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libre-penseur, fut banni de la synagogue à cause de cela.

Au milieu du xviiie siècle, en Angleterre, le déisme prit une grande extension, malgré les persécutions du clergé protestant. Un garçon de 18 ans, Thomas Arkenhead fut pendu comme déiste et pour avoir appelé l’Ancien Testament les Fables d’Esdras, Jacob Ilive, qui avait nié toute révélation divine fut attaché trois fois au pilori (1753) et condamné aux travaux forcés pour trois ans ; un vieillard de 70 ans, Peter Annet qui s’était moqué des histoires du pentateuque (les cinq ouvrages attribués à Moïse), fut aussi attaché au pilori et envoyé aux travaux forcés pour une année.

Cependant on peut s’étonner qu’il n’y ait pas eu plus d’ouvrages défendant le déisme ; on n’en compte guère qu’une cinquantaine, et pourtant la plupart des hommes remarquables de cette époque, étaient déistes, ils n’allaient pas jusqu’à douter de l’existence d’un Dieu, ce Dieu était le créateur rien de plus. Ils ne se demandaient pas où ce Dieu avait pris la substance de la création, celle-ci, d’après la genèse n’ayant été que la mise en ordre du chaos ; mais qu’était ce chaos ? Etc.

Voltaire qui fut le roi intellectuel du xviiie siècle était un déiste. Ayant dû fuir la France, il avait pendant son séjour en Angleterre étudié les écrits des déistes, il en absorba tout le suc et il expliqua dans un style impeccable bien supérieur à celui des Anglais les idées des déistes.

La vie et les écrits de Voltaire sont trop connus pour qu’on ait besoin de les dépeindre ici. Son influence n’est pas diminuée, bien que ses tragédies, ses comédies, ses poèmes épiques ne soient plus lus, mais le nom de Voltaire a encore une force très grande. Il n’est pas de jour où je ne voie ce nom cité par les journaux américains, anglais, allemands, russes, tchèques, polonais, ukrainiens. Les cléricaux ont beau faire rage, inventer calomnies sur calomnies, Voltaire reste roi de la pensée anti-religieuse.

Son Dictionnaire philosophique, Candide, et d’autres contes sont traduits et lus dans toutes les langues et dans tous les pays. C’est la bête noire des cléricaux.

Voici un paragraphe que j’ai lu aujourd’hui dans le journal anglais The Literary Guide :

« Voltaire : Philosophe, dramaturge, historien ; le châtieur des hypocrites, l’exposeur des faussetés, l’ennemi acharné, infatigable de la superstition, le protecteur du travailleur, le vengeur de Colas et de Sirven, Voltaire qui le premier fit de la plume une puissance devant le nom de qui les papes et les potentats apprirent à ramper ; qui bannit Jéhovah du ciel et l’Enfer de l’autre monde, le génie qui a tant fait (pour l’humanité)… Voltaire et Napoléon sont symboliques comme Ahriman et Osmuzd, de la mythologie perse, ils sont comme les principes du conflit du bien et du mal, de la Raison et de la Force, principes toujours en guerre, guerre incessante, etc. » (La suite de l’article est un éloquent discours contre la guerre). On y trouve encore cette phrase : « j’espère, j’ai confiance qu’un jour viendra où hommes et femmes n’offriront plus un culte aux restes de Napoléon, et qu’ils trouveront en Voltaire leur instituteur et leur inspirateur. »

Ainsi la haine des catholiques n’a pu ronger le piédestal sur lequel l’humanité moderne a érigé l’idéal du philosophe.

Autour de Voltaire, nous voyons une foule d’hommes de talent, même de génie, aller plus loin que lui et se proclamer athées. La Mettrie, d’Argens, d’Holbach, l’abbé Meslier, Dumarsais, d’Alembert, Mably, Naigeon, Dupuis. Ces hommes dont les œuvres ont eu une influence colossale sur le progrès de la libre-pensée et de l’histoire mériteraient des notices spéciales dans notre Encyclopédie, mais l’espace manque. Rappelons

seulement que l’Encyclopédie fondée et rédigée par Diderot et dont l’introduction par d’Alembert est devenue une œuvre classique, est constamment citée, quoique la partie scientifique ait été laissée en arrière par les découvertes modernes. C’est le sort inévitable de toutes les encyclopédies. Condorcet, grand savant, fondateur de la théorie du progrès, avocat du Droit des femmes, mérite notre admiration.

Après la mort de Voltaire et des principaux encyclopédistes, la libre-pensée devint le mot d’ordre de presque tous les écrivains et les penseurs. Quand la Révolution éclata presque tous les leaders étaient imbus des idées de Voltaire et de ses disciples, ou de celles de J.-J. Rousseau qui, malgré ses palinodies, fut toujours plus ou moins libre-penseur. On fut étonné dès la Constituante de voir des évêques, des prêtres, comme Talleyrand ou l’abbé Grégoire renoncer à leur vocation et se proclamer libres-penseurs.

Danton, Marat, Mirabeau, étaient des libres-penseurs convaincus. Marat, abominablement calomnié par la plupart des historiens était un grand savant et un homme intègre, Robespierre, l’incorruptible Maximilien, a fait du mal à la Révolution et au monde par ses idées théistes et la réintroduction de la religion en France ; mais quand on compare la vie et l’intégrité de Robespierre avec la vie et les actions de nos hommes d’État, on est forcé d’admirer cet homme malgré sa mauvaise influence contre la libre-pensée. Saint-Just, Lebas, Couthon étaient des héros aux idées plus avancées que leur leader. Hébert, le rédacteur du Père Duchesne, se servait du langage grossier de certaines couches populaires pour convertir ces hommes aux idées révolutionnaires et athées. Barras et les réactionnaires qui ont renversé le régime de Robespierre n’étaient pas libres-penseurs. C’étaient des arrivistes à la façon de nos parlementaires, de nos ministres, beaucoup étaient des hommes vicieux restés chrétiens.

Nous avons oublié de parler d’hommes qui ont eu une grande importance comme Helvétius, dont les volumes : De l’Esprit, et Du Bonheur, sont franchement athées.

Pendant la période révolutionnaire parurent des ouvrages importants pour la libre-pensée, par exemple Les Ruines des Empires, par Volney, publiées en 1791 ; elles ont été souvent rééditées. L’énorme ouvrage de Dapuis, Origine de tous les cultes, qui porta des coups formidables aux théories chrétiennes, date de 1795 ; Sylvain Maréchal, auteur du fameux dictionnaire des athées, publia en 1797, son Code d’une Société d’hommes sans dieu ; en 1798, les Libres-Pensées sur les Prêtres ; en 1799, les six volumes de son ouvrage athée Voyage de Pythagore. Le Dictionnaire des athées ne parut qu’en 1800. Il a été agrandi par le grand astronome athée Lalande.

Parmi les plus grands savants de l’époque révolutionnaire et napoléonienne, nuls noms ne mériteraient plus d’être loués que ceux de Lamarck, fondateur du transformisme (1744-1829) et de Laplace (1749-1827). Celui-ci a dit : « Il n’est aucun besoin de l’hypothèse Dieu. »

Tandis qu’au xviiie siècle en France, la libre-pensée prenait conscience de sa force ; en Angleterre, il y avait quelques esprits puissants, comme l’historien, philosophe et sceptique Hume (prononcer Youme, 1711-1776), qui avait brisé les chaînes qui tenaient l’esprit humain attaché au christianisme et plus tard au déisme. Hume avait même influencé Voltaire dans sa jeunesse ; mais il n’y avait pas de mouvement libre-penseur prononcé en Grande-Bretagne.

Un autre écrivain, Gibbon (prononcez Ghibene), 1737-1704, grand historien, élevé à Lausanne, y subit l’influence de Voltaire et dans son énorme ouvrage Dé-