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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/704

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seille, de Mulhouse, de Paris, qui firent construire des cités ouvrières… » (Larousse Universel).

Melun, dans ses Annales de la Charité, a tracé un tableau typique des grandes misères de la population indigente du 12e arrondissement. « Il est une partie de la ville, dit-il, qui paraît avoir échappé à la loi du mouvement et n’avoir jamais eu rien à perdre. Malgré l’aspect misérable et fangeux du faubourg Saint-Marceau, on ne trouve chez lui aucune trace de décadence ; ses rues resserrées et à pic, ses passages en planche, ses carrefours dépavés n’ont jamais pu porter de voitures, et on dirait que ses maisons, si hautes et si sombres, avec le nombre de leurs étages, la raideur de leurs escaliers, l’humidité de leurs chambres, ont été bâties pour des gens qui ne devaient pas payer leurs loyers. Dans ces demeures malsaines, sur cette paille qui souvent sert de lit, ne demandez pas de la fraîcheur et de la santé à l’enfant, de la force à l’ouvrier, de la verdeur au vieillard. Les scrofules, seul héritage que se transmettent les familles, nouent les ressorts et arrêtent les développements de la vie. » Et, outre le pêle-mêle, plus hideux encore qu’ailleurs, le prix de ces bouges, où on logeait au jour, à la nuit et à l’heure, était exorbitant. Sans doute, ce tableau a vieilli et les tons s’en sont un peu éclaircis. Des trouées ont amélioré ce quartier et quelques soins ont tenté de rendre ces repaires moins lugubres. Mais les vices généraux n’en ont point disparu. Là, comme en bien d’autres coins de misère, la cupidité des logeurs continue à entasser les malheureux dans des pièces de quelques mètres carrés. Et la tradition de faire suer le logement continue à être la méthode sacrée de M. Vautour…

Quant à l’attention périodique des pouvoirs publics et aux interventions des philanthropes, elles n’ont apporté, depuis plus d’un demi-siècle, que de telles peintures ont pu être tracées sur le vif, que des adoucissements superficiels et des relèvements insuffisants. Le mal reste aujourd’hui singulièrement grave et étendu. Il est trop profond d’ailleurs et rattaché à trop de raisons connexes pour qu’il puisse être guéri par des bonnes volontés isolées et quelques saignées empiriques, par les aumônes de la bienfaisance et les crédits à retardement des administrateurs officiels. Seul un régime nouveau, situant sur son vrai plan, qui est d’ensemble social et non fragmentaire, le problème de l’habitation, pourra, s’y attaquant résolument et sans ménagements, dresser sur les ruines des masures actuelles des abris sains pour ceux qui travaillent. Seul aussi, il pourra, faisant litière des cloisonnements et des classes, ouvrir à tous les humains, un accès équitable aux demeures édifiées… Malgré des privilèges subsistants, des partialités de distribution manifestes, malgré surtout la tendance à favoriser son armée de fonctionnaires civils et militaires et sa corporation d’ouvriers qualifiés, la Russie soviétique a fait un effort notable dans le domaine du logement. D’avoir réduit, dans les immeubles existants, le nombre excessif de pièces affectées autrefois aux familles de la bourgeoisie pour y abriter des travailleurs sans logis ; d’avoir, dans les châteaux princiers et les vastes parcs où la camarilla tsariste noçait et chassait à la santé du peuple, installé pour celui-ci des maisons de repos et de retraite, des établissements pour les malades et pour l’enfance, constitue un fait nouveau, l’esquisse pratique d’une économie populaire (sinon pleinement révolutionnaire) encore inédite, qu’il serait injuste de passer sous silence…

Il est évident en effet que, au moins autant que d’insuffisance, nous souffrons, en matière de logement, d’une mauvaise répartition. De vastes immeubles, des habitations de 14 à 20 pièces (sans compter les dépendances utilisables) sont limités à « l’usage » d’une ou deux personnes. D’autres ne sont occupés — et encore

partiellement — que quelques mois, parfois quelques semaines dans l’année. Nombreuses sont dans les maisons les pièces d’apparat, les chambres de réserve ou « d’amis » qui jamais n’ont abrité quiconque ou rendent de fallacieux services. J’en appelle — pour accuser cette disproportion dans l’affectation et souligner l’arbitraire, d’ailleurs patent, de la jouissance — au témoignage peu suspect d’un statisticien bourgeois. En 1908, le Dr Jacques Bertillon écrivait dans le Journal : « Il y a dans les maisons de Paris environ 2.250.000 pièces (hôtels et habitations collectives telles que hospices, casernes, etc., non compris). Ainsi il y a presque autant de pièces que d’habitants et l’on pourrait imaginer que chaque habitant pourrait avoir une chambre pour lui tout seul. Naturellement, il n’en est pas ainsi : les uns ont plusieurs pièces à leur disposition, et beaucoup d’autres sont loin d’en avoir autant. » Et il ajoutait — constatation sévère derrière le laconisme tolérant — « Sur 1.000 habitants de Paris (de tout âge et de tout sexe), il y en a près de la moitié (exactement 482) qui sont assez spacieusement logés, à savoir 266 qui disposent d’une pièce par personne, et dont le logement peut passer pour suffisant, 138 qui ont plus d’une pièce, et 78 plus de deux pièces à leur disposition et qui sont largement ou très largement logés ; l’autre moitié est moins bien partagée : 363 vivent dans des logements dits insuffisants, où il n’y a pas une pièce par personne, et enfin 149 sont logés à raison de plus de deux personnes par pièce. Les logements de ces derniers sont dits surpeuplés. Six habitants sur mille ont des logements indéterminés (bateau, voiture, écurie, magasin, etc.)… »

Il ne s’agit pas là d’une crise ou d’une infériorité nationales. Comme tous les maux qui frappent les classes pauvres, la pénurie et l’inique conditionnement du logement ne connaissent pas de frontières. Berlin, Vienne, Budapest, pour citer les plus caractéristiques parmi les capitales étrangères, sont aussi mal partagées et des gens y vivent aussi dans les caves et les sous-sols. Et ils ont leurs Schlafleûte, « les gens qui louent une portion de chambre ou de lit »… Si l’on considère d’autre part le territoire français dans son ensemble, on note, en prenant les mots dans leur acceptation ci-dessus qui révèle un critérium d’indulgence bourgeoise manifeste, qu’à l’époque dont parle Bertillon, sur 1.000 personnes, 260 vivaient en logements surpeuplés, 360 en logements insuffisants, 168 disposaient d’une pièce par individu, autrement dit que près de 800 souffraient, à des degrés divers, d’une solution mauvaise du problème de l’habitation.

Arrêtons-là les citations. Entrer dans le détail des villes et des communes rurales plus ou moins favorisées, opposer l’une à l’autre cités et provinces n’éclairerait pas davantage notre documentation générale. Les chiffres sont probants et Bertillon pouvait conclure : « Un logement encombré est aussi nuisible à la santé physique qu’à la santé morale. Que de déchéances, que de ruines même sont dues à la promiscuité causée par un logement trop étroit ! » Que viendront faire, en face de cette calamité, les remèdes doucereux de la charité, les mesures, toujours hésitantes, d’amendement public ? Qui, bénévolement, parmi ceux qui bénéficient d’un scandaleux déséquilibre, se résignera aux abandons nécessaires, quels favorisés feront la nuit du 4 août des locaux inutiles ? Quelle législation, dans le champ fermé de l’économie capitaliste, fera des prélèvements efficaces, groupera, sans en faire retomber la charge sur les misérables et mettra utilement en œuvre, les lourds crédits indispensables ? Non, le logement du pauvre ne disparaîtra qu’avec le paupérisme…

Nous avons vu que les municipalités, urbaines notamment, ont constitué des commissions d’hygiène ayant,