pour que l’homme s’y levât, qu’une main éternelle (puérile et grossière image !) a refroidi la nébuleuse en fusion.
La vérité c’est que la science, de jour en jour davantage, nous montre l’erreur où nous tombons quand nous imaginons la matière dense, compacte, continue. La matière, ainsi comprise, n’existe pas. Il n’y a que des systèmes stellaires d’atomes, soumis à la gravitation dans des cycles distincts. Les forces différentes que nous connaissons dans notre monde ou dans le monde sont les apparences diverses sous lesquelles se manifeste à nous une force unique, quand sa condition change ou quand son intensité se modifie. Les découvertes les plus récentes permettent de croire que les rayons lumineux sont des rayons X amortis, atténués, et devenus perceptibles pour notre œil ; les vibrations du son n’influencent plus notre oreille, quand elles dépassent une certaine fréquence ; les ondulations de la lumière n’influenceraient plus notre rétine, au-delà d’une certaine puissance. Nous savons que l’énergie arrêtée dans son mouvement, contrariée, refoulée produit la chaleur. Il est permis de penser qu’une force dégagée par la brusque abolition ou la transformation soudaine d’un système moléculaire, traverse et bouleverse de proche en proche d’autres systèmes moléculaires et que ce frissonnement qui se propage est l’électricité. Mais ce qui est la force unique, essentielle, nous n’en savons rien. Elle existe… Que parlons-nous de création ? Toute force ou toute source de force ne peut être engendrée ou constituée que par une force, ce qui recule l’origine de la force vers l’infini.
Ne nous laissons pas abuser par cette idolâtrie grandiose qui élève la nature au rang d’une bête fabuleuse et la consacre comme une divinité de fait. On enseignait, il n’y a pas cent ans, que la nature avait horreur du vide, et ainsi, commodément, on expliquait ce que devait amener à comprendre la théorie des pressions. Refusons-nous à un panthéisme religiosâtre. La nature n’est pas cette gigantesque marmotte en boule qui, digérant les Univers dans son ventre, aurait un instinct à défaut d’un esprit et créerait ses lois au rythme de son souffle.
Le mot loi, quand il désigne la loi naturelle, ne doit avoir qu’un sens : ce mot exprime que la relation d’une cause a avec ses effets m, n, r, etc. reste constante lorsque la cause subsiste ou se renouvelle. Pour le mot loi dont nous nous servons, nous indiquons que dans l’enchaînement des phénomènes nous savons discerner la cause de l’effet, nous proclamons que le plan de la réalité matérielle est conforme au plan mathématique de notre intelligence et que la déduction qui s’opère : l’effet engendré par la cause, était obligée, nécessaire.
b) Loi artificielle, loi écrite. La loi de la nature, avons-nous dit, est indispensable au maintien, à l’équilibre d’un système, le système auquel l’existence nous assujettit. Sans doute, nous nous sommes adaptés aux conditions matérielles dans lesquelles nous sommes obligés de vivre, mais il n’est pas douteux que notre existence serait impossible, et la vie telle, du moins, que nous la concevons de tous les êtres également si les lois naturelles n’existaient plus. Supposons abolie la loi que nous appelons loi de l’attraction, l’air ne serait plus maintenu à la surface du globe, nous ne serions plus adhérents au sol, et nous ne serions plus même des corps constitués puisque les molécules de notre corps ne seraient plus associées, puisque le sang qui ne serait plus du sang, ne serait plus contenu dans nos artères évanouies.
La loi artificielle, la loi fabriquée par l’homme, devrait être semblable à la loi naturelle. Nulle loi ne peut être excusable ou ne peut sembler légitime que si elle est nécessaire au maintien, à l’équilibre du système vital qui permet à l’individu de subsister au milieu de ses congénères.
L’esprit public est imprégné de cette idée que la loi est un bien. La loi est un mal, car toute loi restreint la liberté. « La loi n’atteint la licence qu’en frappant la liberté ». Qui a dit cela ? Un révolutionnaire ? Pas précisément. L’auteur de cette pensée est celui qui, à la formule célèbre de Danton : « l’audace, et puis l’audace et encore l’audace » opposait cette devise : « la justice, et puis la justice et encore la justice ». Ce téméraire tribun s’appelait Royer-Collard. Sa sentence qui frappe au front, la loi n’a pas jailli d’un nuage orageux : elle a brillé comme une lueur d’aurore sur les pentes d’un génie moyen couvert de lauriers un peu fanés, mais que le vernis de l’histoire empêchera longtemps de se flétrir.
Voyons comment s’est formée la loi (Voir droit, code, légalité, législation, justice, etc.). Le droit primordial de l’homme, c’est le droit à la vie. Le devoir primaire de l’homme envers lui-même, c’est de défendre et de protéger son existence.
On a dit qu’il fallait vivre d’abord, philosopher ensuite : « primum vivere, deinde philosophari ». « Nous dirons, en modifiant cet adage bien connu : vivre d’abord, c’est le principe essentiel de la philosophie ; c’est l’axiome du droit individuel et du droit social. »
Imaginons un paysage biblique. Un homme se dresse sous les cieux resplendissants mais impassibles, dans une plaine luxuriante mais sauvage et inculte. Les cratères en éruption s’empanachent au-dessus de sa tête. Eperdu d’effroi à l’idée de son isolement, tremblant d’angoisse à la vue de son péril, il se nourrit de racines et se protège contre les éléments. Le soleil neuf est ardent, l’homme veut boire…
Près de la source où il va se désaltérer, un autre homme, son semblable a surgi. La source murmurante occupe un étroit entonnoir… Si le trou d’eau, comme disent les explorateurs, n’est ni assez large ni assez riche pour se prêter au désir des deux bouches qui veulent humer l’onde bienfaisante, rien n’y fera. Le plus fort des deux compétiteurs tuera le plus faible, ou le plus agile le moins leste. Le vainqueur boira, courbé sur le cadavre du vaincu.
Mais que l’eau soit accessible et d’un débit suffisant, part à deux ! Primus, pour parler le langage juridique, prend conscience de cette vérité élémentaire : que son droit à la vie peut marcher de pair avec le droit identique de Secundus. Primus et Secundus boiront ensemble ou l’un après l’autre. L’accord s’établit, ou le compromis se réalise.
Peu à peu, notre clairière édénique se peuple de colons involontaires ; ils n’ont pas demandé à venir au monde : ils sont nés cependant. Si l’un d’eux est plus faible ou malingre, il peut être sacrifié ; l’audace et la convoitise rompront à son détriment l’équité. Mais un clan se forme. Le disgracié, le déshérité de naissance trouve des défenseurs parmi ses compagnons de la prairie. Ces protecteurs égoïstes redoutent pour eux-mêmes la contagion du mauvais exemple, la prédominance de la force brutale, sur la notion du partage ou de la jouissance collective. Ils se font les défenseurs du droit individuel pour le salut du droit commun.
La présence des femmes et la survenance des enfants compliquent la question sociale primitive. Les femmes, qui doit les défendre, et qui doit les posséder ?
Un fait est certain : pour tous les biens, dont le principal est l’aliment, les appétits doivent être réfrénés, s’ils ne peuvent se débrider en même temps ; ils doivent se tempérer ou se restreindre quand devient plus rare ou moins facilement accessible la « masse » nécessaire aux besoins de tous. Et quand un bien est affecté au besoin d’un individu, ce bien appartient à cet individu. Ainsi se dégage le principe de la propriété dont la notion est donnée à l’homme par la possession de son corps.
C’est sur ces assises primitives que s’est formée la