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progrès. Le chemin est bon. Il ne reste qu’à le déblayer de toutes sortes d’obstacles et à le poursuivre activement.

Remarquons pour conclure que la voie sur laquelle le problème du libre arbitre semble s’engager actuellement et définitivement, nous parait être, non seulement la voie juste, menant vers le résultat définitif, mais aussi celle qui doit intéresser tout particulièrement les anarchistes. Car ce sont eux qui s’intéressent le plus aux questions de l’énergie créatrice. C’est précisément, la notion de la puissance créatrice de l’homme : des masses, des groupements, des individus, qui se trouve au centre de leur conception, qui en est l’âme même. Et c’est, peut-être, à la pensée anarchiste qu’appartiendra un jour le mérite d’avoir éclairé le mystère et trouvé ainsi la clef de tant de problèmes passionnants. — Voline.

Nota. — 1° La littérature se rapportant au problème du libre arbitre est, depuis plus d’un siècle, tellement abondante et, surtout, dispersée à travers toutes les branches des sciences humanitaires, qu’il est impossible de la désigner ici utilement. Celui qui voudrait élargir et approfondir ses connaissances dans ce domaine, n’aurait qu’à consulter les divers traités de philosophie, de physiologie, ainsi que plusieurs œuvres de moralistes, de juristes, etc… se rapportant au sujet traité ; 2° Voir aussi les mots : Déterminisme, Fatalisme, Liberté, Volonté, et les ouvrages qui y sont désignés.


LIBRE-ÉCHANGE Pour définir le libre-échange on ne peut mieux faire que se référer aux paroles que prononçait à la Conférence internationale de Londres, en 1920, le président de la Ligue qui s’est vouée à sa propagation. Yves Guyot disait alors :

« Qu’est-ce que le libre-échange ? C’est la non-intervention de l’État dans les contrats d’échange, à l’intérieur et à l’extérieur, entre particuliers : c’est la liberté et la sécurité des contrats privés.

« Qu’est-ce que le protectionnisme ? C’est la substitution, dans la direction des échanges, de la volonté des gouvernants à la volonté des particuliers. L’impérialisme économique est le protectionnisme agressif. »

Après ces précisions, notre choix pourrait-il rester un instant douteux ? Devons-nous tolérer les restrictions que le protectionnisme prétend imposer à la liberté des contractants, les entraves que mettent les États à la circulation des produits ? Que sert de parquer ces paisibles brebis qui circulent à leur guise, se répartissant fraternellement le pâturage ? Renversons bien vite ces barrières. Aussitôt, grande liesse au camp des loups. Les rétablir ? C’est donner toutes facilités au maître pour tondre le troupeau ou le conduire à l’abattoir. Or loups et bouchers foisonnent dans notre société. Avant de nous prononcer, il convient donc d’y regarder de près.

Nous n’avons pas à envisager ici les transactions bénévoles, manifestations de générosité, non susceptibles de mesure, mais les échanges effectués sur les marchés nationaux et internationaux dans lesquels entre en jeu l’équivalence des services échangés ou des matières qui les représentent (nous n’insisterons pas sur la notion de valeur ; l’adjonction du terme « service » est d’ailleurs une indication du sens que nous lui attribuons). De plus nous resterons dans le plan de la société actuelle, les remarques que nous ferons ayant simplement pour but de mettre en lumière des principes applicables à une société plus parfaite. Examinons donc les arguments que l’on peut apporter pour ou contre ce que les économistes appellent la liberté des échanges, pour ou contre le laisser-faire, laissez-passer.

La jouissance de la liberté dépend, à la fois, de la position relative des échangeurs et de la possibilité

d’établir des rapports exacts entre la nature et la quantité des marchandises livrées. Sur les marchés mondiaux, les échangeurs sont-ils placés sur un pied d’égalité, toute contrainte ouverte ou masquée est-elle éliminée, aucune méprise n’est-elle possible sur la valeur incorporée aux denrées offertes ? Non certes ! D’abord, les nations, pas plus que les individus, ne sont d’égale force. Si l’on a pu (bien à tort d’ailleurs) alléguer que la loi des grands nombres établissait un certain équilibre entre les prétentions d’une multitude d’individus, l’assertion est manifestement inexacte lorsqu’il s’agit des nations. Leur nombre est limité, leur superficie très inégale et, eu égard à la complexité de la vie moderne, peu d’entre elles peuvent se suffire à elles-mêmes. Tandis que grâce à l’étendue, aux contrastes et aux ressources de leurs domaines, certaines peuvent, à la rigueur, s’enfermer dans leurs frontières, la majorité est dans la dépendance des plus favorisées. Sans doute elles peuvent constituer une union douanière assez vaste pour se libérer de l’emprise des monopoles. Mais s’engager dans cette voie c’est se résigner à une phase préalable de restriction des échanges, circonscrits au sein de trois ou quatre grands groupements, vivant à l’écart les uns des autres, bientôt hostiles — États-Unis d’Europe contre États-Unis d’Amérique. Le défaut d’équilibre entre les États est un empêchement à la liberté des échanges.

Considérons la valeur des objets échangés, La plupart d’entre eux ont employé, au cours de leur fabrication, à la fois du travail humain et de l’énergie issue des forces naturelles et cela dans des proportions dépendant des climats, de la configuration du sol, de sa richesse en matières premières et en puissance motrice. Si le producteur étranger ne prétendait qu’à la rémunération de sa propre peine, sans faire état d’un travail qu’il n’a pas fourni, la justice serait aisément satisfaite ; la cession gratuite de ce que la nature a donné gratuitement compenserait l’infériorité de celui que le sort a desservi et les services étant simplement payés de services égaux, l’échange serait effectivement libre. Mais les choses ne se passent pas ainsi. Le spéculateur, abusant de ses avantages, cherche à tirer de sa marchandise le profit maximum. Il réclame de son partenaire un prix aussi proche qu’il se peut du prix de revient au lieu d’importation, retenu seulement par deux considérations : ne pas décourager l’acheteur éventuel, ne pas constituer de stocks trop importants qui déprécieraient son avoir dans son propre pays. En un mot, en abusant de facilités de production dont il n’est pas l’auteur, le trafiquant étranger, contre ce qui représente deux unités de travail, en exigera trois ou davantage au lieu de livraison.

Un pays d’antique civilisation produit, par exemple, du blé à 120 fr. l’hectolitre, tandis qu’un pays neuf, dont le sol n’a pas été épuisé, ou encore présente assez de disponibilités pour une culture extensive, peut le livrer à 100 francs. Les négociants de ce dernier ne demanderont pas les 100 francs qui rémunéreraient leur travail, mais 114 francs, 115 francs, chose facilitée, à notre époque par les cartels qui suspendent l’effet de la concurrence.

Cela est précisément, réplique-t-on, un des bienfaits du libre-échange. Le pays mal placé n’a qu’à abandonner une production pour laquelle il n’est pas fait et à en entreprendre quelque autre qui lui permettra de dominer, à son tour l’adversaire. Renonciation équivaut à asservissement s’il s’agit d’une denrée de première nécessité. En outre, des populations entières ne peuvent s’outiller du jour au lendemain pour de nouveaux travaux ; le retour à l’équilibre économique causera maintes souffrances. Au surplus, les richesses du sol ne sont pas inépuisables en une contrée, la primauté passe de