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pirent profondément de la méthode expérimentale. Des psychologues comme Ribot et Fouillée ont établi une conception de la connaissance nettement déterministe. Ribot fait de la conscience une simple spectatrice des faits et ramène au premier plan les états affectifs de l’individu volontairement ignorés par les spiritualistes ; Fouillée prenant les idées, non comme des abstractions mais comme des centres d’énergie, les a dénommées des idées-forces ; ce qui se rapproche quelque peu du concept de Charles Richet considérant le système nerveux comme un accumulateur et un régulateur d’énergie. Enfin la biologie relie le phénomène vital aux autres manifestations du monde objectif.

Dans cette voie, des biologistes remarquables tels que Lœb, Bonn, Edmond Perrier, Derrier, Le Dantec ont précisé le caractère strictement physico-chimique de la vie. Lœb, tout particulièrement, a démontré expérimentalement l’absence de finalisme de la vie et les cas innombrables d’inadaptations vitales. L’œuvre de Le Dantec est d’une puissance saisissante. Avec une logique très sûre il s’est élevé, des manifestations les plus élémentaires de la vie, jusqu’à la compréhension des problèmes les plus complexes intéressant notre activité. Combattant énergiquement le scepticisme élégant de son ami Henri Poincaré, affirmant que la vérité est une question de commodité, et la métaphysique pragmatique de William James, présentant la vérité comme une question d’avantage, d’intérêt, une invention humaine avantageuse, il s’est élevé contre cette manière de penser complètement opposée à la méthode scientifique : « La vérité n’est ni bonne, ni mauvaise, ni personnelle, ni même humaine. » Sa philosophie nettement mécaniste est une des plus solides, des plus logiques et des plus claires conceptions de l’univers. « Rien ne se passe à notre connaissance qui ne soit susceptible de mesure » nous dit-il pour exprimer le déterminisme le plus rigoureux qui seul peut expliquer l’univers. « Nous ne connaissons que des synthèses qui, seules, sont à notre échelle sensuelle et, hors de ces synthèses qui sont vraies, puisque nous vivons, nous n’avons pas le droit d’imaginer l’inconnu d’après le connu. Ce qui est en dehors de notre perception est pour nous inexistant, inconnaissable, métanthropique. »

Tout comme Huxley et Ribot il fait de la conscience un épiphénomène, une simple spectatrice des faits subjectifs. Ses connaissances biologiques contribuèrent considérablement à établir la solidité de ses certitudes par le spectacle permanent des causes de vie et de mort, bien supérieur, comme critère de la vérité, à toutes les subtilités métaphysiques évoluant mystiquement hors de l’inflexible sélection vitale.

Si nous passons maintenant au monde extra-sensible, le monde que Le Dantec déclare métanthropique, l’étude des questions du mouvement et de la substance en soi, de commencement absolu, d’infini, nous entraînerait, vraisemblablement, dans les contradictions de Renouvier, Bergson, Boutroux et autres métaphysiciens. Il nous suffira d’indiquer rapidement les erreurs de raisonnement engendrant ces concepts pour en comprendre l’inutilité.

Tous les philosophes ayant poli sur le thème du commencement de l’univers ont absolument voulu enfermer leurs adversaires entre ces deux alternatives également inconcevables : le recul à l’infini ou la création, sans remarquer qu’ils vivaient au temps présent et que ce temps présent, seule réalité finie, pour des humains également finis, ne pouvait se rapporter en aucune façon à l’infini du temps et de l’espace. Vouloir se représenter l’une ou l’autre de ces alternatives c’est limiter, finir l’infini ; ce qui n’a aucun sens humain.

La recherche de la substance en soi, le concept d’étendue et de divisibilité viennent, nous l’avons vu, d’une incompréhension de notre connaissance. Puisque nous

ne connaissons que ce qui nous est transmis par nos sens, il est facile de voir que l’étendue est un concept engendré par le trait et la vision, lesquels sont des synthèses de perceptions spatiales. La divisibilité est également un concept sensuel, une représentation mentale du fractionnement des synthèses spatiales précédentes Au-dessous du seuil de perception du tact et de la vision, il ne peut plus y avoir rien d’intelligible pour nous, puisque précisément nous ne pensons qu’avec des images sensuelles. Il y a donc à la limite de notre faculté perceptive une sensation minima qui constitue la dernière synthèse perceptible, la plus petite étendue et lorsque notre pensée divise encore cette étendue, elle l’augmente tout d’abord pour la diviser ensuite. Et cela indéfiniment. En somme, nous coupons et recoupons toujours la même étendue. La substance étant, pour nous, une synthèse d’éléments, il est absurde et vain de rechercher ce qu’elle est en elle-même car nous attribuerions à la partie ce qui est la conséquence du tout et que nous ne pourrons jamais percevoir un seul élément puisque la perception n’est qu’une synthèse d’éléments subjectifs heurtée par une autre synthèse d’éléments objectifs.

Il en est de même du mouvement en soi. Puisque jamais la connaissance d’un mouvement ne s’est réalisée autrement que par des perceptions successives et différentes de la substance, le mouvement est inévitablement une synthèse de sensations déterminée par les états successifs de la substance et il est absurde de l’en séparer ainsi que le font des énergétistes, tel Bechterew, affirmant que : « derrière le mouvement des particules de matière que nous tenons pour les manifestations de l’énergie, il y a quelque chose qui ne peut être inclus dans le concept de matière » lequel « contient aussi à l’état potentiel le psychique qui, dans certaines conditions, peut surgir de l’énergie ». Expliquer la pensée, dont la nature nous est soi-disant inconnue et reste irréductible à la matière, par une autre inconnue également différente de la matière c’est, tout d’abord, ne rien expliquer du tout car l’explication d’un mystère par un autre mystère n’est pas une explication ; c’est ensuite revenir à la poussiéreuse conception dualiste de la matière, masse inerte et amorphe, et de l’esprit animant cette matière.

Si le matérialisme actuel diffère profondément du matérialisme primitif par les récentes découvertes scientifiques et les dernières investigations ultra-microscopiques et radio-actives sur la constitution des corps ; si notre connaissance des choses prend une orientation plus expérimentale, plus prudente et moins spéculative qu’aux temps reculés des joutes sophistiques, la philosophie matérialiste représente dans tout le cours de son évolution une sorte d’éclosion de la pensée véritable se dégageant lentement de l’ignorance primitive et de la grossièreté des premiers concepts ; une lutte irrésistible de l’intelligence audacieuse et méthodique refoulant l’inconnu et les terreurs mystiques des premiers âges.

Alors que le propre de toutes les métaphysiques et de toutes les religions est d’enserrer l’individu dans un réseau de croyances l’asservissant à d’absurdes et criminelles obligations ; alors qu’elles obnubilent l’esprit critique, cristallisent l’intelligence, favorisent l’ignorance, encouragent et développent la superstition, le concept matérialiste dégage la personnalité humaine de ces servitudes écrasantes, la libère des épouvantes et des terreurs, forme son jugement et sa raison.

Aucun progrès, aucune découverte, aucune amélioration sociale qui soient véritablement issus d’une spéculation métaphysique ou d’une mystique contemplation. Tout ce qui est savoir et bien-être est le résultat d’un souci matériel, les conséquences d’un raisonnement libéré des croyances superstitieuses, des tabous momifiante et de la peur. Nous pouvons même aller plus loin. L’esprit métaphysique et religieux représente l’an-