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comme le produit de la moitié du plus grand côté par le, plus petit. En fait de mesure, ils s’en tenaient naturellement à des approximations grossières, Galilée évaluait encore expérimentalement le rapport de l’aire de la cycloïde à l’aire du cercle générateur, et Leibnitz nous parle d’une géométrie empirique qui démontrait les théorèmes relatifs à l’égalité des figures en découpant ces dernières et en rajustant les diverses parties de manière à former des figures nouvelles. La physique moderne continue de rendre des services nombreux aux sciences mathématiques ; elle leur impose des problèmes et en suggère parfois la solution. Si les premiers éléments d’une notion géométrique de l’espace se manifestent déjà dans les dessins préhistoriques de l’âge du renne, peut-être faut-il remonter encore plus loin quand il s’agit du nombre ; on démontre en effet qu’un chimpanzé parvient à compter jusqu’à 5. Toutefois, parce que plus abstraite, l’arithmétique ne se constitua comme science rationnelle qu’après la géométrie. Égyptiens, Chaldéens, Phéniciens, arrivaient difficilement à concevoir des nombres supérieurs à ceux que présente l’expérience ordinaire ; les Grecs eux-mêmes ne s’élevèrent pas jusqu’à la notion du nombre pur que ne soutient aucune intuition concrète ; et c’est d’une manière géométrique qu’ils résolvaient d’ordinaire les problèmes numériques.

L’invention par les Hindous, et l’adoption par les Arabes, du système de numération qui est devenu le nôtre permit à l’arithmétique de faire des progrès sérieux. Si nous devons la géométrie aux Grecs, c’est aux orientaux incontestablement que nous empruntâmes, au moyen-âge, les bases essentielles de la science des grandeurs discontinues. Viète, qui vivait au xvie siècle, peut être considéré comme le créateur de l’algèbre ; Stévin, vers la même époque, trouva la mécanique rationnelle. Dans son ensemble le développement des sciences exactes apparait donc lié à une progression sans cesse croissante du pouvoir d’abstraction. Aujourd’hui, l’expérience a complètement cédé la place à la déduction en mathématiques. Définitions, axiomes, postulats constituent les éléments essentiels de cette déduction. Génératrices des nombres et des figures, universelles, immuables, pleinement adéquates à leur objet, les définitions, d’après la thèse rationaliste, seraient essentiellement des créations de l’esprit ; quelques-uns même ont prétendu qu’elles existaient toutes faites en nous, et qu’il suffisait à la pensée de se replier sur elle-même pour les découvrir. D’après la thèse empiriste, au contraire, elles dérivent de l’expérience et restent entièrement tributaires des données sensibles. La notion de quantité numérique serait extraite, par abstraction, des multiplicités concrètes et qualitativement hétérogènes que nous percevons. De même les figures géométriques auraient une origine expérimentale ; en se superposant les figures sensibles neutraliseraient leurs irrégularités et l’abstraction achèverait de leur donner un caractère idéal. Associant rationalisme et empirisme, certains ont défini nombres et figures des créations de l’esprit suggérées par l’expérience. Pour Henri Poincaré, les définitions mathématiques sont des conventions commodes, sans aucun rapport avec l’expérience, mais qui peuvent varier selon les besoins scientifiques de l’esprit ; il les appelle des hypothèses, ce terme n’étant pas entendu dans son sens ordinaire mais signifient ce qu’on prend pour accordé, ce dont on part. Conditions primordiales de la démonstration, elles en constituent les principes immédiatement féconds. Le rôle des axiomes est moins apparent. Applications directes, dans le domaine de la quantité, des principes d’identité et de contradiction, les axiomes sont des propositions évidentes, indémontrables qui énoncent des rapports constants entre des grandeurs indéterminées. Ils n’interviennent pas visiblement dans la trame des déductions, mais

c’est eux qui légitiment les enchaînements des propositions mathématiques et justifient la série des substitutions. Les postulats, propositions spéciales à la géométrie, énoncent des propriétés particulières de grandeurs déterminées ; ils sont indémontrables, mais leur évidence est moins immédiate que celle des axiomes ; leur rôle est à rapprocher de celui des définitions. Toutefois, pour Henri Poincaré, axiomes et postulats sont simplement des définitions déguisées ; entre eux il n’y aurait qu’une différence de complexité ; ce sont les définitions les plus générales, nécessaires à l’ensemble des sciences mathématiques. Certains géomètres, entre autres Lowatchewski, ont rejeté le postulat d’Euclide ; d’autres ont imaginé un espace à 1 ou 2 ou 4 ou n dimensions. Mais les espaces à moins de 3 dimensions ne sont que le résultat d’une abstraction, et les espaces à 4, 5, n dimensions d’artificielles créations de l’esprit.

Les équations entre 3 variables correspondant à notre espace euclidien, on a supposé qu’aux équations entre 4, 5, n variables correspondaient des espaces à 4, 5, n dimensions. En mathématiques, la démonstration sera synthétique ou analytique selon qu’elle partira d’un principe évident pour redescendre à un problème posé ou que d’un problème posé elle remontera à un principe évident. Euclide nous a donné un merveilleux exemple de la démonstration synthétique dans ses Éléments ; c’est à Hippocrate de Chios que nous devons, semble-t-il, la première idée de la démonstration analytique. La démonstration par l’absurde est un cas particulier de l’analyse des anciens ; elle consiste à prouver une proposition par l’absurdité des conséquences qui s’en suivraient si on ne l’admettait pas. Plusieurs savants contemporains ont insisté sur le rôle de l’induction ; elle interviendrait lorsqu’on généralise les résultats obtenus par démonstration, ainsi que dans les raisonnements par récurrence, fréquents en arithmétique, en algèbre et en analyse infinitésimale. Une propriété étant vérifiée pour le premier terme d’une série, l’esprit suppose cette vérification valable pour le terme suivant et, par récurrence, pour n’importe quel terme de la série. Mais, remarque Poincaré, alors que l’induction ordinaire se fonde sur la croyance à un ordre existant hors de nous, dans la nature, l’induction mathématique « n’est que l’affirmation de la puissance de l’esprit qui se sait capable de concevoir la répétition indéfinie d’un même acte, dès que cet acte est une fois possible ». Ces deux formes d’induction apparaissent donc irréductibles l’une à l’autre et sans autre lien que celui de la communauté du terme qui sert à les désigner.

Depuis toujours, les mathématiques passent pour les sciences par excellence. Il est certain que leur valeur est grande, du point de vue pédagogique, pour la formation de l’esprit ; elles développent le besoin d’évidence, le goût des démonstrations rigoureuses, des raisonnements clairs. En nous plongeant dans un monde abstrait, peut-être engendrent-elles aussi un dédain injustifié pour l’observation, une méconnaissance dangereuse des mille contingences du monde concret. D’autre part, c’est aux mathématiques que les sciences expérimentales demandent les formules nettes, précises, distinctes qui remplacent, dans l’énoncé des lois, les déterminations qualificatives toujours vagues dont on eut tort de se contenter trop longtemps. Bacon insistait de préférence sur l’aspect expérimental des sciences de la nature ; Descartes, par contre, voyait dans les mathématiques une sorte de plan général du monde. Arithmétique et algèbre, écrivait-il, « règlent et renferment toutes les sciences particulières. Elles sont le fondement de toutes les autres ». Il rêvait de construire avec elles, une science universelle capable de résoudre même les problèmes d’ordre concret. Le point de vue de Bacon a triomphé un moment, aujourd’hui, c’est celui de Descartes qui l’emporte ; délaissant la qualité, les sciences