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crite la connaissance fait un pas gigantesque délaissant toutes les inventions mythologiques et enfantines ; Démocrite développa l’idée de son maître Leuccipe sur le plein et le vide, construisit, par une induction géniale, une explication mécaniste de l’univers et fonda l’atomistique. Tout ce qui existe est formé de particules infimes, de formes multiples, animées de mouvements divers et leurs rencontres, leurs diverses combinaisons créent la diversité des choses sans l’intervention d’aucune divinité. Démocrite fut toutefois quelque peu contradictoire en affirmant qu’il n’y avait rien de vrai, rien de connaissable. Il faut voir là une conséquence de l’opposition entre les concepts fournis par la raison et les données fournies par les sens. Ce scepticisme devait assurer une certaine base aux joutes célèbres des sophistes. On connaît leur art oratoire et leur science profonde de la dialectique démontrant victorieusement l’évidence des concepts les plus opposés. Parmi eux Gorgias démontrait qu’il n’y avait rien, ou que ce qui existait était inconnaissable ou intransmissible et Protogoras, plus positif, affirma que : L’homme est la mesure de toutes choses.

Socrate laissa volontairement de côté ces questions qu’il jugeait inutiles pour le bonheur de l’homme. Influencé par la subtile dialectique des sophistes, il se servit de leur art pour ramener toute question à la seule qui l’intéressait : la culture intérieure, le connais-toi toi-même. Platon pencha nettement pour le rationalisme et fut un des précurseurs de l’intuition, source de connaissance antérieure à l’expérience. Péniblement enfermé dans sa subjectivité il recommença les éternelles et inutiles démonstrations sur l’Être Un ou Multiple et balança plus ou moins subtilement entre Parménide et Démocrite pour admettre finalement Dieu, le démiurge façonnant la matière aussi vieille que lui. Il supposait que chaque objet possédait quelque chose de simple et de général, existant par soi-même, connu intuitivement par la raison et formant les fameuses idées. Aristote mit de l’ordre dans l’expression de la pensée et consacra plusieurs ouvrages à l’étude de la logique. Peut-être les excès des Eléates et des Sophistes l’y déterminèrent-ils. Esprit vaste et encyclopédique, très observateur, il faisait de la sensation la base de la connaissance et sa philosophie expérimentale était, en somme, réellement matérialiste mais l’influence rationaliste de Platon, troubla quelque peu la belle unité de ses concepts et sa métaphysique contradictoire se compliquait de l’inévitable cause première : Dieu. Sous le nom de catégories (au nombre de dix) il précisait les divers aspects de la substance et l’existence de toutes choses.

Pyrrhon ne fut ni un négateur systématique, ni un sceptique absolu. Le spectacle chaotique des événements et des êtres et surtout celui des philosophies lui firent penser que tout était relatif et qu’il était imprudent d’affirmer ou de nier quoi que ce soit, surtout en métaphysique. Tout était possible, rien n’était vrai ou faux. Avec Zénon de Cittium et Epicure nous atteignons deux conceptions philosophiques précises. Zénon, fondateur du stoïcisme, admettait l’origine sensuelle de la connaissance, le dualisme de la matière et de la force et une sorte de panthéisme où la nature et l’univers étaient Dieu. Il soutenait le libre arbitre, la puissance absolue de la volonté et la souveraineté de la raison. Le stoïcisme admettait une sorte d’harmonie préétablie, un lien universel et la raison, parcelle de la nature divine, cherchait l’accord de la partie avec le tout. Né en 341, avant J.-C., Epicure reprenant la conception de Démocrite développa une explication de l’Univers très voisine de la conception moderne. Il n’admettait pas la divisibilité de la substance à l’infini mais seulement son extrême petitesse, ainsi que le vide nécessaire au mouvement. Rien n’existe en dehors du mouvement des atomes et

leur déclinaison crée toutes les innombrables transformations de la matière. Quelques-unes de ses affirmations sont à connaître : les sens ne trompent jamais — L’erreur ne porte que sur l’opinion — l’opinion est vraie lorsque les sens la confirment ou ne la contredisent pas. L’opinion est fausse lorsque les sens la contredisent ou ne la confirment pas — il en déduisait que tout raisonnement, toute certitude vient des sens.

Ænésidème et Agrippa s’attaquèrent, un siècle avant notre ère, à la métaphysique. Le premier nia non seulement l’idée de cause, d’origine anthropomorphique, mais encore les rapports de cause à effet. Il affirma l’impossibilité de passer du connu a l’inconnu et réduisit le rôle de la démonstration théorique à une gymnastique verbale. Le deuxième : Agrippa, relevant les contradictions de la métaphysique, essaya de la détruire en démontrant que ses assises les plus sûres étaient inadmissibles car elles se réduisaient à la contradiction, aux progrès à l’infini, la relativité, l’hypothèse et le cercle vicieux et se résumaient à affirmer ce qu’il faut démontrer. Aux premiers siècles de notre ère, le stoïcisme, représenté par Sénèque, Epictète, Marc-Aurèle, fut plutôt une belle culture de la volonté qu’une recherche de vérité objective. L’École d’Alexandrie, vers le deuxième siècle, fonda l’éclectisme dont Plotin fut l’illustre représentant. Il pensait que l’Un, qui se pense lui-même, est l’être, par excellence, possesseur de toutes réalités en qui l’intelligible et l’intelligence ne font qu’un. Il est probable que ses conceptions sur la matière, qu’il affirmait complètement indéterminée, se résumaient à penser qu’elle n’était qu’un effet de l’action des Uns, mais le mysticisme de ces concepts ne pouvait être d’aucune utilité pour la connaissance humaine.

Vers le onzième siècle jaillit la fameuse querelle entre nominalistes et réalistes ; ceux-ci croyant avec Platon à la réalité, à l’existence objective des idées générales ; les autres ne croyant, avec Aristote, qu’à leur valeur abstraite, nominale et subjective. Vers la même époque quelques philosophes Arabes et Espagnols, plus ou moins aristotisant, vivant à l’écart de la lèpre christianisante, méditaient sur ces problèmes ardus. Avicenne distingua le possible du nécessaire et imagina un premier moteur. Algazali nia le témoignage des sens et la valeur des démonstrations logiques ; ce qui le mena tout droit au mysticisme. Maimonide, esprit vaste et très cultivé, essaya de concilier la foi avec la raison en donnant la priorité à cette dernière. Averrhoès nia indirectement la création, l’immortalité de l’âme, le libre arbitre et crut que la force, l’intelligence mouvaient la matière.

Il faut arriver à Roger Bacon, vers la fin du xiiie siècle, pour retrouver quelques assises solides hors des subtilités des rationalistes. Il rejette la foi et la raison pour n’user que de l’expérience qui affirme ou nie. Il n’y a, pense-t-il, que des individus composés de substances et des faits produits par les rapports entre les substances et les contacts entre les individus. Trois siècles plus tard, François Bacon et Descartes eurent, comme trait commun, l’idée de faire table rase de tout le passé ; mais, tandis que le premier, admirateur de Démocrite, constituait la connaissance par la méthode objective et la recherche expérimentale, le deuxième use plutôt de la métaphysique et du rationalisme stérile. Malgré sa conception mécanique de l’Univers et son génie mathématique, il pensait que nous devions douter du monde extérieur, mais que nous pourrions admettre son existence parce que Dieu, qui ne saurait nous tromper, nous en a donné l’idée. Gassendi revint au matérialisme d’Epicure et fut l’adversaire de Descartes dont il attaqua le fameux : « Je pense, donc je suis », en démontrant que l’existence peut se déduire de tout autre acte que celui de penser. Il regardait le temps et l’espace comme existant par eux-mêmes et accordait aux atomes