un ensemble d’expériences passées et permet de prévoir le plus grand nombre possible de faits à venir. « La meilleure loi naturelle est celle qui condense le plus de faits » (Le Dantec). Un exemple : les petites oscillations d’un pendule sont d’égale durée, et chacun a pu observer que celle-ci s’accroît avec la longueur de l’instrument. On aurait pu s’en tenir à rédiger des tables numériques donnant, pour chaque lieu du globe et pour chaque longueur, la durée du battement. La science fait mieux, elle nous dote d’une brève formule de quatre lettres et de trois signes qui, grâce à trois opérations élémentaires, nous permet de connaître le temps cherché pour tel appareil que l’on voudra.
Opérant sur ces lois particulières comme il a opéré sur les faits, l’esprit s’est élevé à des lois de plus en plus générales et à des principes en nombre toujours plus restreint, qui suffisent à condenser tout notre savoir et à vivifier toute notre industrie. La formule de l’attraction universelle, due à Newton, d’une concision égale à la précédente, ne nous explique pas seulement les mouvements du système solaire ; elle nous permet d’aborder une foule d’autres problèmes concernant par exemple, les actions électrostatiques et magnétiques, la capillarité, etc…
Mais nous sommes sujets à une illusion. Cette loi, qu’au prix de longs efforts nous avons tirée de la connaissance des faits passés, qui n’est en somme qu’un moyen de classification indispensable, nous sommes aussitôt portés à lui attribuer une valeur absolue, à croire qu’elle s’impose fatalement à l’avenir. Nous regardons comme une loi inhérente à la nature, inéluctable, divine, ce qui n’est en définitive qu’une loi de notre esprit ou, si l’on préfère, le reflet dans notre esprit de phénomènes dont l’essence nous demeure impénétrable. Les lois physiques expriment « non pas l’activité de la nature, mais les relations entre cette activité et celle de l’homme » (Le Dantec). On a pu se demander si elles sont des lois éternelles. « En toute simplicité, on doit répondre que nous n’en savons rien. Pour qu’elles fussent nécessaires, éternelles, il faudrait que la justification d’un corps de doctrine reposât sur une autre base que sa convenance au réel, telle que nous l’avons étudiée. Tout ce que nous pouvons dire, c’est : tel symbole convient aux faits réels sur lesquels on a expérimenté jusqu’ici. Mais nous n’avons rencontré nulle part quoi que ce soit nous permettant d’affirmer en augures : tel symbolisme conviendra éternellement aux faits réels de l’avenir… On dit parfois que nous arrivons à connaître, non les choses, mais les rapports des choses. C’est encore un leurre. Nous ne parvenons qu’à formuler des relations entre les symboles des choses. La différence est formidable entre les deux prétentions ; gardons-nous de confondre l’image scientifique que nous nous faisons du monde avec le monde lui-même. » (Gl. Vouillemin).
b) Lois sociales. Les lois qui gouvernent les sociétés, tout comme celles qui règlent les phénomènes de la nature, sont empreintes de relativité. Elles le sont même à un plus haut degré puisqu’elles définissent les rapports de l’homme avec un milieu qui se modifie sous l’action de l’homme. Nous ne sommes plus en présence d’un équilibre quasi stabilisé par la lenteur de l’évolution de l’un des facteurs, le facteur cosmique, mais d’une relation entre des termes, individus et groupes, dont les changements, s’ils ne sont ni simultanés, ni identiques, sont sous la dépendance d’une même cause, le psychisme humain et par suite du même ordre de grandeur.
Aux deux sens civil et moral « les lois sont des produits naturels, ce sont des produits des phases particulières du développement humain. Ce développement est lui-même capable d’être traité par la méthode scientifique, et la suite de ses degrés petit être exprimée par
Envisagées sous cet angle, les lois sociales seraient de simples guides nous servant à orienter notre conduite dans la compagnie de nos semblables, de même que les lois scientifiques guident notre action dans l’ensemble du monde naturel ; elles nous avertiraient des réactions que nos actes doivent susciter chez ceux qui nous entourent. Malheureusement, au cours des âges, le milieu social ne s’est pas organisé spontanément par le concours d’instincts sensiblement équilibrées ; des volontés particulières et collectives y ont prédominé. Les lois ne sont pas seulement explicatives, mais impératives ; elles prétendent contraindre au lieu de conseiller. Cependant certains indices de leurs fonctions naturelles sont parfois visibles. Sous l’ancien régime, à côté des ordonnances promulguées d’autorité par le pouvoir, existaient des lois qui n’étaient que des coutumes rédigées. Et ce souci de réduction était justifié. Rien de plus tyrannique que les exigences d’un groupe inconstant, obéissant à des impulsions irréfléchies, imprévisibles. Un texte est une garantie contre l’interprétation abusive d’un usage mal défini. La jurisprudence, à son tour, adapte à la vie des formules trop immuables.
D’un autre point de vue, légitime est le souci que nous avons d’influer sur l’évolution de cette partie du milieu vital qui relève plus directement de notre volonté. Dans ce cas, la loi abdiquant son caractère de contrainte exercée de l’extérieur devra se réduire ci une obligation ressentie par les consciences individuelles, trouvant son point d’appui dans leur commune volonté de progrès. Quels seront la source et le champ d’application d’une telle législation ?
Lorsqu’elle visera la manifestation des tendances morbides ou perverses unanimement réprouvées, elle ne différera guère, sinon dans sa formule, du moins dans son effet, de celle qui nous régit aujourd’hui. Mais pour tout ce qui concerne les rapports politiques ou économiques entre les hommes elle ne sera rien plus que l’expression des conditions afférentes à la réalisation d’un idéal consciemment poursuivi par les membres d’une collectivité. Cela ne sera possible qu’autant que les liens qui les uniront n’engloberont que la part de leur activité appliquée à la poursuite d’un but exactement spécialisé. Les tendances humaines sont trop hétérogènes pour que les statuts d’un groupe puissent les confondre dans un seul bloc, sans en écraser le plus grand nombre sous le poids d’une discipline trop uniforme.
Dès l’instant qu’il se livre tout entier à un groupe, l’être abdique sa personnalité. Dans une sphère délimitée, au contraire, l’individu accroît ses moyens d’action en joignant sa propre force à d’autres semblables dirigées dans le même sens. Comme l’a fait remarquer Durkheim (nullement libertaire d’ailleurs), c’est au sein de groupes issus de la similitude des activités et des œuvres que s’élaborent les lois morales, « car il est impossible que des hommes vivent ensemble, soient régulièrement en commerce, sans qu’ils prennent le sentiment du tout qu’ils forment par leur union, sans qu’ils s’attachent à ce tout, se préoccupent de ses intérêts et en tiennent compte dans leur conduite. Or, cet attachement à quelque chose qui dépasse l’individu, cette subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général (nous dirions plutôt à l’intérêt qui a motivé l’accord) est la source même de toute activité morale. Que ce sentiment se précise et se détermine, qu’en s’appliquant aux circonstances les plus ordinaires et les plus importantes de la vie il se traduise en formules définies, et voilà un corps de règles morales en train de se constituer ».
Les sentiments et les usages qui, dans chaque sphère d’activité, maintiennent l’accord entre les participants,