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misme, malgré sa naïveté d’interprétation des faits, représente déjà un effort d’imagination et de généralisation tendant à doter l’univers d’esprits, d’intentions, de volontés humaines. L’anthropomorphisme y prend ses racines très visiblement. Le fétichisme, le totémisme représentent des croyances générales, des déductions tâtonnantes mais ce n’est qu’à un degré plus élevé que l’abstraction, l’induction se précisent plus nettement.

Quelques documents peuvent jeter une certaine lueur sur les connaissances antiques. En Chine, le légendaire Fou-hi, auteur supposé du Y-King (livre des transformations), écrit il y a près de 5.000 ans, divise les éléments en deux : le ciel représentant le principe mâle, la puissance supérieure ; la terre représentant le principe féminin, la faiblesse et la passivité. Les choses naissent par composition et disparaissent par décomposition. Plus tard, vers le xie siècle avant notre ère, Lao-tsen et Confucius fondèrent, chacun de son côté, une doctrine plutôt morale que philosophique. Pour Lao-tsen tout n’est que recommencement ; être équivaut à ne pas être. Confucius fonda une morale naturelle et fut davantage un sage qu’un métaphysicien. L’Égypte possédait, il y a quelque six mille ans, toute une mythologie et une métaphysique très compliquées, sinon raffinées. Nous trouvons encore ici le dualisme entre le bien et le mal, la lumière et la nuit, etc., et les divinités multiples personnifient les divers aspects de la réalité. La Chaldée, aussi vieille que l’Égypte, possédait également une mythologie exubérante mais plus érotique et anthropomorphique que la précédente. Le principe humide et femelle se rencontre partout avec le principe mâle, le phallus, et toute la nature est ainsi partagée entre ces deux éléments de la fécondité. La civilisation indoue, un peu moins ancienne que les précédentes, offre les mêmes conceptions dualistes et une mythologie plus vaste, plus poétique, plus symbolique. Un des plus anciens livres sacrés, le Rig-Véda, dont le recueil, attribué à Vyasa, remonte à 3.500 ans en arrière, fait jaillir toutes choses d’Aditi, sorte d’entité féminine vague, antérieure à toute existence et mère de l’Univers. Toutes les divinités engendrées par Aditi personnifient les divers éléments de la terre et du ciel. Le brahmanisme, plus métaphysique, se révèle surtout plus rituel et liturgique. C’est une religion solidement constituée. Le boudhisme, plus philosophique, plus humain, forme presque une sagesse par ses aperçus profonds sur l’éternel recommencement de toutes choses, l’anéantissement final dans le Nirvana. C’est le triomphe de l’investigation subjective, de la méditation, de la contemplation du moi.

Si nous passons à la philosophie gréco-latine, relativement récente, nous trouvons une tournure d’esprit très subtile et très observatrice. Thalès de Milet pensait que les diverses transformations de l’eau donnent naissance à toutes les substances connues. Il croyait à l’immortalité de l’âme. Il est un des premiers philosophes Ioniens. Anaximandre, disciple direct de Thalès, fut un génie plus profond et le précurseur de Démocrite. Pour lui la substance et le mouvement sont indissolublement liés. Cette substance composée d’éléments éternels, immuables et indéterminés, forme par ses innombrables combinaisons tous les corps, y compris l’homme. Anaximène, qui fut son élève, fit plutôt rétrograder la compréhension des choses en attribuant la diversité des substances aux transformations de l’air. Contemporainement à ces philosophes Ioniens, Phérécyde et Xénophane enseignaient d’autres philosophies. Phérécyde, qui paraît avoir été le père du spiritualisme, croyait à une cause ordonnatrice, modelant intelligemment la matière informe. Il admettait, probablement, la transmigration des âmes et Pythagore, son disciple, en tira sa métempsychose, Xénophane, après avoir douté de tout, après avoir pensé que si les animaux se représentaient des dieux, ils les feraient à leur image, après avoir affirmé

que nous ne pouvions rien savoir, poussé par le besoin d’explication, créa le Dieu unique, parfait, auteur de l’univers. Il est le créateur de l’idéalisme.

Pythagore eut quelques intuitions curieuses avec sa théorie des nombres. Peut-être songeait-il que l’aspect des choses ne dépendait que du nombre des éléments simples le composant. Sa philosophie mêlée de totémisme et de tabous resta très obscure et sa métempsychose fut une sorte de totémisme raffiné. Après lui, Héraclite expliquait tout par le feu. De l’aspect contradictoire des faits perçus par les sens il déduisait que ceux-ci sont trompeurs ; que seule la raison, la raison universelle pouvait enseigner la vérité et, comme cette raison cherche à unifier et généraliser les faits, il concluait à une unité finale du monde. Ce qui en était une sorte de destruction. Hippocrate, le fameux médecin grec, raisonnait à peu près de même et faisait du feu l’âme matérielle de toutes choses.

Parménide, né à Elée vers 519, fut plus un métaphysicien qu’un observateur des faits et peut être considéré comme un des premiers rationalistes cherchant, sans le secours des sens, une explication de l’univers par le seul usage de la raison. Adversaire de la philosophie Ionienne, il croyait la détruire en affirmant qu’une substance ne pouvait être à la fois ce qu’elle était et en même temps autre chose en se transformant. Ce qui n’est pas, disait-il, ne peut provenir de ce qui est. D’autre part ce qui est n’a pas de degrés dans le fait d’être ; donc il est indivisible et immobile, et il n’y a ni naissance, ni commencement de choses, ni transformations, ni mouvement. L’image de ce qui est, peut se représenter, disait-il, par une sphère parfaite, limitée, également pesante en tous sens ; elle est incréée, indestructible, continue, immobile et finie. Son disciple, Zénon d’Elée, poussa l’art du raisonnement encore plus loin et Aristote fait de lui le fondateur de la dialectique. Il croyait démontrer l’absurdité de la discontinuité par le raisonnement suivant : si le multiple est composé de points sans grandeur, il est composé de rien, ce qui est absurde ; si le point a une grandeur ou de l’étendue il est encore divisible, donc il n’est pas l’unité. De même entre chaque point il y aura place pour d’autres points et ainsi à l’infini. Ses arguments pour nier le mouvement sont ingénieux. Dans Achille et la tortue, il croit nier la discontinuité en démontrant l’impossibilité pour Achille d’atteindre la tortue puisqu’une infinité de points l’en répare et qu’on ne peut atteindre l’infini. Dans La flèche qui vole, il essaie de nier le mouvement en supposant que si le temps est composé de mouvements indivisibles, par conséquent sans durée, la flèche ne pouvant occuper qu’un seul espace à la fois pendant ces moments-là restera donc à tous moments au repos.

Nous verrons plus loin la valeur de ces jeux de l’esprit mais remarquons que Zénon d’Elée, ouvre la voie au doute systématique et oriente, dès ce moment, les philosophes dans deux directions : ceux qui croient à l’explication sensuelle des choses ; ceux qui se réfugient dans la spéculation intellectuelle. Les premiers préparent la science expérimentale les seconds s’enferment dans une verbologie creuse et négative. Remarquons encore que la philosophie athée et matérialiste des premiers fut toujours impopulaire tandis que la deuxième, amoureuse du mystère, fut toujours goûtée des multitudes.

Empédocle, très matérialiste dans l’ensemble de sa doctrine, admet plusieurs éléments ordonnés nécessairement par la raison, le fameux Logos. Anaxagore admet l’éternité de la matière et l’éternité d’un principe ordonnateur. De même que les formes matérielles momentanées périssent, de même les âmes formées de ce principe sont mortelles mais l’âme universelle est immortelle. On considère Anaxagore comme le fondateur véritable du dualisme spirituel. Avec Leuccipe et Démo-