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sait ou peut mettre en œuvre. Faire l’histoire de la décadence d’une race, d’une nation, d’une famille, c’est faire indirectement le procès de la longévité puisque tout processus de régression aboutit obligatoirement à la stérilité, c’est-à-dire à zéro, en passant par une période de longévité progressivement diminuée.

Causes extrinsèques. — Voici maintenant les causes extrinsèques qui finissent, grâce à une accumulation prolongée par modifier l’espèce et par se confondre avec les causes intrinsèques ci-dessus mentionnées.

Les influences extérieures subies par l’individu sont inhérentes aux milieux. L’individu ne naît que pour mourir et sa vie se passe à lutter contre la mort. La vie n’est qu’une lutte constante du point de vue psychologique et social et du point de vue organique.

La vie, dans sa plénitude, comme la longévité, ne sera qu’une résultante de facteurs qui s’entremêlent, s’entrechoquent, s’excitent mutuellement ou se contrarient au détriment de la victime qui est l’Homme. Il n’y a guère d’exemple que l’homme ait jamais triomphé des causes de destruction, ce qui prouve que la vie de l’espèce ne sera qu’une perpétuelle défense ; les conquêtes ne sont que temporaires et toujours fertiles en déceptions. Si l’individu s’insurge parfois et attaque au lieu de subir passivement, s’il parvient à jeter de la poudre aux yeux en modifiant les milieux grâce à son industrieuse intelligence, on ne saurait dire, historiquement parlant, qu’il ait jamais vaincu. Le Væ Victis a toujours pesé sur l’individu, et l’on comprend les velléités d’indépendance qui se manifestent chez les hommes conscients qui s’efforcent de diminuer les causes de misère auxquelles on a succombé à travers les temps. C’est une sorte de sauve-qui-peut, qui seul produira une sélection, laquelle se traduira par une plus grande résistance et par suite par une plus grande longévité.

C’est en vain que l’on objectera que les progrès humains s’échelonnent sur un nombre énorme de générations et que c’est le résultat final qu’il faut envisager pour nos descendants lointains. Là encore, les faits contredisent : car il advient que les progrès allégués ont toujours comporté jusqu’ici de tels abus que ces progrès sont douteux en fait et qu’ils n’ont procuré la longévité qu’à une toute petite exception. Le reste, c’est-à-dire les hommes dans leur ensemble ont toujours marché au gouffre.

L’idée de sélection jaillit tout de même de cet exposé, et c’est toujours à la loi de Darwin qu’il en faut revenir pour comprendre cet important problème de biologie. Elle s’exprime par l’élimination progressive des moins aptes au profit des forts et des habiles. La longévité, comme la dégénérescence, s’entendra donc toujours par rapport aux générations les plus prochaines.

Si, dans une famille on constate qu’un bon nombre de sujets ont vécu plus longtemps que les précédents, on en conclura leur longévité et on la déduira des preuves, faciles à découvrir, des efforts qu’ils ont su réaliser pour surnager dans la dérive,

Si, dans une nation l’on constate que l’âge moyen de la vie a augmenté, on en conclura qu’elle est mieux organisée pour la lutte que les précédentes générations et qu’elle a une plus grande longévité comme rançon de son habile résistance. Les facteurs peuvent du reste s’inverser aussi bien chez l’individu que dans l’espèce. A une période de prospérité relative peut succéder une période de déclin. Telle est la loi du rythme.

Il faudrait des volumes pour rappeler les causes extérieures de diminution de la durée de la vie. Elles sont d’ordre économique, moral, social, politique et pathologique,

La misère engendre des souffrances, physiques et morales, qui s’expriment par une grosse mortalité. Les époques de disette et de famine sont célèbres. C’est

par millions que nos frères en humanité, dans les Indes et ailleurs, ont été décimés par la cupidité des conquérants. L’Inde est tristement célèbre, l’opium y a remplacé le blé. Cette mortalité, le plus souvent précoce abaisse la moyenne de la durée de la vie. Et ce n’est pas la multinatalité qui est capable de relever ce niveau. Cette multiplicité des naissances ne fait que grossir le bloc des victimes de la vie.

Dans les pays d’apparence plus libre et plus civilisée, le résultat n’est pas moins frappant. La pseudo-aisance que le capital est censé distribuer aux forçats du travail, et dont ils acceptent trop souvent les chaînes n’empêche point le taux de la vie chère de monter effroyablement et de baisser le ressort physique et moral. Personne n’ignore que la France se dépeuple surtout parce qu’on y meurt trop. Trop mourir, c’est abaisser la moyenne générale de la vie et par suite diminuer la longévité.

Les points de vue moral, social et politique se confondent en somme, parce qu’ils y aboutissent fatalement, avec le point de vue économique. Tout ce qui diminue la puissance intellectuelle et morale d’un sujet le dispose à mourir prématurément. Les chagrins minent jusqu’aux sources de la résistance.

Mais je ne saurais passer sous silence le grand facteur de brévivité que sont les guerres, les immondes hécatombes que l’or et l’instinct de possessivité provoquent périodiquement, sans que les candidats à la boucherie aient été capables jusqu’ici de les détourner. La guerre de cent ans a anéanti des millions d’hommes. Les guerres de l’Empire dont tant de sadiques politiciens affichent pompeusement l’admiration, a saigné le pays et l’Europe aux quatre veines. La race ne s’en est jamais relevée et le niveau moyen de la durée de la vie n’a fait que décliner depuis lors. Comment en serait-il autrement quand on sème sur les champs de bataille les meilleurs étalons et que la sélection ne peut plus être l’œuvre que des résidus échappés à l’holocauste pour raison primordiale de faiblesse ?

Mais que dire du massacre de millions d’hommes qui pourrissent encore autour de nous depuis 1914 et de l’état moral collectif qui en fut la conséquence ? Il faut être voué à la cécité pour n’y pas voir la cause la plus puissante de notre désorganisation sociale, de notre affaiblissement organique et de notre dépression morale.

Un dernier mot sur les causes pathologiques de la brévivité. Les maladies contagieuses, endémiques, constitutionnelles, qui s’abattent sur les individus, comme la tuberculose, la syphilis et l’alcoolisme, qui provoquent la mort prématurée et inutile d’un demi-million de nos compatriotes chaque année, précipitent la décadence. Quelles que soient les améliorations, plus apparentes que réelles, plus incohérentes que logiques, dont les discours politiques font chaque jour étalage pour éblouir la masse moutonnière.

Rien ne montre mieux la relativité trompeuse de la longévité que la répétition inlassable des mêmes statistiques mortuaires, si décourageantes que puissent paraître les courbes (la tuberculose par exemple). Car il faut saigner la nation, c’est-à-dire le travailleur, de ses plus chers deniers pour maintenir l’apparence de tels résultats ! Et il en sera de même jusqu’au jour où l’on consentira à classer les causes pathogènes par ordre d’importance et à porter l’effort régénérateur là où l’égoïsme humain s’est réfugié.

On voit que le problème de la longévité est tout un monde. Seul, le philosophe peut l’envisager sous son angle véritable. Il est clair qu’il se résume en ces mots : On ne meurt pas, on se tue ou l’on est tué. « L’homme qui ne meurt pas de maladie accidentelle, dit Buffon, vit partout 90 ou 100 ans ». Metchnikoff a démontré que la vieillesse est une maladie. Ce n’est pas cent années