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LUX
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firmer et là où la lutte cesse, la vie et le mouvement cessent aussi. »

Et enfin, voici pour conclure, du même ouvrage, une page qui vaut pour tous les anarchistes :

« Leur lutte, c’est celle d’une poignée d’hommes — car les individualistes anarchistes ne sont qu’un petit nombre — contre le reste des hommes.C’est à la lutte que s’expose quiconque fait profession d’idées individualistes, quiconque s’efforce un tant soit peu de les mettre en pratique.

« L’individualiste se tient autant à distance des discoureurs édulcorants et des orateurs miel-et-sucre que des agents provocateurs ; les uns et les autres font œuvre d’émasculation et de superficialité, quand ils n’émargent pas aux mêmes fonds secrets.

« L’individualiste, pour commencer, est combattu au sain de sa propre famille ; il n’est pas toujours compris de ses camarades ; il est mal vu de son patron, de ses voisins ; il jouit de la déconsidération générale. Il en prendra son parti, voilà tout.

« La prison le guette à tous les pas. Il est toujours plus ou moins sous la surveillance de la police. Les mouchards le font souvent jeter à la porte de l’emploi qu’il occupe. S’avise-t-il de faire un peu de propagande agressive : poursuites et années d’isolement.

« Et la rébellion contre les préjugés moraux ? A commencer par la jeune fille que, de son plein gré d’ailleurs, l’individualiste initiera aux premières caresses, acte naturel entre tous et qui l’exposera à de ridicules poursuites pour détournement de mineure. A continuer par la menace constante d’être jeté sur le pavé s’il affecte ou se contente de mener silencieusement une vie qui jure plus ou moins avec les idées reçues en matière de respectabilité, s’il se permet de porter des vêtements peu à la mode ou de fréquenter des gens qui déplaisent à sa concierge. A finir par être renié de tous, considéré comme l’opprobre du monde, comme le rebut de ce qui respire.

« Point de possibilité de conciliation entre l’individualiste et une forme quelconque de société reposant sur l’autorité, qu’elle émane d’un autocrate, d’une aristocratie, d’une démocratie, d’une dictature de classe. Point de terrain d’entente entre l’anarchiste et tout milieu réglementé par les décisions d’une majorité ou les vœux d’une élite.

« Contre lui se dresse la société tout entière. Lutte pour la liberté d’exposer son opinion, lutte pour la liberté de la vivre, lutte pour le pain, lutte pour le savoir ; une lutte, certes, qui ne se poursuivra pas sans joies profondes et au cours de laquelle il aura l’inappréciable satisfaction de voir tomber quelque pierre angulaire et peut être vaciller l’édifice social, mais lutte quand même.

On voudrait que l’individualiste conclue une trêve, qu’il concède quelques points, se montre moins intraitable, moins acharné, moins intransigeant dans son œuvre de critique, qu’il ait pitié de ceux qui détiennent en leurs mains la puissance administrative, ou intellectuelle, ou monétaire. On lui propose de jouer un rôle de dupe et, en échange de sa tranquillité relative, de se faire le complice de gens intéressés au maintien de la société actuelle.

« L’individualiste n’accepte pas. Sa vie sera une lutte, soit. Sa grande préoccupation désormais, c’est de la faire durer le plus long temps possible. » — A. Lapeyre.


LUXE (du latin : luxus). Le luxe est caractérisé par la surabondance et la somptuosité dans les biens. Il représente l’extrême opposé du dénuement, qui implique la privation totale. On emploie fréquemment le mot luxe comme synonyme de superflu, qui représente ce qui est au-delà du nécessaire. Cependant, entre les deux termes,

existe une légère différence de signification, qui mérite d’être signalée : le superflu n’est pas forcément coûteux, le luxe n’est pas forcément inutile. Un bibelot encombrant, qui n’est même pas beau, et dont on ne se servira jamais dans un intérieur, parce qu’il déparerait la pièce est du superflu, même s’il fut acheté à bas prix. Mais un manteau de coupe impeccable et d’étoffe précieuse, pour être un article de luxe, n’en demeure pas moins fort utile lorsqu’il s’agit de se préserver du froid.

La limite entre ce que l’on désigne couramment par ces mots : « l’utile » et « le superflu » n’est pas très aisée à établir de manière satisfaisante pour tout le monde. Elle varie selon les individus, leurs habitudes, leur éducation. Ordinairement chacun décrète qu’est utile ce qui satisfait ses besoins, et superflu ce qui ne lui convient point, sans tenir compte de l’extrême variété des goûts chez ses contemporains. J’ai vu, une fois, un ouvrier morigéner sa fille parce qu’elle s’était permis de coudre après sa pauvre robe quelques menus ornements. Mais lui ne jugeait pas superflu de bourrer une pipe après les repas. Pour nous-mêmes il arrive que le point de vue change avec les années. Certaines satisfactions, dont nous ne faisons pas état, parce que nous n’avions guère eu l’occasion de les apprécier, deviennent par la suite, avec l’accoutumance, des éléments non négligeables de notre félicité, alors que d’autres, jugées plus grossières, perdent notre estime.

Le seul moyen de nous mettre d’accord serait de reconnaître cette vérité : est, sinon du superflu, du moins un luxe, tout ce qui n’est pas indispensable à la conservation de notre existence. Nos ancêtres les plus éloignés, qui logeaient dans des cavernes, buvaient l’eau des sources, se nourrissaient d’aliments crus, et ignoraient la vêture, ne possédaient certainement aucun luxe. Celui-ci a été une conséquence de la recherche du beau et de l’agréable. Il est né lorsque les femmes ont commencé à parer de fleurs et de coquilles leurs chevelure, lorsque les hommes ont pris souci d’agrémenter le gîte familial d’images gravées dans la pierre ; lorsque l’on a connu la douceur du vêtement, le réconfort du feu, la saveur de quelques apprêts culinaires.

Grâce au progrès scientifique et industriel, tout ceci s’est considérablement développé au cours des âges, et pas seulement pour le profit de quelques privilégiés, mais aussi pour l’ensemble de la population, quoique avec des inégalités choquantes, et de scandaleuses injustices dans la répartition. Non seulement pour la classe riche et la classe moyenne, mais encore pour quantité de travailleurs manuels et d’ouvrières aux ressources modestes les parures, les spectacles, l’esthétique du vêtement et un certain confort dans l’ameublement, représentent des avantages acquis dont ils ne pourraient plus aisément se passer, parce qu’ils contribuent, dans une notable proportion, à rendre la vie digne d’être vécue.

Le goût du luxe — tout au moins d’un luxe relatif et non malsain — est trop ancré dans les mœurs, et depuis trop longtemps, pour que l’on puisse songer à le faire disparaître. A part un très petit nombre d’ascètes naturistes — dont il n’y a d’ailleurs pas lieu de se moquer, et qui ne dédaignent pas totalement les bienfaits de la civilisation — personne n’éprouve le désir de revenir à la vie primitive. Rien n’est plus de nature à éloigner les foules modernes d’un idéal collectiviste ou communiste que cette sorte de monasticisme laïque dont ont fait preuve tant d’auteurs, influencés sans doute par les enseignements religieux ne leur enfance. Présenter, comme tableau du futur, l’existence d’une famille nombreuse de travailleurs dans ce qu’elle a de plus parcimonieux ; jeter l’anathème sur toute fantaisie, presque toute distraction n’ayant pas un but sociologique ; attendre des femmes qu’elles renoncent aux jolies toilettes et aux bijoux, et des hommes qu’ils jettent à terre