qui l’emploiera ; il doit subir celles de l’employeur.

Certes, le travailleur n’est plus l’esclave antique, le serf féodal ; il est libre de refuser les conditions d’un patron, mais qu’est cette liberté si elle ne lui laisse d’autre ressource que de ne pas trouver du travail et de mourir de faim ? Les économistes disent excellemment :

« La liberté du travail est le seul moyen de donner à la puissance de l’homme le maximum qu’elle peut atteindre ; elle détermine les goûts et les aptitudes, développe l’esprit d’invention, suscite l’initiative, assure l’énergie et la persévérance. Elle est le principe de la propriété qui permet à l’homme de jouir et de disposer des fruits de son travail et qui, en sollicitant les volontés, active et augmente la puissance productrice. Sans la liberté et la propriété qui sont unies d’une façon indissoluble, le travail perd ses principales forces, et la société s’immobilise dans l’inertie et dans la misère. » (Georges Bry : Les lois du travail industriel et de la Prévoyance sociale). Le point noir, c’est que ces beaux principes sont contredits par les faits suivants : la propriété est constituée non par le travail, mais par l’exploitation de celui des autres, et la propriété est l’ennemie de la liberté du travail. Aussi est-ce bien vainement qu’on a fait toute une législation du travail, sauf pour réglementer son esclavage. On a créé un Code spécial du Travail, des comités, des conseils supérieurs, des ministères du Travail dans chaque pays, et un Office International du Travail. On a tenu des Congrès du Travail, particulièrement à Washington, en 1919. Tout cela ne fait que mieux ressortir cette constatation qui est inscrite dans le Traité de Versailles du 28 juin 1919 : « …Attendu qu’il existe des conditions de travail impliquant, pour un grand nombre de person-

nes, l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger, et attendu qu’il est urgent d’améliorer ces conditions… »

Telle est la situation reconnue et décrite par les basochiens officiels. Que devient la liberté du travail avec cela ? Aussi, est-ce en vain que les gouvernements, même avec le « collaborationnisme » — formule barbare d’une entreprise vaine — des patrons et des travailleurs, s’efforcent d’étayer par des lois un édifice qui s’écroule. L’organisme est vicié dans son propre sang par l’exécrable exploitation humaine qui est à la base de l’organisation du travail. Tant qu’il y aura salariat, il n’y aura pas liberté du travail. Il ne peut y avoir liberté quand il y a contrainte sous la menace de la faim et, dans cet état d’esclavage où la dignité du travailleur est méprisée, où l’effort de ses facultés est déprécié, le travail porte une souillure qui ne peut qu’en donner le dégoût à celui qui l’accomplit.

La loi reconnaît pour les ouvriers comme pour les patrons le droit de coalition et le droit de grève. Mais qu’arrive-t-il quand les ouvriers usent de ce dernier ? Les conditions matérielles de la lutte sont d’une telle inégalité entre les deux parties que les ouvriers, réduits par la famine, sont bientôt obligés de se rendre. S’ils résistent trop longtemps, s’ils manifestent leur rancœur, leur besoin et leur volonté de justice, ils trouvent devant eux les fusils des « chiens de garde du Capital ». — « Vivre en travaillant, mourir en combattant ! » criaient dans leur désespoir les canuts loqueteux de l’insurrection lyonnaise en 1831. On n’est pas sûr de vivre en travaillant, on est plus sûr de mourir en combattant. A défaut de pain, il y a du plomb qui est distribué au nom de « l’ordre », et on ne regarde pas aux victimes. Les premières que firent les fusilleurs d’ouvriers de la III e République, à Fourmies, le 1er mai 1891, furent des femmes et des enfants dont une fillette de huit mois ! En 1867, le premier usage du chassepot avait été fait à Mentana par l’armée française au service du pape contre les républicains italiens. En 1891, ce furent des ouvriers en grève que tuèrent les premières balles Lebel. Depuis, on a fabriqué spécialement des « balles de grève » pour tirer sur les travailleurs (Pierre Hamp : Un nouvel honneur).

La tendance, depuis la Grande Guerre qui a fait une consommation si effroyable de matériel humain, est de transformer de plus en plus les travailleurs en fonctionnaires, en automates, dans des cadres interchangeables où ils ne sont plus que des boulons, des manivelles. Ils y trouveront peut-être plus de sécurité économique, cette sécurité trompeuse qui fait 1’égoïsme et crée l’inertie syndicaliste des corporations privilégiées, mais que deviendront dans tout cela la liberté du travail, le goût, les aptitudes, l’esprit d’invention, l’initiative, etc… ? On voit que les travailleurs ont encore de longues luttes à soutenir s’ils veulent connaître la liberté du travail inscrite si fallacieusement dans la loi. Elle ne sera possible que lorsqu’ils auront supprimé le salariat par leur action révolutionnaire.

Liberté de la femme. — Sauf dans les circonstances plutôt rares d’organisations sociales basées sur le matriarcat, la femme a toujours été sous la dépendance de l’homme. Considérée comme inférieure, elle a dû subir un tuteur. Aujourd’hui encore, le mariage tel qu’il existe et dont, dans son ignorance, elle croit avoir besoin pour sa défense, n’est toujours qu’une forme de cette dépendance. Le christianisme, qui prétend avoir libéré la femme, a fait peser sur elle la plus terrible malédiction. En adoptant le mythe païen de Pandore, qui fait porter à la femme la responsabilité des maux de l’humanité, il a encore exagéré, comme toujours, en matière d’imposture et de barbarie. Le Dieu de la Bible a dit à la fem-