Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/653

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LIB
1259

où ils seront explicitement, et à leur place, vigoureusement dénoncés.


LIBERTINS n. et adj. (lat. libertinus, affranchi). A le sens de dégagé de la contrainte, du dogme, de la discipline. Cette désignation s’est étendue à tout sujet qui s’écarte des règles, les transgresse ou les répudie. De l’impatience de tout frein à la facilité dissolue, du vagabondage de l’esprit à la fantaisie butineuse des sens, l’appellation de libertin s’est davantage fixée de nos jours dans la désignation de ce qui a trait à l’indépendance des mœurs en matière sexuelle.

Le mot Libertin a d’abord signifié affranchi de la discipline de la foi, indépendant dans ses croyances. C’est le sens que lui dormaient le protestant d’Aubigné, les catholiques Bossuet et Bourdaloue.

Le qualificatif de libertins a été donné à deux groupes de protestants bien différents : l’un résidant dans les Pays-Bas, l’autre se trouvant à Genève. Les libertins des Pays-Bas avaient à leur tête Antoine Pecques, Chopin et surtout le picard Quintin, un tailleur d’habits. Ils niaient les anges, le paradis, l’enfer, l’immortalité de l’âme, la révélation, la responsabilité individuelle. Puisque les hommes ne sont responsables de rien, ils ne sauraient, en toute justice, être blâmés ou punis, lorsqu’ils commettent le mal. La seule préoccupation de l’homme doit être de faire de la terre un paradis terrestre en vivant sans contrainte.

On peut considérer les libertins de la Hollande et du Brabant comme des précurseurs directs des libertaires actuels. Ils furent poursuivis avec une rigueur extrême selon les ordres de l’altière et superstitieuse Marguerite d’Autriche. Quintin fut brûlé à Tournai en 1530.

Tout en demeurant attaché à la Réforme, dans son esprit plutôt que dans sa lettre, les Libertins de Genève combattaient le joug intolérable de Calvin qui, on le sait, s’exerçait à la fois sur la religion et sur les mœurs. Un des libertins les plus fameux d’alors fut Sébastien Castellion, originaire du Bugey, latiniste et humaniste distingué, « très excellent personnage » au dire de Montaigne. Pédagogue de grand mérite directeur du collège de Rive à Genève, Castellion eut le tort de vouloir entreprendre une traduction du Nouveau Testament en français, puis de différer d’opinion avec Calvin au point de vue théologique. Il dut se réfugier à Bâle, où il édita Xénophon, Homère, finalement la Bible (1555), en français et en latin. Dans son introduction, il soulevait la question de l’inspiration des Écritures, ce qui déchaîna contre lui l’ire de Calvin et de De Bèze. Là-dessus survint, à Genève, le supplice ou médecin espagnol Michel Servet (à qui on a attribué la découverte de la circulation du sang), coupable d’avoir nié le dogme de la Trinité. Calvin se montra, en l’occurrence, cruel et cynique, raillant sa victime jusque sur le bûcher, ce que n’aurait pas fait un Torquemada. Il y eut une protestation universelle contre ce supplice et il parut simultanément à Lyon et à Bâle, en français et en latin, un « Traicté des hèrectiques, à savoir si on les doit persécuter » s’appuyant sur toutes sortes de citations, et qui démontrait précisément le contraire. Ce Traité était précédé d’une magnifique préface, plaidoyer en faveur de la tolérance, dont la paternité fut attribuée par Calvin et de Bèze à Castellion, cela va sans dire. « C’est comme s’ils disaient, rétorquait Théodore de Bèze, qu’il ne faut punir des meurtres de père et mère, vu que les hérétiques sont infiniment pires ». L’Église Romaine n’a jamais été plus loin. Castellion, d’un côté, Calvin et De Bèze, de l’autre, continuèrent ainsi à batailler jusqu’à ce que, à 48 ans, le premier nommé eût succombé au surmenage et aux privations. « C’est un précurseur de Bayle et de Voltaire, un précurseur qui ne leur a laissé rien à dire sur le grand sujet de la

tolérance religieuse et de la liberté de conscience. » (Jules Janin).

Castellion avait pu mourir dans son lit. Mais à Genève la vie était insupportable. Les dictatures d’un Robespierre ou d’un Lénine paraissent jeux d’enfants auprès de celle de Calvin, alors que sa république n’était menacée d’aucune attaque extérieure. Visites domiciliaires fréquentes, interrogations officielles sur l’orthodoxie des habitants, lois somptuaires, réglementation de la forme des vêtements et des chapeaux interdiction des habits de soie et de velours aux genevois de basse condition, défense aux hommes de porter des cheveux longs, aux femmes de se friser, que sais-je encore ? Et il y avait des châtiments prévus pour les écarts de conduite et de langage. Les chefs des Libertins payèrent cher leur révolte contre l’intolérance calviniste. Jacques Gruet, Jean Valentin Gentilis, Monnet, Antoine d’Argillières furent condamnés à mort. Denis Billonnet fut marqué au front d’un fer chaud, Du Bois dut faire amende honorable, en chemise, nu-pieds, torche au poing ; Antoine Norbert eut la langue percée d’un fer chaud. Que d’autres condamnés à l’amende, au bannissement, à l’emprisonnement. Un jour, Clément Marot, venu à Genève pour fuir la persécution catholique qui sévissait en France, se permit de jouer au tric-trac avec un sien ami, lequel fut cité incontinent par devant le Consistoire, ce que voyant, le poète du « doux nenni » s’en alla ailleurs planter sa tente.

Au début du xviie siècle, on a dénommé « libertins » ceux qui réclamaient au nom de l’indépendance de la pensée, le droit à l’incrédulité, ainsi que les « épicuriens ». Libertins étaient le philosophe Gassendi, le voyageur Bernier, les poètes Chapelle et Th. de Viau, le littérateur Saint-Evremond et tous ceux que la libertine Ninon de Lenclos réunissait dans son salon. Les libertins forment la transition entre les grands sceptiques du xvie siècle, les Montaigne et les Charron, et les philosophes athées du xviiie. Fontenelle fut l’un des derniers libertins.

Aujourd’hui on applique le mot de « libertins » à celles et à ceux qui s’insoucient des règles conventionnelles ou légales en fait de bonnes mœurs, qu’il s’agisse d’actes ou décrits. Le libertin n’est pas un débauché, car la débauche est un abandon inconscient, irraisonné, immesuré aux besoins, aux appétits, aux passions sexuelles ou érotiques. Le libertin reste conscient de ce qu’il veut et ne verse pas dans l’inconscience. Plusieurs des Encyclopédistes et de leurs amis furent des libertins et non des débauchés. Le libertinage n’est pas non plus de la prostitution, ce n’est pas pour de l’argent que la libertine ou le libertin est à la recherche de plaisirs de l’ordre sexuel ; ni l’un ni l’autre ne sont des professionnels de la volupté, des marchands et des acheteurs de jouissances charnelles. Ce qu’étaient jadis les libertins par rapport au dogme religieux, les libertins le sont aujourd’hui par rapport au dogme de la moralité : des hérétiques ou des hétérodoxes. — E. Armand.


LIBRAIRE, LIBRAIRIE (lat. librarius, de liber, livre). Le libraire est celui qui tient boutique de livres (voir ce mot) qui fait commerce d’imprimés. C’est aussi (libraire-éditeur) celui qui achète leurs manuscrits aux auteurs pour les faire imprimer et vendre. Dans l’antiquité (nous nous bornerons ici à un bref historique), les libraires dictaient aux copistes le texte des ouvrages et offraient ensuite ces manuscrits aux amateurs. D’abord assez restreint, leur nombre augmenta, tant à Rome qu’à Athènes, à mesure que les matériaux furent moins rares, et les boutiques des libraires devinrent le rendez-vous des chercheurs et des gens cultivés. Avec le chris-