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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/730

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LUC
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ignore ce qu’il fait et dit pendant les crises de somnambulisme ou d’hypnose. Résultat de chutes, de blessures, de peurs, elle rétrograde sur un temps plus ou moins long, proportionnel à l’importance du choc perturbateur : un officier tombé de cheval perd les souvenirs des trois dernières journées et ne les recouvre que graduellement. Un trouble profond peut même supprimer la remémoration des souvenirs récents : pendant plus de quatre ans une dame ne garde pas trace, dans son esprit, des plus graves événements qui surviennent en sa présence ou l’affectent personnellement. Nombreuses aussi les maladies de la personnalité, parfois bénignes, mais qui d’ordinaire aboutissent à la désagrégation de l’esprit. Unité, identité, pouvoir d’initiative ne sont pas des propriétés primitives de la vie mentale ; ce sont des résultats acquis et toujours fragiles, que la maladie a vite fait de détruire. Alors que certains ignorent, même dans un âge avancé, la vieillesse psychologique, les débiles mentaux gardent toujours une personnalité infantile ; le grand nombre s’arrête au stade du moi égoïste et menteur. Dans les démences séniles ou la dégradation de la personnalité, on constate un retour des formes supérieures aux formes inférieures. La médiumnité, si prisée des amateurs de sciences occultes, consiste dans une altération de l’activité psychologique, faible dans le cas des tables tournantes, déjà forte s’il s’agit d’écriture automatique, très anormale et dangereuse quand elle va jusqu’à l’altération ou au dédoublement de la personnalité. Chez l’homme ordinaire, le contrôle rationnel intervient dès qu’une action implique des conséquences sérieuses ; chez le médium, comme chez le somnambule, l’activité inconsciente, ou du moins subconsciente, prend un développement exceptionnel. Certaines personnes sont sincères en affirmant qu’elles n’ont pas remué la table, qu’elles n’ont rien écrit ; pourtant c’est leur main qui a fait mouvoir la table, qui a tracé les lettres, mais inconsciemment en dehors de toute intervention volontaire et réfléchie. Les messages reçus ne viennent pas d’une mystérieuse entité, ils ne doivent rien aux morts, même en l’absence de supercherie ; ils dérivent de l’activité subconsciente d’individus vivants. Et, dans ses manifestations les plus extraordinaires, je m’en suis convaincu par une enquête approfondie, la fameuse lucidité médiumnimique requiert seulement des forces humaines, absolument dépourvues de tout caractère surnaturel. Sans parler des jongleries, monnaie courante dans le monde du spiritisme, de l’occultisme et de la théosophie. Pas plus qu’au christianisme je n’ai trouvé de base sérieuse à ces religions, dont les adeptes sont parfois sympathiques.

Parmi les altérations graves de l’activité mentale, citons : l’asthénie, trouble des sensations musculaires et viscérales ; la dépersonnalisation qui fait dire au patient : « j’ai perdu mon individualité, ce n’est plus moi qui parle, ce n’est plus moi qui marche, je suis mort » ; les transformations de la personnalité : une femme se croit changée en lionne, un jeune homme se figure être général, roi, dieu. Dans l’égotisme le malade étale inlassablement sa personnalité, ne parle que de lui, du rôle qu’il prétend jouer : le résultat est identique qu’il s’agisse de la folie des grandeurs ou des délires d’humilité. Le trouble psychique peut aller jusqu’à une division de la personnalité. Mary Reynolds a son existence partagée en deux états distincts sans communication entre eux : dans l’état un, elle est triste et lente, dans l’état deux vive et joyeuse ; dans le premier état elle ignore tout du second, dans le second tout du premier. Une personne ou un objet doit lui être présenté dans les deux états successifs pour qu’elle en garde une notion continue. Chez Félida, observée par le docteur Azam, de Bordeaux, la division entre les deux personnalités successives est moins profonde : dans les états premiers elle se rappelle toute sa vie antérieure. Au lieu d’être successives,

les personnalités peuvent être simultanées, se manifester en même temps : les prétendues possessions démoniaques rentrent dans cette catégorie. Ce sont des soins médicaux, non de l’eau bénite, qu’il faut pour ces malades.

L’hallucination, perception sans objet, qu’il ne faut confondre ni avec l’erreur ni avec l’illusion des sens, est l’indice d’un état pathologique permanent ou passager. Chez les hommes sains d’ordinaire, les hallucinations de la vue sont les plus fréquentes ; chez les déséquilibrés celles de l’ouïe occupent le premier plan, dans bien des cas. Quand elles se multiplient et que le malade devient incapable de distinguer entre eux : perceptions, souvenirs, conceptions imaginaires, il y a folie. Désordre partiel ou total des facultés, la folie présente des formes extrêmement nombreuses qui peuvent être classées de bien des manières. Il paraît impossible d’établir une ligne de démarcation nette entre l’esprit lucide et celui qui ne l’est pas, lorsque les troubles mentaux sont légers. Beaucoup de familles en profitent pour faire interner, avec la complicité d’un médecin, des hommes excentriques mais dont le cerveau reste parfaitement sain.

A l’heure des dissolutions finales, quand la mort arrive, la lucidité mentale disparaît chez beaucoup ; la raison perd tout contrôle, habitudes et croyances enfantines reviennent à la surface. L’Église en profite, aidée par les parents, les femmes, ou une autre personne aimée du moribond, pour arracher des rétractations dont elle devrait rougir, puisqu’elles émanent d’un cerveau en décomposition. Et, sur le cadavre de son ennemi terrassé, elle multiplie signes de croix et bénédictions. Comment imaginer spectacle plus écœurant, lorsqu’on réfléchit ! — L. Barbedette.

LUCIDITÉ (pathologie). C’est en psychiatrie que le problème de la lucidité trouve sa place.

Il est sous la plume du neuropsychiatre à tout instant, car la pathologie a délimité des états où l’aliénation mentale n’est pas incompatible avec la lucidité. La contradiction n’est qu’apparente si l’on conçoit que l’unité de l’âme n’est qu’une billevesée de scolastique et qu’il en est des multiples fonctions de la personnalité, ce qu’il en est d’autres fonctions complexes.

Le cerveau est pour l’observateur moniste sur le même plan que le foie ou les reins. On peut donc concevoir l’automatisme de certains centres nerveux tels que d’autres centres, préposés au contrôle, y assistent, de façon lucide, mais impuissants.

Tous les aliénistes connaissent des fous lucides qui apparaissent comme psychiquement dédoublés. Prenons pour exemple le kleptomane qu’il ne faut pas confondre avec le voleur. Cet obsédé qu’un appétit formidable entraîne vers la possession urgente et immédiate d’un objet qui n’est pas son bien propre, a la parfaite notion qu’il n’a point le droit de prendre, que son appétit est parfaitement déplacé, qu’en prenant, il va risquer sa réputation, et encourir des sanctions légales. Il le sait, il le déplore, il veut et ne veut pas simultanément. La lutte qui s’engage en lui témoigne de sa lucidité. Il cherche à apaiser une impulsion qu’il sait immotivée, car l’appétit qui l’étreint ne rime à aucun besoin réel.

Et pourtant il sent qu’il va succomber. Il succombe et aussitôt, malgré le regret qui le hante, il éprouve une satisfaction organique qui n’a aucun rapport logique avec la possession d’un objet sans intérêt.

Au lieu du kleptomane prenons le dipsomane qu’il ne faut pas confondre avec le buveur. Ce dipsomane est pris d’une soif morbide qui le pousse à absorber des boissons qu’il sait dangereuses et dont au fond il ne veut point. Il jouit d’une parfaite lucidité, se gourmande, supplie même qu’on lui lie les mains. Et pourtant il