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leurs dernières cigarettes, c’est se condamner à prêcher indéfiniment l’absolu de sa doctrine devant l’absolue indifférence du grand nombre.

Le peuple n’aspire aucunement, en plein xxe siècle, à vivre dans des phalanstères prolétariens, à réminiscences de casernes ou de couvents, une existence terne de petit fonctionnaire à retraite assurée. Ce qui le séduit comme perspective, c’est l’aisance moyenne actuelle, dans un home convenable, en échange d’une tâche modérée ; et les superbes monuments, les vastes avenues, les grandioses réjouissances publiques, ne lui déplaisent point. Avec une organisation plus rationnelle que la nôtre, il pourrait, dans un proche avenir, bénéficier de tout ceci, et il n’y aurait pas à lui en faire grief. Le luxe n’est à proscrire que lorsqu’il comporte d’avilissantes débauches. Il n’est blâmable que lorsqu’il s’alimente de la misère des faibles. Il n’y a pas lieu de rééditer à son égard les hypocrites imprécations de l’Église, mais d’en généraliser, dans toute la mesure du possible, les agréments, en même temps que l’on en modifiera, dans un sens plus intellectuel et plus social, le caractère et l’inspiration. — Jean Marestan.


LYNCHAGE (du mot anglais Lynch). Ce que l’on nomme aux États-Unis « la loi de Lynch », d’où le terme français « lynchage », est une forme de justice sommaire et primitive, non reconnue par la législation officielle, mais qui est demeurée jusqu’à présent dans les mœurs populaires de la grande république américaine. La foule saisit le coupable — ou présumé tel — le juge, le condamne, et l’exécute séance tenante, ordinairement par pendaison, à moins qu’elle ne le fasse brûler vif, lorsqu’il s’agit d’hommes de couleur accusés de meurtre, ou de cet attentat particulièrement grave qu’est le viol d’une femme blanche. Voici quelques exemples de lynchage tels qu’ils ont été rapportés dans la presse :

Le 1er décembre 1927, une centaine d’automobiles, bondées d’hommes armés, s’arrêtent devant la prison de Whitesburg, dans le Kentucky, où se trouvait incarcéré le noir Léonard Woods, accusé d’avoir assassiné un blanc. Les portes de la prison sont enfoncées ; le noir, tiré de son cachot, est ligoté et traîné sur la place publique. Là, il est arrosé de pétrole et transformé en torche vivante, devant une foule énorme « qui couvrait de ses vivats les hurlements du supplicié ».

Le 30 juillet 1928, à Brookhaven, dans l’État de Mississipi, la foule se rue à l’intérieur de la prison, dans laquelle se trouvaient deux nègres, deux frères, qui avaient blessé à coups de revolver un créancier blanc. L’un d’eux est attaché par le cou derrière une automobile, et traîné jusque dans la banlieue, où il est pendu à un arbre, tandis que son frère était pendu à un ponceau des environs.

Le 2 janvier 1929, à Clarksdale, dans l’État de Mississipi également, un nègre nommé Shepherd, ayant enlevé une jeune fille blanche, sous menace de mort, après avoir tué d’une balle le père de cette jeune fille, qui tentait de la défendre, la foule s’empare du meurtrier, le lie à un poteau, au sommet d’un énorme bûcher, et s’exerce, tout d’abord, à tirer sur lui, en prenant grand soin de ne pas le tuer. Puis il est arrosé de pétrole, et le feu est mis au bûcher, mais de telle manière que la mort ne vînt qu’avec lenteur. Deux mille personnes assistaient à ce spectacle.

Les États-Unis se sont fait, de nos jours, une triste spécialité de ce genre d’exécutions, perpétrées avec des raffinements de révoltante cruauté, et la complicité, ou presque, des forces de police. Mais les scènes de violence, dans des conditions analogues, sont de tous les temps et de tous les pays. En France même où, à l’ordinaire, les mœurs sont relativement douces, il est des circonstances où la foule exaspérée lynche, ou tente de lyn-

cher des coupables, alors même qu’ils sont déjà entre les mains de l’autorité judiciaire.

Le 16 novembre 1927, l’égorgeuse de Saint-Thégonnec, Marie-Jeanne Pouliguen, transférée à Brest sous escorte de gendarmerie, fut, dans toutes les gares, l’objet de manifestations hostiles, auxquelles ses gardiens eurent beaucoup de peine à la soustraire. À Landerneau, notamment, la foule essaya de s’emparer d’elle pour la lancer, vivante, dans le foyer de la locomotive !

Le 9 juin 1929, à Paris, un soldat déserteur nommé Imbard, étant entré, en plein jour, dans un café de la rue Cadet, pour obliger, sous la menace du revolver, le propriétaire de l’établissement à lui remettre le contenu de son tiroir-caisse, la foule mit en lamentable état ce malheureux, qui n’avait même pas osé faire usage de son arme, et elle l’aurait probablement tué sans l’arrivée des agents.

Ces faits ne sont malheureusement pas très rares, surtout dans les périodes de surexcitation publique et de fièvre. Au début de la guerre furent commis, un peu partout, à l’égard des étrangers et des suspects, des actes immondes, et cela de la part d’individus appartenant à toutes les classes de la société.

Ces quelques exemples suffisent à montrer que l’autorité, dans ce qu’elle présente d’injuste et de barbare, n’est pas seulement en fonction de l’existence du policier, du juge et du bourreau. Avec leur suppression peut coïncider la, mort d’une certaine forme d’autorité jusque là consacrée. Mais, si subsistent entre les hommes des motifs de compétition, elle persiste sous l’influence déterminante des événements, quoique dans des conditions qui peuvent être différentes de celles du passé. Pour ne point se présenter avec l’appareil classique de Thémis, la tyrannie n’en conserve pas moins force et vigueur là où se substitue à un pouvoir judiciaire défaillant le régime de l’arbitraire individuel et de la violence anonyme.

Aux excès qui résultent de ceux-ci, il est un remède : l’éducation. On devrait enseigner, principalement à l’enfance, en y insistant, qu’il ne faut jamais se hâter de porter sur autrui des jugements téméraires et que, s’il est légitime de se défendre, il est honteux, par contre, d’infliger à l’ennemi vaincu d’inutiles souffrances. — Jean Marestan.


LYRISME Le mot lyrisme vient de lyre. La lyre dont la fable attribue l’invention à Orphée est encore de nos jours, malgré l’invasion du jazz-band, l’emblème commun de la poésie et de la musique, ces deux sœurs qui vont si rarement de pair. La poésie fléchit quand elle est accompagnée de la musique, et la musique quand elle veut régler son vol sur celui de la poésie. La lyre symbolique élevée par un génie vers le ciel, domine le faîte de notre Opéra.

Les poétesses sentimentales qui se recrutent encore sous les charmilles des jardins ou des parcs en province se montrent à nous, les doigts sur leur lyre et les yeux tournés vers leur Muse. Avec cet indispensable instrument, et sous l’aile de cette inspiratrice, souvent rebelle et parfois bossue, elles sont de la phalange. La lyre n’en est pas moins démodée, de même que sa variante : le luth. Le lyrisme reste le plus noble et le plus beau record de l’inspiration. Il est rare, car il est difficile.

Une foule, accourue de toutes parts sur le passage d’un héros, attend son grand homme qui tarde à se montrer. Elle frémit, elle acclame et l’acclamation ne lui suffisant plus, elle chante.

Un avion roule sur le terrain de l’aéroport, la vitesse de sa course, la puissance vibrante de son moteur font qu’il s’enlève. A cet instant précis où le sol est quitté, où le terre-à-terre finit, où l’attraction du normal est vaincue, le lyrisme commence. Son essor assure un libre