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dans leurs attributions, le contrôle des locaux d’habitation. Voici comment leur rôle est défini par la loi de 1850. « Elles visitent les lieux signalés comme insalubres mis en location ou occupés par d’autres que le propriétaire, l’usufruitier ou l’usager ; elles déterminent l’état d’insalubrité et en indiquent les causes, ainsi que les moyens d’y remédier. S’il est reconnu que les causes d’insalubrité dépendent du fait du propriétaire, l’autorité municipale lui enjoint d’exécuter, sous peine d’amendes que détermine l’article 9 de la loi, les travaux jugés nécessaires. S’il est reconnu que le logement n’est pas susceptible d’assainissement et que les causes d’insalubrité sont inhérentes à l’habitation elle-même, l’interdiction de location à titre d’habitation peut être prononcée, sous les sanctions pénales prévues par l’article 10 de la loi. Enfin, si l’insalubrité est le résultat de causes extérieures et permanentes, ou si ces causes ne peuvent être détruites que par des travaux d’ensemble, la commune a la faculté d’acquérir, par expropriation, la totalité des propriétés comprises dans le périmètre des travaux » (Nouveau Larousse). Depuis la loi de 1902, la mise en mouvement des moyens de coercition qui ne pouvait se produire lorsque l’occupant était le propriétaire lui-même, l’insalubrité atteignît-elle les voisins, peut avoir lieu à l’égard de « tout immeuble dangereux pour la santé des occupants, quel qu’ils soient, ou pour la santé des voisins ». D’autre part, l’action légale atteint non seulement les logements et leurs dépendances, mais « les immeubles entiers, y compris les parties non bâties ».

Il y a là évidemment, au nom de la santé publique, le principe d’une immixtion heureuse de l’autorité sociale dans l’état des lieux habités. Il porte atteinte aux droits souverains de la propriété et en restreint l’arbitraire meurtrier. Mais tous ceux qui connaissent le fonctionnement des commissions d’hygiène savent dans quelles circonstances elles se déplacent. Et les malheureux qui habitent les maisons que leur passage, suivi d’effet, « assainirait », peuvent goûter une fois de plus l’ironie des lois de sauvegarde et attendre que les pouvoirs publics daignent s’appuyer sur elles pour enjoindre la réfection des quartiers inhabitables, A plus forte raison pourront-ils — s’ils en connaissent — épingler comme un événement révolutionnaire, l’expropriation pour cause d’insalubrité !

On se garde le plus souvent de porter le regard — et encore moins la pioche ! — dans les taudis existants. Tout au plus s’inquiète-t-on, assez distraitement, d’exiger que les constructions neuves réalisent certaines conditions élémentaires de salubrité. Les « villes tentaculaires » qui aspirent et précipitent dans leur tourbillon les populations abusées ou économiquement infériorisées des campagnes, souffrent avec acuité d’une crise du logement que la dernière guerre a accrue et accélérée. Et elles cachent encore dans leurs flancs — stigmates qui sont la honte d’un régime et suffiraient à le condamner — des milliers d’infects chenils qui sont l’habitation obligée du pauvre… Les soupentes tour à tour glaciales et surchauffées qu’aère une maigre lucarne et où croupissent des familles entières dans une promiscuité malsaine et révoltante, les vagues « pièces » superposées dans les cours noires et empuanties de tous les reliquats des cuisines et des water-closets, avec leurs boyaux d’accès où règne une éternelle demi-nuit et auxquels on a eu le cynisme de donner le nom de rues, continuent dans un Paris surpeuplé et dans les vieux quartiers de la plupart des grandes agglomérations de province (où le visiteur admire leur « couleur » historique et leur originalité), à servir d’abri et déjà de tombeau aux nichées laborieuses…



Quelques passages d’un document officiel d’avant 1914

loin de les réduire, le cataclysme destructeur a accentué les vices dénoncés et les tares se sont étalées et approfondies — souligneront, de leurs traits et de leurs chiffres précis, les peintures que nous esquissons et accuseront leur modération. Elles éclaireront d’un jour cru la lèpre que représentent en plein vingtième siècle les habitations des hommes…

« En 1891, il y avait à Paris 72.705 logements surpeuplés, c’est-à-dire habités par plus de deux personnes par pièce : 331.976 personnes occupaient ces logements. En 1901, on comptait encore 69.901 de ces logements, habités par 341.041 personnes ; 15.432 familles n’avaient qu’une pièce pour quatre personnes. Il faut, en outre, tenir compte des 190.000 personnes qui logeaient en garni : en 1896, il y avait là 2.783 groupes de quatre personnes et plus logeant « sous la même clé ». Les recensements ultérieurs 1906, 1911, se sont bien gardés de refaire le dénombrement du « bétail humain » ainsi entassé. Mais « à défaut de statistique précise, on peut voir un indice de l’aggravation de la crise dans l’augmentation croissante du nombre des ouvertures de garnis, qui s’est produite dans les arrondissements périphériques. Le nombre des chambres contenues dans ces garnis — refuges ouverts à toutes les inquisitions de propriété et de police — est passé de 671 en 1907 et 804 en 1908 à 1.649 en 1909, 2.216 en 1910 et 4.600 en 1911. D’après les relevés de la Préfecture de police, il y avait, en 1908, 189.177 locataires dans les garnis et 196.925 en 1911. Or, il ne faut pas perdre de vue que l’hôtel meublé, dans les quartiers ouvriers, est souvent le refuge des familles qui ne peuvent plus se loger dans les maisons particulières et qui en sont réduites à s’entasser dans une chambre garnie, dont le loyer est payé à la semaine. »

« D’autre part, des enquêtes auxquelles ont procédé des hygiénistes comme les docteurs Mangenot et Boureille ou des œuvres philanthropiques telles que « l’Amélioration du logement ouvrier » ont montré dans quelles épouvantables conditions d’insalubrité vivaient de nombreuses familles ouvrières : c’est, à Grenelle, huit personnes logées dans une pièce de 36 m. cubes ; rue Falguière, six personnes couchant dans une chambre de 29 m. cubes où ne pénètre jamais le soleil ; dans le 10e arrondissement, sept personnes habitant une pièce dont l’unique fenêtre donne sur une courette sombre qui sert de réceptacle à toutes les immondices de la maison, etc.

Dans ces recoins humides, sans air, ni lumière, la tuberculose, maladie de l’obscurité, du surpeuplement et du surmenage, règne en maîtresse sur les travailleurs et leurs enfants… Les familles nombreuses (malgré les exhortations officielles à la procréation : de même que Dieu bénit les nombreuses familles mais ne les nourrit pas, la patrie demande des enfants sans s’inquiéter de leur gîte et de leur pâture), sont particulièrement frappées et sont non seulement les premières victimes des taudis, mais celles de la crise elle-même. On cite un père de dix enfants ayant visité, à l’époque (on peut multiplier aujourd’hui les chiffres de ces courses stériles) « 33 logements sans être accueilli ». Une autre, avec neuf enfants, a passé trois nuits à la belle étoile. D’autres mettent leurs meubles au garde-meubles et les vendent peu à peu pour payer la chambre d’hôtel où on a consenti à les héberger avec leurs sept enfants : plusieurs se construisent des baraques en planches ou en carreaux de plâtre sur des terrains qu’ils louent parfois des prix exorbitants. » (Rapport de la commission des habitations au Conseil municipal de Paris).

Tant que le logement fera partie du système de « revenu privé » qui est la caractéristique de l’économie actuelle, le mal subsistera, plus ou moins étendu, plus ou moins douloureux. Et les propriétaires, arbitres intéressés, pourront, dans la logique de l’affaire que repré-